Critique de Shaynning
BD adulte de 2020, "Chinese Queer" est ce genre de Bd qui comporte une forte dimension philosophique existentielle, un côté de critique sociale et un graphisme assez particulier.Faire un résumé de...
Par
le 22 mai 2022
5 j'aime
Incontournable Album Mai 2025
Version courte:
C'est officiellement mon livre sur la thématique de Pâque préféré. Je raffole des sujets sociaux habilement intégrés dans les albums jeunesse, car ces vulgarisations permettent de parler de choses très concrètes à hauteur d'enfants. Rares sont les auteurs et autrices qui osent les sujets sensibles comme celui des conditions de travail et de l'abus patronal, mais cet album haut en couleur, qui plus est sur la thématique des œufs de Pâque, illustre à quel point c'est possible de le faire tout en restant ludique. Le travail du tandem ici présent n'est pas sans rappeler le formidable travail de monsieur Laurent Cardon avec sa série des poules "S'unir c'est...", dont la pertinence sociale côtoie de prêt l'humour de basse-cour. Bref, cet album joyeusement déjanté, aux personnages nombreux et si attachantes, avec un humour indéniable habilement mêlé à une rare incursion dans le monde du travail à la chaine, il aura certainement sa place sur le rayon du nouveau cours CCQ ( Citoyenneté et culture québécoise).
Version exhaustive ( contenant des divulgâchis):
Pour les amateurs d'humour référentiel, "Zizanie à la chocolaterie" n'est pas sans rappeler "Charlie à la chocolaterie", lequel Charlie connait aussi sa référence, puisque nous avons un "Où est Josie" pour faire écho à "Où est Charlie".
"Comment crois-tu qu'on fabrique les œufs en chocolat" nous demande-t-on en guise d'introduction. À l'usine dirigée par l'avare Monsieur Lapin, on fabrique les œufs en chocolat qui régaleront les becs sucrés de tout âges, et cette production est orchestrée d'aile de maitre par une grande masse ouvrières de poules blanches. Dans le hall, les poules enregistrent leur heure d'arrivé sur l'horodateur, en échangeant anecdotes du quotidiens et dernières nouvelles sur une note joyeuse. Une nouvelle vient d'ailleurs d'arriver, elle s'appelle Josie, et elle ne le sait pas encore, mais elle sera au cœur d'un véritable émois collectif.
L'usine suit une logistique opérationnelle bien huilée: On surveille la cuisson du chocolat dans une grande cuve, qui déverse la pâte chaude sous un moule rotatif à l'impression gaufrée qui produit des barres du savoureux matériel sucré. Le tout est pelleté un niveau plus bas afin d'alimenter le cœur même de la production: Les poules pondeuses. En mangeant les barres de chocolat, les poules pondent des œufs en chocolat qui passent au niveau inférieur entre les ailes expertes des empaqueteuses. Edgar, le contrôleur de qualité, est un licorne qui s'assure du goût et de la conformité du produit final, avant d'être expédié. Le tout est ponctué des petites conversations anodines et des petits soucis techniques, mais ne vous y trompez pas, les poules travaillent dur pour monsieur Lapin.
Cependant, l'insatiable Monsieur Lapin, malgré l'amoncellement de sacs d'argent qui meublent son bureau, en veut toujours plus. Lors d'une réunion, il fait part de ses nouvelles attentes: Plus de productivité, donc travailler plus vite, manger plus de chocolat et pondre plus rapidement. Il fait fi des inquiétudes soulevées par les poules. Rapidement, les choses dégénèrent: Des poules s'endorment au travail ici et là, totalement épuisée, les bris de tuyauterie sont en hausse, il y a surchauffe dans la cuve de chocolat et les accidents de travail se multiplient.Pire, Josie, la nouvelle, disparait dans la cuve de chocolat. Quand aux pondeuses, elles prennent beaucoup de poids, certaines cumulant les indigestions ou se voyant incapables de pondre. Les empaqueteuses ne tiennent pas le rythme. Les conséquences cumulées de toute cette mouise est que les œufs sont épouvantables: informes, au goût médiocre, certains contiennent même des poussins! Les ressources humaines reçoivent des plaintes en masse et Edgar frise la crise de nerf en raison des échecs répétés quand aux standards de qualité. Devant cette situation pour le moins intenable, Monsieur Lapin ne trouve rien de mieux à faire que d'annuler les vacances des poules. Ah et Josie manque toujours à l'appel.
