Sylvia Beach - Une Américaine à Paris par Nina in the rain

La personnalité de Sylvia Beach m'envoûte et me passionne. Je rêverais « d'être elle », d'avoir le cran, la force et le talent de créer mon propre univers comme elle l'a fait. Pour remettre un peu les choses dans leur contexte, c'est une jeune américaine arrivée à Paris au début du XXème qui a ouvert une librairie (Shakespeare and Company, mais l'actuelle n'a rien à voir sauf que sa propriétaire s'appelle aussi Sylvia), y a accueilli tout ce que la France et les États-Unis comptaient d'auteurs talentueux, leur a prêté un argent qu'elle n'avait pas, leur a permis de manger, de vivre et d'écrire... Elle a édité Ulysse, de Joyce, quand personne ne voulait en entendre parler, elle a su participer à la création de son époque et faire de sa petite boutique le centre névralgique d'un Paris très coté, surtout entre-deux-guerres, par les auteurs nord-américains. Elle a rapidement emménagé avec Adrienne Monnier qui avait créé « La Maison des Amis du Livre » rue de l'Odéon, une bibliothèque de prêt et une librairie qui faisait pour les auteurs français ce que Sylvia faisait pour les auteurs anglophones. Elles vivront leur homosexualité au grand jour, tranquillement, comme un couple le ferait aujourd'hui mais... en 1910.

Ces deux femmes me passionnent, me fascinent, si un jour j'ouvre ma librairie (et je suis de plus en plus encline à le penser, enfin, ça dépend, les jours pairs quoi, les jours impairs je me dis que je gagnerai au loto, et la nuit je gagne au loto et j'ouvre une librairie, paf, les deux à la fois) je voudrais que ce soit ce genre d'endroits où l'esprit est ouvert, où tout le monde peut entrer et se sentir à l'aise, où les auteurs viennent pour trouver une oreille attentive et une lecture professionnelle, mais où ils se sentent aussi lecteurs. Peut-être que je l'appellerais « à Sylvia et Adrienne », ou alors je le mettrais en sous-titre sur ma devanture, je ne sais pas...

Ce serait une librairie comme celle de certains de mes clients, tellement personnelles, tellement pleines d'énergie, dont on sent qu'elles viennent d'un rêve et qu'elles ont été réalisées comme ça. Le souci, c'est suis-je encore capable de rêver une librairie ? Il me semble que ce n'est possible que pour les gens qui déboulent là-dedans bille en tête en ayant fait autre chose de leur « vie d'avant ». Nous qui sommes du métier, qui connaissons la masse de travail (mes doigts ont écrit « tracas » ils n'ont pas tort), la part de folie furieuse, les difficultés et les découragements qui attendent le créateur de librairie, ne sommes-nous pas plutôt enclins à créer des magasins classiques, bien rangés, avec un stock parfait, un peu de papeterie de luxe parce que ça marge et des tables créées par Lundia pour permette de ranger des cartons d'office en dessous ?

Dans ma librairie j'aimerais des tables déglinguées, qui laisseraient passer l'air et la lumière en dessous et entre les livres. Un buffet campagnard pour présenter les livres de cuisine. Un assortiment de meubles de bric et de broc, des fauteuils par-ci par-là, et des bouquins partout, en piles, en étagères, qui vivent leur vie propre, qu'on pourrait emprunter, acheter, offrir... Et là dans mon cerveau s'allume une énorme lumière rouge « il te faut de la place pour tes cartons tu n'auras pas les moyens d'acheter une boutique avec une énorme réserve, des piles de bouquins pour l'inventaire c'est l'horreur, une bibliothèque de prêt et avec quoi te payeras-tu? » et je me dis qu'à force d'en voir, des librairies, je ne suis plus capable d'imaginer mon rêve. Je ne sais pas encore si c'est un mal ou un bien. On verra bien. Pour l'instant elle est au chaud dans mon cerveau, un jour raisonnable un jour folle, elle en sortira peut-être et ce jour-là je vous dirai quelle option j'ai prise !

Bon, cela dit, j'aurais aussi pu prendre l'option de vous parler du livre, plutôt que de vous parler de cette boutique qui n'existe pas. Ce n'est pas à mon sens le meilleur livre sur Beach, il souffre des défauts de ses qualités. C'est un ouvrage universitaire, il est très détaillé, très « sourcé », il ne laisse rien au hasard et chercher à tout expliquer et, au bout d'un moment... c'est un peu soporifique ! Ces deux femmes étaient tellement énergiques que les décrire avec cette minutie et cette lenteur me paraît presque un mensonge. Cela dit on y apprend des éléments importants que je ne connaissais pas malgré ma lecture d'à peu près tout ce qui est paru sur elles, des épisodes gardés sous silence, et rien que pour ça sa lecture est indispensable pour les personnes qui s'intéressent au milieu littéraire de l'entre-deux-guerres. Je suis un peu ambivalente, en fait c'est passionnant et ennuyeux à la fois, et par moments certains chapitres s'avalent comme un roman... A garder pour les intéressés, quoi ...
Ninaintherain
4
Écrit par

Créée

le 26 mars 2012

Critique lue 64 fois

Critique lue 64 fois

Du même critique

Au bonheur des dames
Ninaintherain
10

Critique de Au bonheur des dames par Nina in the rain

Bon, bien entendu, la Crevette se met à couiner qu'elle a été traumatisée enfant, qu'elle ne peut pas supporter Zola (ou de manière générale la littérature du XIXème siècle, ce qu'on s'accordera à...

le 10 juil. 2012

26 j'aime

7

L'Éternel
Ninaintherain
1

Critique de L'Éternel par Nina in the rain

La première fois que j’ai rencontré Joann Sfar, c’était en 2002. 2002. Onze ans d’histoire entre lui et moi, et je devrais dire que ce ne furent pas réellement onze ans d’amour fou. A l’époque déjà,...

le 6 mai 2013

19 j'aime

L'Art de la joie
Ninaintherain
9

Critique de L'Art de la joie par Nina in the rain

Ce petit pavé-là, ça fait un bout de temps qu'on m'en parle. La première je crois que ça a été Isabelle A., de la librairie du Bon Marché. Elle le mettait en permanence sur table et me disait...

le 27 mars 2012

19 j'aime