Voici l’ultime texte de l’auteur d’un de mes romans préférés, Les étoiles s’éteignent à l’aube. C’est un récit qui prend donc des allures de testament littéraire. Richard Wagamese est décédé en 2016 sans avoir achevé Starlight. Son éditeur canadien a cependant décidé de le publier et c’est tant mieux. Les éditions Zoé nous en offrent une merveilleuse traduction et nous permettent de retrouver le héro du précédent roman, Franck Starlight. Encore une fois la magie a opéré et Richard Wagamese m’a touchée.


Franck Starlight est devenu adulte et vit toujours dans la ferme du vieil homme qui l’a élevé malgré le décès de celui-ci. Il partage sa maison et son travail avec un ami, Roth. Dans ses moments libres, Starlight part dans la montagne. Il s’enfonce dans la nature et s’y fond pour mieux photographier les animaux. Ses clichés touchent et impressionnent. Lui qui est si mal à l’aise avec les mots, s’exprime merveilleusement bien avec les photos. Un jour, il rencontre Emmy et sa fille Winnie. Toutes deux fuient un passé trouble et un homme violent, Cadotte l’ex-compagnon d’Emmy. Il décide de les recueillir sous son toit et de les aider à panser leurs plaies.


Le roman est inachevé mais cela ne doit pas vous décourager à le découvrir. On y trouve des thèmes forts et une écriture très sensible. Il y a aussi quelque chose d’émouvant de se dire qu’on a entre les mains un texte brut et sans coupes faites à la relecture. On est dans l’intime du travail de Richard Wagamese.


Le thème principal du roman est celui de la rédemption avec le personnage d’Emmy pour qui s’offre une nouvelle chance. A mesure qu’elle reprend sa vie en main, son ex-compagnon plonge de plus en plus dans les ténèbres. Il y a une profonde dichotomie entre les deux personnages qui effectuent le chemin inverse l’un de l’autre. Il ne semble pas y avoir de demi-mesure entre l’ombre et la lumière. Cadotte ne peut plus faire marche arrière, il n’est habité que par la haine. C’est une rage envoûtante et destructrice mais c’est elle qui lui permet de tenir chaque journée. Même son meilleur ami est effrayé par cette noirceur mais ne peut s’empêcher de le suivre dans l’abîme tant sa noirceur est puissante. Cette opposition entre la remontée d’Emmy vers la sérénité et la descente de Cadotte dans la haine froide donne au récit un aspect de fable. C’est un conte moderne qui invite à l’introspection et montre qu’une renaissance est possible.


sauvages. Ceux dont ils s’entouraient étaient frustrés et violents, colériques et bornés, toujours prêts à la bagarre, à donner des coups de poing au moindre affront, pour terminer par des rires, des embrassades ; ils établissaient un lien incompréhensible, fait d’emportements et d’interminables conversations à propos des femmes, de l’argent, de vagues rêves et de ragots accumulés qui passaient pour du savoir chez des hommes ne connaissant rien d’autre que la robustesse de leurs dos et l’érudition de leurs poings.


L’autre grand thème du roman est la nature. Franck, en emmenant Emmy dans la nature pour exorciser son passé, fait ce que le vieille homme a fait pour lui en le recueillant. Certains passages racontant ce lien entre l’homme et la nature sont sublimes. La nature n’est pas un décor mais un ensemble cohérent dans lequel l’homme n’est qu’un élément. Accepter de s’y fondre c’est retrouver une part de soi oubliée, refoulée. J’y ai trouvé quelque chose de la pensée de Thoreau qui m’a beaucoup plu. La nature est le remède aux souffrances et l’isolement est une nécessité pour refaire surface. L’auteur va très loin dans le rapport entre l’homme et la nature et y place une forme de spiritualité. Starlight entre en médiation profonde quand il se perd dans les grands espaces, il vit les choses de façon plus consciente et plus intense. Il initie Emmy à cela, lui fait découvrir une manière d’être dans la nature et à la nature. Mais c’est en elle qu’elle trouve les ressources pour se soigner, Starlight n’est qu’un passeur et il a une profonde confiance en la capacité d’Emmy a refaire surface. Ce sont des réflexions très fortes portées par des personnages vibrants d’humanité.



On ne peut pas tout voir. Chacun de nos sens est, d’une certaine façon, limité. Ce n’est que lorsque nous les utilisons tous ensemble que nous parvenons à reconnaître les choses.



On a beaucoup parlé de ce livre comme d’un testament littéraire et c’est peut-être vrai. Avec cet ultime texte, Wagamese nous exhorte à lever la tête et à ouvrir les yeux plus grands. Il invite à la contemplation et à penser un autre rapport à notre environnement. Comme en lisant Thoreau, ce texte m’a donné envie de chausser mes baskets et de partir par les sentiers forestiers pour m’imprégner de la végétation. Une ode à la nature et à la confiance à découvrir !

Anaïs_Alexandre
10

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur.

Créée

le 22 sept. 2019

Critique lue 344 fois

2 j'aime

Critique lue 344 fois

2

D'autres avis sur Starlight

Starlight
Anaïs_Alexandre
10

Critique de Starlight par Anaïs Alexandre

Voici l’ultime texte de l’auteur d’un de mes romans préférés, Les étoiles s’éteignent à l’aube. C’est un récit qui prend donc des allures de testament littéraire. Richard Wagamese est décédé en 2016...

le 22 sept. 2019

2 j'aime

Starlight
LouKnox
8

Critique de Starlight par Lou Knox

Il m'a fallu du temps pour comprendre que Starlight, c'est l'ado qui est au coeur d'un autre roman de Richard Wagamese Les Étoiles s'éteignent à l'aube. Je veux dire, à la lecture de Starlight, c'est...

le 2 juil. 2020

1 j'aime

Starlight
AlMaryElene
9

La nature et l'homme

Starlight, c’est Franklin Starlight, le jeune héros des Etoiles s’éteignent à l’aube, devenu adulte aujourd’hui. Il s’occupe de la ferme du vieil homme qui l’a élevé, partage ses journées entre le...

le 18 août 2019

1 j'aime

Du même critique

Pastorale américaine
Anaïs_Alexandre
9

Critique de Pastorale américaine par Anaïs Alexandre

L'histoire nous est racontée par Nathan Zuckerman. Il s'agit d'un narrateur récurrent des romans de Philip Roth, un écrivain solitaire et observateur de ses condisciples. Celui-ci retrouve Seymour...

le 13 mai 2018

9 j'aime

1

Va et poste une sentinelle
Anaïs_Alexandre
10

"Je t'ai tuée, Scout. Il le fallait !"

Comme beaucoup je garde un souvenir impérissable de ma lecture de Ne tirer pas sur l'oiseau moqueur. Le personnage de Scout fait partie de ceux qui m'accompagnent encore et se rappelle à moi...

le 19 oct. 2015

7 j'aime

Steak Machine
Anaïs_Alexandre
9

"Les abattoirs créent des handicapés."

Geoffrey Le Guilcher est journaliste indépendant et s'est intéressé aux abattoirs suite aux vidéos publiées par l'association L214. Face à ces actes de maltraitance animal, il s'est demandé qui...

le 7 févr. 2017

6 j'aime