Cette fois, c'est trop! Délaissant un travail qui leur ruine la santé physique et psychologique, les poules entrent en grève. Elles tiennent des piquets de grève avec des demandes claires: Des vacances, des pauses, des salades et "Où est Josie?". Drapé dans son arrogance, Monsieur Lapin entend tenir l'usine avec Edgar, mais cela devient rapidement n'importe quoi - Avez-vous déjà vu un licorne pondre? Après la démission d'Edgar, Monsieur Lapin s'obstine et tente de tout faire seul. Hélas, hormis développer une obésité morbide, Monsieur Lapin ne connait aucun avancement dans quoi que ce soit. Peut-être ne peut-il pas faire tout tout seul? Cet éclairement opportun se fait au moment un peu moins opportun où la cuve de chocolat atteint son niveau critique et menace carrément d'exploser. Ce qui arrive dans un spectaculaire éclat chocolaté. Au village des poules, on constate la catastrophe et grâce à Edgar, voix de la raison, les poules investissent l'usine pour aller réparer les dégâts et sauver monsieur Lapin.
Monsieur Lapin, je suis heureuse de vous l'annoncer, fait son mea culpa et se décide enfin à écouter ses employées. Après avoir remit en l'état l'usine, participant même aux tâches, il consulte par la suite ses employés pour élaborer un climat de travail. On y échange toute sorte d'idée pour de nouveaux dérivés sucrés, mais surtout on établit de nouvelles normes de travail. Bars à salade, café détente, salles de sport, plus de flexibilité dans le travail, espaces de travail modernisés, l'usine est méconnaissable et l'atmosphère y est joyeuse et propice aux nouvelles idées. Le moral est excellent et croyez-le ou non, la productivité est en hausse! Monsieur Lapin, qui a même renouveler son image publique, affectionne d'ailleurs un tout nouveau produit: Le lapin en chocolat. Ah et on a retrouvé Josie! Et on ne devrait plus à avoir à la chercher dorénavant.
Wow, avoir autant de détails pertinent en un seul album, un des seuls que j'ai pu voir sur le milieu de travail de ce type, c’est juste génial. Qu'on parle de la chaine de travail en elle-même, du quotidien des employées, de la productivité relative au sentiment de compétence et de reconnaissance, du droit à la grève et de l'importance des conditions de travail, on ratisse large et c'est fait avec un humour omniprésent qui rend le tout superbement accessible.
En vrac, voici des éléments que j'ai pu apprécier:
Comme les poules sont les pondeuses requises à la confection des œufs en chocolat et que l'usine semble être celle qui donne du travail au village, il est donc assez logique que ce soit les coqs qui assument la domesticité et l'élevage des poussins. Un inversement de travail genré très rare, qui me rappel le roman "Renversante", dans lequel le monde était sous domination matriarcal ( avec les mêmes tares que le système patriarcal, ce qui ne le rend pas mieux). On verra les coqs dans la page vers la fin, où nous sommes dans le village, où un coq balade des poussins, un autre pose le linge mouillé sur une corde ou encore celui qui balaie l'entrée de la maison avec un tablier rose au poitrail. Des papas au foyer, c'est attendrissant à voir.
Josie, celle-dont-on-a-perdu-la-trace, est un comique de répétition. On verra dans le graphisme, sur les panneaux, sur des affiches, dans les dialogues le fait qu'on cherche Josie. Et dans la page finale, une poule lance une dernière fois "Mais où est Josie" et la concernée s'exclame "Je suis là!". Josie a disparu dans la cuve de chocolat et a - à notre totale aberration - survécu dedans durant des jours.
Les demandes des employés sont logiques: des pauses, des vacances, de meilleurs conditions de travail, mais la plus amusante est sans conteste la demande des salades. En effet, à force de manger des briques de chocolat, c'est donc tout naturel de demander ce qui leur manque: des légumes. Les poules ont à cœur leur santé physique, la demande de salades est donc suivie de la demande de faire du sport, pour s'activer et garder un poids santé. Il y a donc une dimension nutritionnelle lié au bien-être et à la santé dans cet album.
Les employées sont le cœur de L'usine et elles ont toute sorte de fonction. Il n'y a donc pas que les poules couveuses, empaqueteuses et confectionneuses qui travaillent, il y a aussi les RH ( Ressources humaines) comme les réceptionnistes, le service des plainte, la conciergerie, la chauffeuse de camion, les agents de sécurité, les responsables des premiers soins et le service des urgence. J'adore comment on voit tous les angles possibles de métiers et de responsabilités requises pour que tout fonctionne correctement dans l'usine. C'est tout un travail d'équipe, où toute une chacune est importante.
Monsieur Lapin a une haute opinion de lui-même au début de l'album, mais si sur son bureau, au départ, traine des carottes qui font office de cigare, des diplômes et trophées pompeux et des tas de photos de lui-même, il n'y a rien de tout ça sur le bureau à la fin. Au contraire, c'est épuré de tout flafla et sur les murs sont affichés des photos avec ses employées et avec Edgar.
