Trois recueils de nouvelles, une biographie et un roman, Notre part de nuit, qui reste à ce jour son chef-d'œuvre, avec un titre qui résume parfaitement l'essence de ses récits. L'art de la nouvelle, Mariana Enriquez la maîtrise à la perfection : une entame percutante dans une atmosphère souvent encore sereine, mais qui ne va pas tarder à basculer vers une forme d'horreur, jusqu'à une conclusion à moitié ouverte, qui laisse planer le doute et le mystère, comme si ces histoires se poursuivaient toujours, mais sans personne pour les lire. Aucune des 12 nouvelles qui composent Un lieu ensoleillé pour personnes sombres n'est véritablement anodine. Elles sont plus ou moins terrifiantes, reprennent des schémas classiques du fantastique : spectres troublant les vivants, corps rongés par un mal mystérieux, enfants aux yeux morts, objets maléfiques, communautés inquiétantes… La force de Mariana Enriquez, outre la clarté et la fluidité de son style, est d'allier le réalisme du quotidien à l'étrange et à l'épouvantable, le chaud à l'effroi. À travers ses différents récits, le livre raconte l'Argentine post-pandémie, dans une crise économique et morale persistante, sans oublier les remugles jamais évaporés des années de dictature. L'aspect social dénaturé est le point de départ de la souffrance profonde des femmes, en particulier, dans leur intimité naufragée, qu'il y ait des fantômes impliqués ou non. La peur et la douleur, Mariana Enriquez sait justement les doser pour que ses textes ne deviennent pas insupportables, mais suffisamment sordides pour qu'ils nous hantent longtemps, tout en créant une sorte de plaisir que l'on ne peut qualifier autrement que de malsain, sans toucher à l'obscène.