Au titre du nécessaire réalisme qu'impliquerait l'exercice du pouvoir dans un contexte historique bien défini (celui d'un régime politique en état d'exception permanent et évoluant dans un environnement d'une violence inouïe), Domenico Losurdo tente de réhabiliter le camarade Staline. Entreprise forcément polémique, mais qui a le mérite de nuancer une figure aujourd'hui archi-diabolisée dans les pays occidentaux. Cette diabolisation permet en effet de liquider des représentants historiques du mouvement communiste (Mao et Staline notamment) tout en évacuant au passage l'idée même du communisme du champ politique. Celui qui parle de communisme veut les kolkhozes et la Révolution culturelle, et donc des millions de morts, CQFD, l'essentiel aura été retenu par nos chères têtes blondes qui sortiront de l'école.
Losurdo a donc le mérite de venir apporter du contraste à une figure unilatéralement jetée aux poubelles de l'Histoire, alors que quelques dizaines d'années en arrière, Staline était adulée par des centaines de millions de personnes à travers le monde, et également admiré par de grandes personnalités politiques (y compris par certains de ses adversaires féroces, comme Churchill). Retracer l'évolution historique de l'image de Staline est particulièrement intéressant et c'est une force de ce livre.
Néanmoins, sous la plume de Losurdo, cette contextualisation de la figure de Staline apparaît aussi parfois comme une minimisation inacceptable de ses crimes, minimisation par ailleurs peu assumée par l'auteur qui préfère botter en touche lorsque le fond du sujet qui gêne approche un peu trop. Nous ne sommes pas loin d'une forme douce de négationnisme, sur certains points. Le traitement de fond du sujet de la destruction des koulaks, de l'Holodomor ou même du Goulag peuvent indigner à juste titre.
L'ouvrage a cependant le grand mérite de faire des comparaisons là où elles ne sont jamais faites par l'idéologie dominante dans nos pays européens. Certes, les crimes staliniens existent bel et bien, mais rappeler quelques vérités historiques sur les actions de certaines nations capitalistes du XIXe siècle jusqu'à l'époque de la mort de Staline (et même après) permet de remettre les choses aux bons endroits et dans le bon ordre (rien que l'histoire des crimes coloniaux ou impérialistes...). Celui qui dénonce les crimes de Staline mais qui n'est pas capable de dénoncer au même niveau les crimes des pays capitalistes occidentaux doit se taire. Et si pour cette même personne il convient de condamner le projet communiste en même temps que Staline, alors il conviendrait de condamner le projet capitaliste au même titre que certains de ses plus illustres représentants.