Le premier roman de William Styron est le récit d’une tragédie non seulement significative pour sa dimension sombre mais aussi pour le caractère douloureux de la nature arbitraire du destin qu’illustre la vie de Peyton Loftis. Peyton pourrait être heureuse et satisfaite par son existence, par ce don de vertu intellectuelle qu’elle détient; mais, intérieurement, elle est tourmentée par le dégoût de soi, et ses tendances autodestructrices se développent au fil du temps. Est-ce la laideur de l’époque moderne qui la conduit vers ce sort ? Ou est-ce l’esclavage qui, en ayant fait répandre le sang pendant des siècles sur le sol désormais souillé de l’Etat de Virginie, laisse demeurer sa trace funeste et indélébile ?
On est le témoin d’une marée noire d’événements : on découvre d’abord une très jeune Peyton précoce et captivante, vénérée par son père; puis une étudiante haïe par sa mère et souffrant de la déchirure créée au sein même de sa famille; enfin on voit une femme ravagée et perdue dans les villes étrangères du nord. L’échec de ses tentatives, en tant qu’héroïne désireuse de s’adapter à la vie moderne, va la conduire à la chute de son existence : mariée à un homme politiquement aventureux, Peyton va rapidement constater que les demandes liées au mariage (cuisiner, faire le ménage et les courses) sont aussi obscures qu’un monde dans lequel des milliers d’innocents peuvent s’évaporer en un éclair incandescent.
On écoute et chante du jazz. Les métros sont remplis de Portoricains. Les rires des Afro-Américains errent dans les rues. Peyton veut véritablement faire partie de ce monde à la fois brut et vital, mais elle n’est simplement pas assez forte pour l’endurer. Impressionnée par les rues étouffantes du paysage urbain qui lui est étranger, incapable d’envisager qu’elle puisse faire partie du monde moderne et consciente que ses ancêtres de Virginie se sont battus pour et contre cette Amérique multi-ethnique, Peyton réalise qu’elle est face à un destin inexorable.
Un lit de ténèbres contient des idées dépassées concernant ce raffinement innée des femmes du sud des Etats Unis; mais, en dépit ou peut-être en raison de tous les éléments datés, la tragédie de Peyton Loftis reste véritablement déchirante.

jerrej
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le 11 nov. 2015

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