Délicat équilibre de la vie entre l’ombre et la lumière, la douleur et l’espoir

Alors qu’une tempête de neige cloue les avions au sol dans tout le Royaume-Uni, Tom abandonne son épouse et sa fille aux préparatifs des toutes proches fêtes de Noël pour aller chercher son fils Luke, coincé avec la grippe dans son logement d’étudiant à Sunderland, dans le nord de l’Angleterre. Parti en voiture de Belfast, il prend le ferry vers l’Ecosse, puis à nouveau la route pour quelque trois cents kilomètres jusqu’à sa destination située sur la côte opposée, près de Newcastle.


L’enneigement des voies de circulation complique considérablement le périple, et même s’il progresse très lentement, il faut au conducteur toute sa vigilance pour faire face aux embûches qui jalonnent son trajet. Après plusieurs faux départs en raison d’une côte d’abord infranchissable, c’est avec une certaine inquiétude, partagée par l’épouse restée à domicile et dont les réguliers appels téléphoniques semblent bientôt l’unique lien avec la vie et la normalité, que l’on se retrouve seul avec Tom, à ne compter que sur soi-même pour affronter l’hostilité blanche dans laquelle le monde, déréglé par le réchauffement climatique, semble avoir sombré.


Pourtant, tandis que la réalité extérieure paraît s’être dissoute dans une nébuleuse de blancheur impalpable, c’est insensiblement à une toute autre confrontation, intérieure celle-là, que Tom se retrouve exposé. Sur l’écran immaculé et uniformisé du paysage, viennent s’imprimer des images invasives, irrépressible résurgence d’une douleur mal enfouie liée à un drame récent qui se dévoile par bribes au lecteur. Et, dans une narration d’une confondante sobriété, en une succession de flashes dont la rémanence fait écho à l’éternité que le métier de photographe de Tom insuffle à chacun des instants qu’il capture dans ses clichés, se révèle cette fois la poignante désolation du paysage intérieur d’un père, meurtri par l’impuissance, le regret et la culpabilité, qui cherche désespérément la force de tenir le cap, de donner le change aux siens et de passer un Noël aussi normal que possible.


Périple aventureux dans un environnement rendu méconnaissable par les conditions climatiques, le voyage en territoire inconnu est aussi celui de ceux, qui, fils à la dérive ou père incapable de trouver l’absolution et la paix, se perdent et avancent à tâtons dans leur vie, sans rien ni personne pour les guider. Un texte magnifique, d’une parfaite exactitude psychologique, et d’autant plus poignant qu’il contient l’émotion en un délicat jeu d’équilibre entre l’ombre et la lumière, la douleur et l’espoir. Parce que, même après la pire des épreuves, quand plus rien ne paraît plus ressembler à rien, il faut trouver le moyen de vivre, et que ce chemin se trouve seul, sans que l’on puisse prédire par quoi il faudra en passer.


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Cannetille
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le 19 févr. 2023

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