Il y a quelques bonnes choses dans cet essai sous titré Une brève histoire politique de la fantasy. Manifestement l’auteur pratique depuis longtemps son sujet, ce qui exclut à priori Winter Is Coming de la catégorie des livres de circonstances écrits plus ou moins vite, plus ou moins sérieusement et avec plus ou moins d’acuité (et de façon plus ou moins… collégiale) par des chercheurs en mal d’un peu de célébrité et de droits d’auteur. Je me souviens encore d’un livre sur les zombies dont l’auteur tenait la Route de McCarthy pour un livre de zombies…
Comme beaucoup de passionnés (et s’il ne l’est pas, ça ne se voit pas), le généreux auteur cherche autant à partager ses goûts avec les profanes qu’à établir une connivence avec les initiés – le tout sans adopter la posture d’un fan hystérique, ni d’un gourou.
D’autre part, William Blanc a le bon goût de ne pas s’en tenir à Tolkien, mais d’évoquer William Morris et Ruskin, George R. R. Martin, Robert E. Howard ou encore (j’y reviendrai, mais pourquoi pas) les Schtroumpfs et Astérix. Les références sont sourcées, et un cahier d’illustrations (certaines dispensables) est le bienvenu.
Cependant, Winter Is Coming a ce gros défaut qu’on n’y trouve jamais définis les termes utilisés. À commencer par celui de fantasy. Que la notion ait quelque chose à voir avec le merveilleux, que ce qu’on appelle heroic fantasy emprunte avec délectation à la littérature épique, cela me parait évident. Est-ce qu’on ne pouvait pas aller plus loin, en proposant une acception plus précise qui laissât de côté les Schtroumpfs et Astérix et réservât les problèmes de classification générique aux récits d’Alain Damasio ou au Cycle des Contrées de Jacques Abeille ? (D’une façon générale, l’essai de William Blanc a parfois tendance à utiliser les mots à la légère. Parler de « futurisme » (p. 14) sans se référer – ni rejeter toute référence – à Marinetti, ça me parlait regrettable, surtout qu’avec l’esthète fasciste, on était en plein dedans.)
Le principal problème de ce livre, c’est que son contenu demeure léger. Dire que « nous créons des univers parce que le monde tel qu’il est ne ne nous plaît pas et nous fait parfois peur » (« Prologue », p. 9), c’est à la portée de n’importe quel élève de terminale L – et par ailleurs discutable à l’envi. Ajouter que « la fantasy […] tire certes son inspiration des récits légendaires médiévaux, comme ceux de la Table ronde, mais ne peut s’expliquer sans les craintes que fait naître la révolution industrielle au XIXe siècle », cela paraît évident ; mais ça ne suffit pas à écrire cent trente pages. On m’objectera que ces deux passages figurent dans le prologue, mais la suite de l’essai n’approfondit rien sur ce point.
C’est d’autant plus regrettable que les questions politiques centrales ne sont finalement qu’esquissées. Sur l’idéalisation du Moyen Âge par le XIXe siècle anglais, rien. Sur le caractère foncièrement conservateur, voire réactionnaire de l’œuvre de Tolkien, rien d’autre qu’une généralité : « Le genre [de la science-fiction] forme, à l’instar des super-héros, une véritable mythologie de la modernité, alors que […] la fantasy, elle, représente sa critique » (p. 14). Le propos me paraît juste, mais insuffisant.
Rappeler que « cette industrie du réenchantement, à mesure qu’elle enregistre un succès de plus en plus important, semble perdre de son caractère subversif pour n’être qu’un produit supplémentaire proposé par la société marchande » (p. 57), à l’image du Seigneur des anneaux, qui fut dans les années un livre de chevet pour révolutionnaires auto-proclamés, c’est incontestable. N’y avait-il rien à dire sur ce processus de récupération ? Sur ce qui dans le merveilleux épique se prête peut-être à cette récupération ? Sur le parallèle qu’on pourrait établir avec ces fameux pionniers de l’Internet ? William Blanc s’en tient à dire qu’avec les jeux de rôle on a « une industrie gigantesque, générant des dizaines de milliards de revenus à l’aide, paradoxe frappant, des technologies les plus avancées du monde moderne que les joueurs tentent de fuir » (p. 100). Le paradoxe ne sera pas davantage exploré.
Dommage : cela aurait, me semble-t-il, permis d’éviter au moins une interprétation biaisée. L’auteur explique (p. 115) que « Le cinéma de fantasy se substitue au western, désormais trop associé à la glorification d’une entreprise de domination coloniale, comme pourvoyeur de dépaysement et de réenchantement ». Rien à redire sur la partie de la phrase que je n’ai pas placée en italiques. Mais à mon sens, dans la mesure où le western s’est massivement défait de son optique colonialiste depuis (au moins) les années 1970, on doit surtout imputer cette substitution au caractère infiniment déclinable – soit en termes économiques, monétisable – de la fantasy (et aussi de la science-fiction au sens large) : qu’on pense aux kilos de manuscrits posthumes de Tolkien, et aux mètres (décamètres ?) de rayonnages qu’occuperaient les œuvres complète de George R. R. Martin ou de Terry Pratchett dans une bibliothèque.
Peut-être qu’à partir de là, on aurait pu commencer à parler politique.

Alcofribas
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le 11 juin 2019

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Critique de Winter is Coming par Charybde2

Riche en pistes à explorer, une passionnante incursion dans la politique de la fantasy, trop brève pour ne pas s’exposer à certaines caricatures. Sur le blog Charybde 27 :

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