Regarder l'océan est une expérience de saisie du monde intéressante. C'est une alliance de découpage et de recomposition d'un espace réemboïté en trois dimensions fondamentales, qui résument la matière possible du monde, l'air, l'eau, la terre. Le quatrième sommet de ce carré chimérique, imparfait, ouvert au vide, se niche au centre de l’œil de l'observateur, confronté à l'interpénétration de trois infinis aux contours par définition mal définis.
Balzac, en trente pages, résume la beauté de cette expérience de l'univers avec un lyrisme qui ne lui est pas si fréquent que ça au cours de la Comédie. Il superpose à cette tripartition du bord du monde que constitue l'océan une triple tragédie en miniature agitant un fils, une mère et son père, Cambremer, le reclus maudit condamné à contempler éternellement le rivage, pour un crime commis contre cette eau dont il a usé avec un hybris annoncé par son nom.
À la fin, l'ironie terrible de l'écrivain chrétien qui achève son petit récit noir sur la description hantée de l'extraction du sel dans les marais de Bretagne, comme pour priver définitivement la terre de ce que l'humanité contenue en elle est censée sauver.
Beau, terrible, efficace, suggestif. Excessivement détonant dans le corpus. Etrangement mineur, méconnu, et directement vers la cime de mon Olympe personnel du gars.