Tableau noir, violences sexuelles entre enfants, le phénomène massif que l’école ne veut pas voir. Stock, avril 2025.


Si le sous-titre mentionnant un « phénomène massif » me dérange, la préface signée par Eric Debarbieux, sociologue/pédagogue, connu pour ses travaux sur la violence en milieu scolaire, lève le doute quant au bien-fondé de cette étude dont le contenu est loin d’être racoleur. J’ai eu des réticences face au traitement de ce sujet par une journaliste, dont on aurait pu craindre le désir de sensationnalisme, et j’aurais aimé pouvoir croire qu’il ne s’agit que de cela, d’une volonté de créer le buzz, mais il n’en est rien. Une fois de plus, il s’agit de prise de conscience des violences sexuelles faites aux enfants, basée sur le rapport de la Ciivise, venant le complèter par un travail de fond, empathique, profond et sincère, sentiment que j’ai ressenti dès les premiers chapitres.


Cet essai soulève un problème brièvement survolé dans le rapport de la Ciivise, qui révèle qu’en France près de la moitié des personnes qui agressent sexuellement des enfants sont eux-mêmes des enfants, et les faits ont lieu dans le périmètre scolaire. Rappelons une fois de plus ce chiffre phare de deux enfants sexuellement abusés par classe, essentiellement des cas d’inceste, d’abus par personne ayant autorité, ou par d’autres enfants dans le cadre scolaire. L’autrice s’est entretenu avec plusieurs professionnels : psychologue de la Brigade de Protection des Familles, le chef de la Brigade de Protection des Mineurs (Christophe Molmy), procureurs, juge des enfants… Elle s’appuie sur les chiffres d’observatoires, sur des exemples et des études de cas qui établissent que dans la majorité des affaires, les faits sont minimisés (par le milieu scolaire, les parents parfois, la justice), attitude qui prive l’enfant victime de prise en charge et donne à l’agresseur l’opportunité de recommencer. Rappelons qu’un enfant qui en agresse un autre est en grande souffrance car il a probablement lui-même été abusé et a besoin d’être aidé pour éviter la récidive.


L’autrice, lucide et modérée dans ses propos, évoque l’évidente découverte du corps par les tout-petits, un comportement acceptable qu’elle oppose à la véritable agression ou viol, intolérable, demandant sanction et prise en charge. Le phénomène de prime abord serait en pleine expansion, affirmation modérée par le fait qu’il s’agit plutôt d’une hausse des dépôts de plaintes liée à la libération de la parole. Quoi qu’il en soit, les agressions sont bien réelles et ce livre explique leur augmentation et propose des pistes pour les enrayer. Sonnette d’alarme que l’on commence à tirer depuis quelques temps : le changement de comportement sexuel des mineurs est intimement lié aux réseaux sociaux (la moyenne d’âge d’inscription sur les réseaux sociaux est actuellement de 8 ans…), à l’accès facilité à une pornographie de plus en plus violente et à l’hypersexualisation de la société.


On le sait depuis le constat mené par la Ciivise et les travaux de Muriel Salmona, les agressions sexuelles ont de lourdes conséquences sur la santé mentale et physique des victimes, et l’inaction face au traumatisme coûte cher. Néanmoins, la France ne se donne pas les moyens de prendre en charge les enfants victimes de violences sexuelles et le fonctionnement de l’institution est défaillant. Les exemples cités par l’autrice sont effarants, les cas sont multiples où les victimes sont obligées de changer d’école, ne sont pas prises en charge et les agresseurs libres de recommencer. L’enjeu n’est pas de punir mais de stopper, d’accompagner et d’aider. Il en va de la responsabilité de chacun et le manque de volonté politique étant flagrant, ce sujet est occulté des débats publics.


Le flou est systémique, aucun texte de loi n’est écrit à ce sujet quant à la conduite à tenir en cas d’agression sexuelle par les professionnels de l’Education Nationale. Le pas de vague est la norme. Or pour lutter il faut être conscient de l’ennemi, il faut voir les choses. La mise en place du protocle pHARe, en plus de détecter le harcèlement scolaire permet la prise de conscience de problème et le témoignage de violences sexuelles, c’est une évolution très positive mais elle n’est pas suffisante. Le dépistage préconisé par la Ciivise (2 rendez-vous psychologiques prévus en primaire et au collège, devant être inclus dans le cycle des visites médicales obligatoires existantes) est loin d’être mis en oeuvre. A l’inverse, le manque de médecins scolaires, la pénurie de psychiatres et de professionnels de santé spécialisés laissent une carence béante dans la prise en charge et le traitement de traumatismes. Des projets ont été élaborés mais jamais mis en place, faute aux changements de gouvernement successifs.


La réflexion est extrémement profonde sur la place que l’on accorde à l’enfant dans une société qui se doit de se mettre à hauteur d’enfant, il en va de notre avenir. Ce livre est un outil pour mieux appréhender les enjeux d’un débat public dont la nécessité est cruciale. Il y a urgence à remettre à niveau la protection de l’enfance, à protéger les enfants de la pornographie, il y a urgence à combler le vide laissé par les textes de lois. URGENCE. J’ai énormément appris en lisant cet essai riche de références précises et de profondes réflexions sur un sujet ultra préoccupant qui concerne parents, professionnels de la petite enfance, personnel médical… Une fois encore, nous sommes tous concernés.

loeilnoir
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le 25 août 2025

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