Souviens-toi des abeilles par Damien-Lectures-de-V

La nuit avait été courte et mauvaise. L’altitude, le décalage horaire et le dortoir serré et bruyant s’étaient unis pour limiter mes heures de sommeil. Après un bref petit déjeuner à quatre heures et demie du matin, nous sommes sortis du refuge, bien emmitouflés contre le froid, et avons entamé l’ascension à la lumière de nos lampes frontales. Je suivais notre guide, choisissant un pas prudent mais régulier. Nous apercevions devant nous le chapelet des autres lampes qui gravissaient la montagne. Le chemin était plus raide que la veille et j’étais attentif à d’éventuels signes du mal d’altitude.

Peu à peu, alors que la nuit s’éclaircissait, je pris plus de confiance et je profitai de cette aube qui commençait à s’imposer dans la montagne. Les couleurs jaunes et ocres apparaissaient, les profils des roches se marquaient et j’entendais les bruissements du petit ruisseau que nous suivions. Le soleil jaillit derrière une chaîne de montagnes alors que nous atteignions le col à partir duquel nous pouvions enfin voir le sommet du Jebel Toubkal, qui avec ses 4167 mètres est la plus haute montagne d’Afrique du Nord. Encore une petite demi-heure d’effort et nous y serions.

Cet émerveillement d’être au cœur de l’aube naissante, je l’ai retrouvé en lisant le superbe roman “Souviens-toi des Abeilles » de la jeune auteure marocaine, Zineb Mekouar. Je suis tombé sur ce livre quelques jours après ma montée au Toubkal, dans une librairie de la Kasbah des Oudayas à Rabat. Je l’ai dévoré en quelques heures.

Anir, un jeune garçon de dix ans, aime sortir de leur maison au point du jour pour aller vers le rucher de Taggart, un rucher collectif un peu à l’extérieur de leur village dans le Haut-Atlas. Parfois, il y accompagne sa mère, Aïcha, parfois il s’y promène seul, jouissant du silence, avant que ne se réveillent les abeilles et le village.

C’est son grand-père Jeddi qui l’a initié à la vie des abeilles et aux rites du rucher. Il demeure avec lui, dans ce village aux habitudes et règle ancestrales, mais dont la sécheresse menace la survie. Omar, le papa d’Anir, est parti à Agadir, où il transporte et vide des caisses dans un supérette, pour subvenir aux besoins de la famille et essayer de trouver et payer un médecin qui pourrait guérir sa femme Aïcha, qui vit comme possédée entre prostration et hurlements, depuis une nuit terrible au rucher.

Omar voudrait emmener sa femme et son fils à Agadir, mais Anir veut rester au village, près de son grand-père et du rucher. « Souviens-toi des Abeilles » est un roman envoûtant, sur la transmission entre les générations, transmission des savoirs, mais aussi de la douleur. C’est aussi un splendide chant à la beauté des montagnes et des villages de l’Atlas, décrits avec justesse et émotion.

https://www.lecturesdevoyage.travelreadings.org/2025/10/19/haut-atlas-maroc-souviens-toi-des-abeilles-de-zineb-mekouar/