Quand vous entendez parler de solarpunk pendant plusieurs mois, vous commencez par vous interroger. Qu’est-ce que l’industrie du livre a encore trouvé comme minuscule région littéraire pour utiliser ce néologisme très compatible avec la communication époque réseaux sociaux #solarpunk ? Eh bien, pour résumer et sans entrer dans des détails savants, un sous-genre de la science-fiction exclusivement positif, optimiste, mettant en scène des mondes futuristes et/ou alternatifs pour le moins woke, à tout le moins non-industriels : vie en harmonie avec la nature et les autres espèces, fin du capitalisme et du système marchand, fluidité de genre… Un cauchemar de la galaxie Bolloré, en somme. Ce livre n’est d’ailleurs ni édité ni distribué par une maison du groupe Hachette, mais par L’Atalante, petite maison indépendante nantaise, et la SODIS. Il y aurait donc un lien entre la littérature et l’idéologie des milliardaires qui possèdent les groupes éditoriaux ? Tiens donc…

Mais reprenons. Pour ne pas mourir idiot, si vous êtes un peu curieux, l’étape d’après est de lire un livre de solarpunk pour vous faire une idée de quoi il en retourne. Un psaume pour les recyclés sauvages (j’aurais enlevé l’article – passons) raconte l’histoire d’une rencontre, celle de Dex, moine du thé (genre de psychanalyste ambulant et idée magnifique) et de Omphale, un robot missionné par ses semblables pour reprendre contact avec les humains plus de deux siècles après que les liens entre eux aient été brisés. Comme dans toute littérature de l’imaginaire, une bonne partie du bouquin sert à expliquer le monde, son histoire, son fonctionnement… Pour la faire courte, et en vous épargnant les inévitables et un peu lassants mots avec Capitale désignant des Événements canoniques, Becky Chambers situe son histoire dans un futur post-industriel dans lequel les robots ont pris leur indépendance vis-à-vis des humains, qui vivent désormais en harmonie et en respect avec les autres espèces du vivant (c’est de la fiction). Lea moine du thé, Dex (personnage non-binaire ; courage ça va bien se passer), vit une crise existentielle. Iel ne sait plus trop quoi faire de sa vie, alors qu’objectivement tout va bien, et décide non pas de faire le tour de l’Asie du Sud-Est ou de courir des marathons, mais d’essayer d’atteindre un ancien ermitage situé dans une zone naturelle désaffectée par les humains. En chemin, iel rencontre Omphale Tachetée Splendide, un robot au nom magnifique (Omphale, de omphalos, le centre du monde pour les Grecs anciens ; les noms sont tous très biens), iels partent en randonnée et échangent longuement sur leurs mondes, leurs Dasein, la vie…

Sur le fond, c’est assez beau et réussi, quoique classique. Au bout des 130 pages, on a envie d’en savoir plus et on aurait bien lu quelques pages de plus. Sur la forme, en revanche, c’est assez voire très faible. Je ne comprends pas pourquoi l’autrice nous raconte au début le premier changement de carrière de Dex, qui quitte son monastère pour devenir moine ambulant, ses difficultés à apprendre son nouveau rôle (accompagnées de moult jurons, autre point faible ; les « putain » et « merde » français sonnant différemment du probable « fuck » étatsunien), faire le thé, montrer son empathie… Tout ça n’est pas très intéressant et le roman commence réellement avec la rencontre avec Omphale, au bout de 50 pages (sur 130 ; oui). L’écriture est tout sauf bouleversante. Il y a des phrases dont vous vous demandez ce qu’elles font là : « En voyant le visiteur suivant, Dex ravala un soupir rêveur. M. Cody était bel homme, avec des bras de bûcheron et un sourire qui vous faisait oublier le concept même de linéarité temporelle » (p. 36, plus généralement il y a quelques phrases sur la sexualité de Dex dont l’autrice ne fait absolument rien), ou « Un bon repas, un bon décrassage l’attendaient, et une chaise était posée près du baril à feu propre, pour quand tout serait prêt » (p. 47).

Il y a une phrase qui m’a enchanté. « L’envie de partir était née avec l’idée du chant des grillons » (p. 13). Superbe. On comprend tout : le désir de fuite, la disparition des grillons, une quête de la beauté… Mais au final, l’autrice n’en fera rien. On ne saura jamais où sont partis les grillons. C’est emblématique du livre : les fils narratifs et esthétiques tirés n’aboutissent pas vraiment, et la beauté du conte philosophique en est amoindrie. C’est vraiment dommage. Un psaume pour les recyclés sauvages aurait pu être un petit chef d’œuvre. L’autrice (ou son éditeur ?) ne s’y est d’ailleurs pas trompé et a écrit une suite. On ne regrette pas le voyage, mais reprendra-t-on un ticket pour autant…

antoinegrivel
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le 26 avr. 2025

Critique lue 39 fois

Antoine Grivel

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