Comment ne pas être un peu déçus par le dernier Bret Easton Elis, "Imperial Bedrooms" après le merveilleux "Luna Park" ? On a en effet l'impression d'un pas en arrière dans cette "revisite" des thèmes de son classique "Less Than Zero" : rien de bien neuf ici, si ce n'est le choix - jouissif - de transposer l'habituelle désespérance existentielle de personnages vidés de leur humanité - qui ne fonctionnent plus dans la société cruelle qui est la leur que comme des prédateurs - dans le cadre et les codes du roman noir tel que défini par Chandler et Hammett. Le style de BEE reste extraordinaire, conciliant comme personne l'efficacité narrative - qui fait que le livre se dévore en quelques heures - et intelligence suprême en matière de "dé-réalisation" des situations. Ce qui nous donne un déstabilisant "double effet", entre une énigme a peu près aussi incompréhensible que celle des classiques de Chandler, construite sur des dialogues sybillins qui ne sont que poncifs grotesques et esquives : c'est évidemment très brillant, intellectuellement, mais cela désorientera certainement les lecteurs qui cherchent ici l'excitation d'un polar "traditionnel". Le véritable problème de "Imperial Bedroom(s)" (référence musicophile - comme "Less than Zero" - à Costello, mais cette fois à un album, très émotionnel, de la maturité, plutôt qu'à une chanson, assez enragée, des débuts, le choix du titre soulignant clairement le projet littéraire de BEE), c'est donc l'impression de "déjà vu", de déjà traité plutôt, du sujet et des circonstances : il est clair qu'on attend avant tout - sans doute injustement - d'un écrivain aussi exceptionnel que BEE qu'il continue d'avancer, tout en régénérant régulièrement cette fascination très déstabilisante que son écriture brillante exerce sur nous. On sait néanmoins - et BEE a toujours été clair sur ce point - qu'il n'écrit pas pour nous, mais bien uniquement par besoin vital de traiter ses propres doutes, ses propres tourments : on pariera que, sur ce plan, "Imperial Bedroom(s)", oeuvre hyper-paranoiaque et finalement supra-lucide, avec sa dernière phrase tellement clicheteuse et pourtant irrémédiablement et douloureusement sincère ("je n'ai jamais aimé personne et j'ai peur des gens"), aura permis à BEE de passer un nouveau cap. Ou au moins de ne pas se tirer une balle dans la tête. Ou même de ne pas massacrer sa voisine de palier avant de dévorer ses entrailles. Ce n'est déjà pas si mal ! [Critique écrite en 2012]
EricDebarnot
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le 15 sept. 2014

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Eric BBYoda

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