Révolution de la vie quotidienne

Une des œuvres angulaires du situationnisme, ce mouvement politique animant nombre d'étudiants en Mai 68, et dont le slogan pourrait être "Vivre sans temps mort, jouissez sans entraves".

Mais il serait idiot de limiter le situationnisme à cela. Il s'agit avant tout d'un mouvement révolutionnaire annonçant la fin du pouvoir bourgeois, parcellaire et hiérarchisé. La seule solution étant le renversement de perspective du pouvoir et la construction de l'homme total. Les situationnistes sont en effet individualistes, et si le terme peut sembler irrémédiablement péjoratif, Vaneigem va s'atteler à démontrer que la vie ne peut être vécu qu'en se concentrant sur soi. Le philosophe exhorte la jeunesse à développer sa subjectivité radicale. En se définissant soi-même, on peut se détacher de tout rôle que le pouvoir parcellaire tente de nous imposer et on peut enfin découvrir quels sont nos intérêts propres, et a fortiori les intérêts de nos camarades. Et pour le prolétariat il n'y en a qu'un : la révolution et la destruction de tout type d'oppression et d'autorité, la fin de l'isolement et de la souffrance que la pouvoir érige en contrainte de vie.

Selon Vaneigem, la société de consommation a permis aux hommes de remplir aux conditions de survie, mais l'éloigne irrémédiablement de sa vie. C'est le pouvoir bourgeois qui en organisant la société en récupère tous les fruits. En inondant les étals de produits sans cesse renouvelé, le pouvoir nous enferme dans l'accumulation matérialiste. Le visage du bonheur s'exprime désormais sur des paquets de lessive et des pubs pour voiture, consommer c'est acheter de l'idéologie et se détourner de soi. Tous les gadgets du monde vont isoler l'homme. La dictature du consummable noie sous la quantité les hommes et les empêche de communiquer entre eux, les isole et les affaiblit.

Enfin, le pouvoir organise la société spectaculaire. Les hommes et femmes montrés en modèle sont jetables et ne servent qu'à développer une société de rôles : chacun d'entre nous adapterait en permanence son comportement pour tenter de correspondre à un modèle. Le problème c'est que les rôles que la société du spectacle diffuse sont essentiellement passifs et ne font que reconstruire le pouvoir. La supercherie va tellement loin que la société du spectacle infiltre même le temps par le biais de nos souvenirs, en les alternant de manière à ce qu'on puisse apparenter à un temps vécu un rôle prédéfini.

En dépit de toute cette noirceur, Vaneigem est résolument optimiste et persiste à rappeler qu'en empêchant l'homme de se réaliser, de communiquer et de participer dans la société, à force d'isolements et de souffrances, le désir de vivre va bouillonner et tout détruire sans laisser traces du passé, comme le pouvoir bourgeois s'était déjà débarrassé du pouvoir féodal. L'auteur insiste sur la créativité présente en chacun des hommes et n'atteignant un niveau qualitatif intéressant que de manière spontanée. Et qu'ainsi s'allume la flamme de la révolution, comme un geste poétique. Il rappelle que 10 jours de révolution peuvent valoir 1000 ans d'oppression. Proche de l'anarchisme dans son idée de la révolution, Vaneigem invite son lecteur à vivre sans plus attendre, car il n'y a que la pulsion de vie qui compte.