Zizi Cabane est le neuvième ouvrage de l’écrivaine française Bérengère Cournut. La quatrième de couverture de ce bel objet nous laisse à penser que l’on va parler de disparition, de deuil, et laisse deviner une histoire de type coming of age pour les enfants mentionnés. La sublime fresque d’Astrid Jourdain qui vient illustrer l’objet livre et le préambule de la maison d’édition, Le Tripode, nous évoque un univers surréaliste, onirique, teinté de l’absurde de Boris Vian – d’unpoint de vue féminin et sans la ressemblance avec M. Emmanuel Macron.

Ai-je commis l’erreur d’avoir trop d’attentes quant à cet ouvrage ? Cournut est pourtant une autrice distinguée à plusieurs reprises et généralement bien accueillie par la critique. Soyons indulgent et disons que j’ai simplement manqué le coche. Car affirmer que je n’ai pas aimé un seul instant de la lecture de ce roman n’est rien d’autre qu’un euphémisme clément.

En effet, il vaudrait mieux dire que cela a été une véritable épreuve de force que de lire ce livre. L’essai des cinquante premières pages, si j’en crois mon bon souvenir, m’a pris à lui seul deux semaines, et si j’ai fini le reste en deux jours seulement, ce n’est que par l’astreinte d’une rigueur de moine chartreux, cloisonnée dans ma chambre sans aucun contact social ni autre média car je crois que même un téléfilm de Noël diffusé à 14h30 sur TF1 ou M6 m’aurait plus diverti. Si ce n’était pas pour le respect et le soin que j’ai pour mes études, je pense que j’aurais exigé d’être remboursée par la Fnac. Ce livre n’aura même pas l’honneur de faire office de cale-porte dans mon appartement, car une fois le semestre passé, j’ai bien l’intention d’en faire une annonce sur LeBonCoin, quitte à m’en débarrasser pour un euro symbolique.

Cette diatribe préalable fielleuse – pouvant paraître excessive et hyperbolique mais, je vous l’assure, pour moi tout à fait nécessaire pour retransmettre mon bon sentiment à l’égard de l’ouvrage – terminée, entrons donc dans le vif du sujet et cherchons ensemble pourquoi ce livre

m’a-t-il laissée, non pas de marbre, mais dans une ire digne d’Achille après la mort de Patrocle.


Le postulat de base du livre est simple : Odile, femme au foyer et mère de trois enfants a disparu du jour au lendemain, sans laisser derrière elle ni trace ni corps. La famille, dont le cœur a brutalement été arraché, va alors devoir retrouver tant bien que mal un équilibre. Le livre se découpe d’abord en X parties, nommées FONDATION, JARDIN, et autres lieux où une mystérieuse source décide de s’infiltrer aux alentours de la maison familiale ; puis, au sein de ces parties, en plus petits chapitres parfois agrémentés de brefs passages en italique que l’on peut interpréter comme une sorte de flux de conscience de l’esprit d’Odile qui hante sous une nouvelle forme sa famille.

On pourrait donc penser que l’organisation du livre, du récit en lui-même est savamment pensée. Il n’en est rien. Le livre ne se compose que d’un patchwork de scénettes sans véritable introduction, sans que l’auteure ne nous signale les ellipses ou quelques changements de narrateurs. On se retrouve à contempler une mosaïque mal assemblée, avec des morceaux manquants ou dans le mauvais sens qui n’apporte au final pas d’image d’ensemble harmonieuse et aisément compréhensible.


Le récit du livre est d’autant plus cryptique que le roman se compose plus de descriptions passives que de véritables moments d’action. Bien évidemment, à la lecture du résumé, je ne m’attendais pas à la novélisation du dernier blockbuster de Tom Cruise, mais à tout de même quelques rebondissements : l’intrigue s’ouvre après tout sur la disparition sans explication d’une femme, il est donc juste de se demander quel impact celle-ci a eu sur les proches de la victime. Le livre n’aborde pas les interactions entre les enfants, n’aborde pas ce qu’ils ressentent les uns pour les autres, ni pour leur père. On assiste à très peu d’interactions, notamment avec l’aîné, Martin-Béguin. Car oui, à l’image de notre protagoniste, quasiment tous les personnages sont affublés de sobriquets motivés relatifs à leur personnalité – ou semblant de, car au fond il s’agit parfois de leur seule caractéristique : Urbain, originaire de la ville, devient Ferment après avoir emménagé dans la campagne, Chiffon a une affection indéfectible pour les objets dont il est l’éponyme, Zizi Cabane s’appelle ainsi car elle est une fille et qu’il s’agit d’une description de son sexe – nous reviendrons sur ce point particulièrement litigieux plus tard. Seule Odile conserve son nom de naissance : pas d’introspection pour elle, elle demeure ce monolithe indéchiffrable, simple figure de fantasme de madone.