Enfin, je ne peux pas passer sous silence un des thèmes que je n'ai pas encore relevé: Celui de la relation employé-employeur. À l'origine des mouvements de grève et la naissance des syndicats, il y a avait cette hiérarchisation sociale extrêmement inégale entre des bourgeois terriblement riches et des employés en grand nombre vivant dans la pauvreté la plus crasse. Il y a avait donc cette mentalité que les employés étaient davantage des pièces que des humains, interchangeables et facilement remplaçables, déshumanisés au point de ne plus considérer leurs besoins. C'est un peu ce qu'on observe dans cet album, cette déshumanisation des poules, poussées à des extrêmes physiques dangereux, malmenés psychologiquement par des insultes et soumises à des cadences qu'on attendrait de machines, mais pas d'êtres vivants. Il faudra donc à Monsieur Lapin un point de rupture pour réaliser l'importance de ses employées et à quel point elles connaissent leur travail. Elles sont à elle seules un riche savoir expérientielle et technique. Cet aspect sera d'ailleurs mit en relief par la part qu'elles occupent dans les décisions à la fin de l'album, en soumettant de nouvelles idées qui seront bénéfiques à l'entreprise.
J'aime la chimie manifeste des poules entre elles, consœurs de travail au comportement solidaire et bienveillant. Elles prennent des nouvelles entre elles, se donnent de petits trucs, s'encouragent, complotent près de la fontaine à eau pour faire grève. Certaines sont carrément hilarantes, comme cette poule qui s'indigne de la suppression des vacances: "Mais j'ai réservé deux semaines aux Maldives!" , ou cette pauvre pondeuse gavée à l'excès: "Oh Berthe, je vais mourir d'indigestion!" , à laquelle répond une consœur: "Mais que vais-je dire à tes poussins?", ou encore la poule qui tente de sauver sa consœur prise sous le tas d’œufs emballés: "Je vais te sortir de là, Gisèle!". Mais la palme revient à ces deux poules qui constatent l’ampleur des problèmes de Monsieur Lapin: " Il a sûrement trop augmenté la pression dans la tuyauterie!", "Amateur", répond sa voisine. Vraiment, ces petites touches de dialogues en bulles sont en quelque sorte l'épice qui parfume de façon parfaite cet album aux relents chocolatés.
J'adore le graphisme, foisonnant de vie et de poules rondelettes, où chaque détail est pensé. On peut s'attarder sur les illustrations, il y a beaucoup à regarder et le tout est bien structuré. Le mélange d'intertextes et de bulles rend sa lecture hybridée. On peut choisir de ne pas lire les bulles, mais ce serait moins amusant. Les pages de garde sont également à observer de plus près.
Alors, pour conclure, je dirais que cet album vient de se placer parmi mes incontournables personnels, de ceux que je vais sans doute défendre dans les années à venir avec enthousiasme. À l'heure où les albums jeunesse occupent plus de place dans les écoles, c’est d'autant plus pertinent de le savoir maintenant sur nos tablettes, prêt pour les cours de CCQ, d’économie et même de psycho , avec son volet sur les besoins, la reconnaissance et le savoir expérientiel. Il aura aussi sa place dans les albums les plus drôles que j'ai lu, avec des poules tellement attachantes et un rare licorne masculin, au centre d'une formidable histoire de travail d'équipe et de solidarité.
À mettre sur toutes les tablettes des biblio-classes, des bibliothèques et des chambres d'enfants. Et à offrir allègrement pour Pâques!
Quand au lectorat, il est accessible pour son humour et sa longueur dès les 6-7 ans, mais je vais surtout le proposer au lectorat intermédiaire des 8 à 12 ans pour tout son volet pertinent, et de ce d'autant plus que les albums pour les e et 3e cycles du primaire sont plus rares en nombres que ceux des 4 à 7 ans. Bien sur, les petits cocos de 4-5 ans du présco qui voudront se le faire lire le peuvent bien sur, mais il faudra être patient.e, il y en a du texte dans cet album.
Pour un lectorat intermédiaire, à partir du 2e cycle primaire, 8-9 ans+
Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à ses listes Les meilleurs albums jeunesse, La Bibliothèque de Sparkus: Si je devais avoir une bibliothèque privée on y trouverait..., Albums Jeunesse: Animaux, Albums Jeunesse: Sujets sensibles et Albums jeunesse les plus drôles
Créée
le 4 mai 2025
Modifiée
le 7 mai 2025
Critique lue 7 fois
BD adulte de 2020, "Chinese Queer" est ce genre de Bd qui comporte une forte dimension philosophique existentielle, un côté de critique sociale et un graphisme assez particulier.Faire un résumé de...
Par
le 22 mai 2022
5 j'aime
Second opus de la série qui a gagné le Prix des Libraires du Québec dans la catégorie BD étrangère, "L'ombre de l'oiseau" est plus sombre et profond, mais prend place dans un monde plus élaboré,...
Par
le 23 oct. 2022
4 j'aime
Cette Bd, qui a un format de roman, donne le ton dès sa couverture: deux gars qui sont appelés à se rapprocher malgré des looks plutôt différents. Même les couleurs illustrent d'emblée la douceur de...
Par
le 25 févr. 2023
4 j'aime