Cofondatrice des éditions Asphalte, Claire Duvivier ne se cantonne plus seulement à publier des livres, elle en écrit désormais aussi. Premier roman de l’autrice, Un long voyage conjugue les ressorts du récit d’apprentissage et de la fantasy. L’histoire prend place dans le décor d’un monde secondaire à la géographie différente de la nôtre. On y découvre un empire appelé à disparaître suite à des événements qu’il nous reste à découvrir en compagnie du narrateur. Arrivé au crépuscule de son existence, Liesse confie en effet à la demande d’une amie, dont on ne connaîtra l’identité qu’à la toute fin, son parcours personnel auprès de Malvine Zélina de Félarasie, jeune aristocrate vive et cultivée, prête à embrasser les plus hautes fonctions dans l’Empire. Des rivages de l’Archipel où il est né puis a été rejeté, à la cité-État de Solmeri où l’attend un poste de secrétaire au siège du gouvernorat, il assiste ainsi au délitement de l’Empire sous d’étranges auspices.


Ne tergiversons pas. Un long voyage est un bon roman, voire un très bon. De la fantasy, Claire Duvivier retient le goût pour la métaphore et le dépaysement. L’histoire de Liesse reprend en effet à son compte (ou à son conte), le ton de la fable. Sous prétexte de nous raconter sa vie et de tout nous confier de sa relation avec Malvine Zélina de Félarasie, le vieil homme distille quelques vérités générales sur le devenir des hommes et des empires. Les amateurs de destinée manifeste ou de fantasy « roots » passeront leur chemin. Au souffle de l’épopée ou aux chicaneries des intrigues tortueuses, Claire Duvivier préfère la subtilité, la tendresse et la cruauté ordinaire des relations humaines. Nul grand destin n’attend Malvine, nul ennemi antédiluvien pour saisir l’opportunité de fondre sur l’Empire afin d’imposer un règne de ténèbres. Le seul ennemi implacable avec lequel tout un chacun doit composer reste le temps, dont les méandres s’offrent ici un raccourci, avec l’aide d’une magie mécanique.


Roman de fantasy, Un long voyage est surtout un récit d’apprentissage, celui de Liesse. Homme de deux mondes, il est à la fois étranger à la civilisation qui l’adopte et un paria pour les habitants de son île natale. Appelé à observer de l’intérieur le déclin de l’Empire, il s’inscrit dans le sillage de Malvine, elle-même partagée entre deux temporalités. De ces enjeux universels et personnels, Claire Duvivier tire un récit nuancé, ne faisant à aucun moment l’impasse sur les doutes et faiblesses des personnages. La petite histoire, celle de liesse, rencontre la Grande Histoire, celle des personnages historiques et des héros, pour le pire et le meilleur. Le regard de Liesse propose ainsi un contrepoint salutaire au récit enjolivé du passé, tentant de dresser un pont entre les générations, les acteurs de l’histoire et les vies minuscules qui font le sel du hors champ historique. Mais surtout, il nous donne matière à réfléchir nous remettant en mémoire la formule de Paul Valéry : Nous autres, civilisations, nous savons maintenant que nous sommes mortelles.


Bref, laissez-vous ravir par l’imaginaire de Claire Duvivier. Un imaginaire finalement très ancré dans des préoccupations intimes et universelles, dépourvu de héros ou de anti-héros, mais pas d’une certaine éthique.


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leleul
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le 11 juil. 2020

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