Lu en Février 2021. Édition Pocket. 6,5/10.
Relu en Mars 2022. Ed. Folio Classique. 7/10


Conte qui prend place dans le monde oriental (inspiration des Milles et Une Nuits.) Zadig va d’aventure, en aventure, en malheurs (c’est quand même pas de bol de tomber sur une femme qui « avait une aversion insurmontable pour les borgnes » [p21, Le Borgne]). Sa grande richesse, sa grande intelligence mais sa grande naïveté lui attirent bien des soucis car tout le monde l’envie ou lui veut du mal au moindre faux-pas interprétatif. Au point qu’il se pense être « le plus malheureux des hommes ».


La narration est segmentée en chapitres (qui ont parfois des allures de scènes théâtrales) de quelques pages seulement qui content une épreuve dans le parcours initiatique de Zadig. Si il y a des liens entre chaque péripétie, elles ont leur indépendance et peinent à tisser des enjeux importants qui servent l’histoire globale. Elles sont surtout cohérentes philosophiquement = culte de la raison, culte de la tolérance… thèmes chers à Voltaire.


Il est d’ailleurs amusant de s’apercevoir que tous ces héros de conte (Ulysse, Candide...) ont bien souvent comme but final : l’amour d’une femme désirée ; et on leur octroi en plus le trône et la gloire pour bien faire. Constat qui apparaît bien vénal pour des protagonistes si sages, mais peut-être cela facilite t-il l’envie de suivre l’aventure (ou est-ce un poncif narratif qui à l’époque de Voltaire, déjà, était une astuce de fainéant ?). La fin bien que terriblement attendue et naïve reste satisfaisante car le personnage de Zadig est attachant.


Toujours est-il qu’en tant que « conte philosophique », Zadig s’intéresse à la question du bonheur, mais aussi de la justice, de « l’être » préférable au « paraître » (critique de la courtisanerie), à la question de la religion et donc de l’obscurantisme.
Sur cette dernière question Zadig partage avec Voltaire son Déisme (« Être suprême », p90, L’ermite) et prône la liberté de culte et la fin des idéologies. D’ailleurs l'œuvre s’inscrit dans une critique de son époque, Zadig fait partie des lumières, il est éclairé (p19, Le borgne).


A l’entame, les malheurs subis par Zadig m’ont fait rire, mais au fur et à mesure, l’histoire apparaît comme un prétexte à des idées balancées à la volée. C’est d’ailleurs dans ce cadre qu’il a été écrit puisque ce conte était destiné à une lecture par les proches de Voltaire uniquement. J’y avais vu à ma première lecture un pré- et sous-Candide. On retrouve certes des similitudes : parcours initiatique d’un homme fort éduqué, beau et riche qui voyage de malheurs en malheurs (éborgné, cocu, condamné à mort pour toutes les raisons possibles, pillé...) dans l’optique de se marier avec sa bien aimée, une femme incroyablement puissante (Astarté), et il côtoie de sages amis (Cador, Sétoc…) ainsi que ntt un maître (l’ermite, ange Jesrad) qui lui permettent de mieux comprendre le monde pour finir par être heureux quoiqu’il arrive…. Mais la philosophie du bonheur qui y est développée est tout à fait différente ! En effet, dans sa préface, Jacques Van den Heuvel souligne que Voltaire découvrait Leibniz au moment de la rédaction de Zadig et que ce conte tente probablement de s'adapter à cette Providence leibnizienne, soit à contre courant totale de l'ironie prégnante de Candide. (p13)


Quand Zadig dit chapitre 10 «Allons, ne perdons point courage; tout ceci finira peut-être; il faut bien que les marchands arabes aient des esclaves; et pourquoi ne le serais-je pas comme un autre, puisque je suis homme, comme un autre ? Ce marchand ne sera pas impitoyable; il faut qu'il traite bien ses esclaves, s'il en veut tirer des services.»" (p74) - En cela ça ressemble à Candide, c'est un optimisme à toute épreuve, mais effectivement ce n'est pas une moquerie du "meilleur des mondes", c'est plutôt un stoïcisme efficace pour vivre plus heureux, tout en gardant confiance en la Providence.


C'est un conte sympathique, qui a plus valeurs de recueil moraliste que d'histoire prenante comme le sera Candide. On sent que Voltaire tâtonne encore sur la part d'humour et de
narratif. Mais ça reste une bonne lecture, facile, et qui surtout vient m'éclaircir sur la complexité et l'évolution de la pensée Voltairienne.


« Il est dangereux quelquefois d’être trop savant […] qu’il est dangereux de se mettre à la fenêtre ! Et qu’il est difficile d’être heureux dans cette vie ! » (p28, Le chien et le cheval)
« Si j’eusse été méchant comme tant d’autres, je serais heureux comme eux » (p46, La jalousie)
« Dieu merci ! Voilà la maison de mon cher hôte détruite de fond en comble ! » (p88, L’ermite)
« L’empire jouit de la paix, de la gloire et de l’abondance ; ce fut le plus beau des siècles de la terre : elle était gouvernée par la justice et par l’amour. On bénissait Zadig, et Zadig bénissait le ciel. » (FIN)

Créée

le 18 févr. 2021

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Arimaa_kousei

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