Gymnastique de l'esprit

Ce petit ouvrage de Nietzsche est technique. L'auteur y tort en effet la langue avec une certaine malignité, ce qui peut rebuter à la lecture.

Car Nietzsche y critique - le titre est explicite - le concept de vérité. Dans sa philosophie, en effet, la vérité est impossible à tenir. Si une phrase vraie est une phrase qui dit ce qui est, alors il faut au minimum que ce qui est perdure : il faut que la réalité soit stable. Or, pour Nietzsche, c'est tout l'inverse. La réalité est par essence fluctuante, changeante, mouvante, évoluante. Comme l'auteur le dira : il n'y a pas de faits, il n'y a que des interprétations.

Mais que devient la vérité, alors ? Et bien justement, elle devient l'une de ses trahisons : le mensonge. Le mensonge, ce n'est donc plus ce qui nous éloigne de la vérité, et qui serait en cela immoral, c'est le fait même de faire croire que la vérité existe. Et ce n'est plus ici moral ou immoral, c'est destructeur. Car, faire croire que la vérité existe, c'est faire en sorte que plus rien ne change, c'est donc arrêter le flux continu de la réalité et de la vie : c'est donc assécher la vie, la tarir, l'appauvrir. C'est tuer la vie finalement. Et le mensonge, c'est ça. C'est ce qui tue la vie. C'est ce qui l'empêche.

En cela, Nietzsche plaide pour une destruction du concept de vérité (comme il plaide pour une destruction de toutes les valeurs en général qui ont toutes cette fâcheuse tendance (qui n'en est pas une, elle le font en réalité par essence) de stabiliser le réel, et donc d'appauvrir la vie). Ce qui ne va pas, bien évidemment, sans une refonte complète de la science, de la philosophie ou de la religion, puisque la vérité est une valeur au même titre que Dieu, la Justice ou la Morale.

C'est d'ailleurs cette torsion qui rend la lecture de ce bel ouvrage si difficile. Nietzsche voudrait détruire la vérité au nom de ... la vérité, comme il le dit lui-même ; c'est-à-dire une interprétation noble de la philosophie (la sienne). La vérité est donc attaquée au nom de la vérité, à coup de philosophie censée débouter ... la philosophie. On comprendra qu'un même mot renvoie tour à tour à ce qui est noble ou vil, à détruire ou à glorifier. En somme, ce qui est issu d'une morale chrétienne ou antique, ou ce qui est issu des interprétations nobles de l'auteur.

Une sacrée gymnastique pour les méninges.