Un jour je créerai le Brautiganisme.


On partira tôt le matin pour faire du stop sur le bord d’une national poussiéreuse sur laquelle passe à l’occasion un vieux pick-up décoloré pour aller jusqu’à l’orée d’une forêt oubliée de tous, et on se faufilera entre les arbres et leurs racines centenaires, et on passera devant cette veille baraque de tôle rouillée pour s’arrêter au bord de notre lacet favoris de notre rivière favorite, et on pêchera et on regardera le soleil ricocher sur les truites comme sur de beaux diamants posés sagement au fond de l’eau jusqu’à ce qu’il aille se coucher et alors, on repartira.


Et on ira se boire du Porto dans un petit sachet de papier marron devant la belle et grande statue trônant fièrement au milieu de la place de la ville, et on parlera avec l’alcoolique qui y traine toujours avec son charriot et ses dents qui s’en vont et qui s’en viennent dans sa grande bouche souriante comme les criquets au grand bal de l’été jusqu’à ce qu’il disparaisse, et puis alors on y retournera encore ensuite à l’occasion, comme ça, de temps en temps, jusqu’à ce que, et bien, tout simplement, il y revienne.


Et on vivra entre les montagnes enneigées du Montana, les rues ensoleillées de San Francisco, la fine pluie de printemps de Tokyo et on ira se construire une cabane de bois et de verre dans la grisaille d’un bord de falaise de Big Sur, et on rêvera de détective qui se perd dans ses songes de Babylone et on rêvera de sombrero gelé qui tombe du ciel pour créer une émeute sanguinolente qui défiera la puissance militaire américaine, et on rêvera d’une interminable cascade de cheveux noire qui tombe sur la magnifique peau blanche d’une japonaise endormie, et on rêvera de tueurs qui sont recrutés par une indienne qui n’en est en fait pas une pour tuer un monstre qui n’en est en fait pas vraiment un non plus, et on rêvera d’un enfant qui s’en ira tirer dans les bois avec son ami et son fusils qu’il aurait tant aimer ne pas avoir acheté, non, ce qu’il aurait vraiment aimé acheté, en fait, ça aurait était un hamburger.


Et on vivra la vie comme personne ne la vie vraiment, on s’émerveillera devant la plus petite tempête de neige jamais recensée quand deux petits flocons voltigeront de l’autre côté de la fenêtre pour aller se poser lentement sur un bon gros tas de million d’autres flocons, et on ira prendre en photos les cadavres de sapins de noël qui jonchent les rues de leur million d’épines quand une fois noël passé on leur enlève toutes leurs jolies décorations pour les laisser mourir sur un trottoir, et on regardera avec des yeux émerveillés cette jolie jeunes femmes, belle comme elle ne le sera plus jamais, se tortiller le menton dans tous les sens appuyée contre une barre de métro pendant qu’au-dessus de nous, des millions de personnes feront ce qu’ils ont à faire, comme toujours, où alors peut-être bien qu’il ne le feront pas.


Oui, un jour, je créerai le Brautiganisme et on se rappellera au bon souvenir d’une Amérique qui n’existe plus.


Et ça sera merveilleusement joyeux mais incroyablement triste aussi, et ce sera la plus belle chose du monde et la plus impitoyable aussi, et on rigolera de tant de petit bonheur et on pleurera face à tant d’impuissance et ça nous créera de petite feu d’artifice dans le ventre et ça nous fendra le cœur.


Parce que Brautigan, c’est tout ça à la fois.

Clode
8
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le 1 mars 2016

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Clode

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