Le livre aime à nous prendre par la main. Parfois c’est utile, car je défie tout lecteur de définir Zizi comme une enfant joyeuse sans l’indication « Zizi est une enfant très gaie ». Parce qu’à travers sa propre écriture, on pourrait comparer la profondeur émotionnelle de la petite à celle d’un mur porteur. Parfois c’est de trop, comme lorsque Ferment nous affirme « j’ai besoin de ce jardin, de ce lien avec Odile ». Oui, merci, je pense que c’était assez clair pour toute personne dotée d’un tant soit peu de compréhension écrite, au vu de ses multiples interventions, que le ruisseau est l’incarnation de l’esprit d’Odile. Plus que de la description c’est véritablement de l’exposition qui nous est allégrement tartinée, comme si l’auteure n’avait pas assez confiance en ses envolées lyriques (plus prétentieuses que poétiques, à mon goût), pour nous transmettre son idée. Surtout qu’à de multiples reprises Zizi va utiliser l’expression « Je veux dire », comme si elle écrivait véritablement avec une intention, puisqu’elle précise le sujet qu’elle souhaite évoquer – cela laisse à supposer qu’il y a une réflexion. Or, quelle conclusion peut-on tirer d’un récit qui ne nous offre au final que des comptes rendus des véritables évènements, une version résumée, et qui laisse la part belle à de (trop) nombreuses descriptions de cette eau fantomatique ?

D’ailleurs cette existence fantomatique n’est autorisée qu’à Odile, car lorsqu’un autre personnage, qui semble être un pilier conséquent pour la famille, décède, on n’en entend tout simplement plus jamais parler. Non, il n’y a que les femmes qui sont enchaînées à leur famille à jamais, cloisonnée dans une existence qui se doit d’être dévouées aux autres (à nouveau, nous y reviendrons plus tard). Et pourtant, quand Ferment – dix ans après sa disparition – affirme « Je vois que tu nous meus », je ne peux pas m’empêcher d’être complètement interloquée. En quoi est-ce qu’elle a impacté qui que ce soit ? Je peux concevoir qu’elle est influée sur l’apparition de Marcel Tremble, puisqu’il est supposément son vrai père (une question qui n’est jamais vraiment résolue d’ailleurs ; tous les petits mystères du roman étant soit complètement éludés soit résolus de manière tout à fait anti-climatique en une page et demi) et que la perte de sa fille aurait pu le pousser à se rapprocher de sa famille. Mais elle n’a fait que bloquer Ferment, elle n’a pas poussé Ferment a devenir géologue, ni Béguin à faire de la moto puis entrer à l’école militaire, et elle n’a encore moins fait pour Zizi puisqu’au final cette dernière ne l’a jamais vraiment connu.

De manière capillotractée, on pourrait conjecturer que c’est son absence, le manque d’une figure maternelle, qui la pousse à assouvir ses pulsions de mort en sautant de la moto de son frère. D’autant plus qu’elle se retrouve à la suite de son accident amputée d’un bras, après quoi tous les personnages semblent libérés d’un poids. Mais force est d’avouer que je trouve moi-même cette théorie fumeuse, car au fond je ne comprenais strictement plus rien à ce qu’il se passait dans cette partie du livre – c’est la seule raison pour laquelle je lui laisse le bénéfice du doute.

Cette absence d’action, de véritable intrigue, car on ne voit pas véritablement les épreuves que les personnages traversent, aurait pu malgré tout demeurer intéressante. Mais l’écriture manque ici cruellement d’une couleur contemplative qui aurait pu donner au roman des allures de tranches de vie, tel un film de Hayao Miyazaki.


Or, un des points de discorde les plus importants que j’ai avec ce livre est son style d’écriture qui vient malheureusement pour lui toucher la mauvaise corde sensible en moi. Le style n’est pas neutre, il est plat, sans nuance aucune qui pourrait nous permettre de deviner quoi que ce soit de l’intériorité des personnages. La preuve, il m’a été à plusieurs reprises impossible de deviner qu’il s’agissait d’une autre personne que Zizi qui écrivait jusqu’à ce que cela soit explicitement indiqué dans le texte. Que Zizi et Chiffon aient une écriture similaire, soit, ce sont des enfants, je peux l’entendre. Mais c’est également le cas de Ferment et Jeanne. Aucun d’eux n’a une voix « propre ». Et je refuse d’entendre toute excuse de type « C’est parce que c’est le style de l’auteure, c’est volontairement uniformisé », puisqu’il y a une exception. En effet, Béguin, lui, a un discours plus oralisé qui le rend donc bien plus intéressant à lire – toute mesure gardée, bien sûr. On sent dans ses paroles tout l’esprit rebelle de la crise existentielle d’un adolescent qui se languit d’un ailleurs de ce qu’il a toujours connu, en un joli parallèle de la rencontre de ses parents.

Cette neutralité est d’autant plus dérangeante quand Zizi relate ladite rencontre. En effet, celle-ci est racontée au présent, avec des dialogues, plus que dans toute autre partie du roman. Elle relate tout cela comme si elle y avait véritablement assisté, comme une sorte de point de vue omniscient. Or il est impossible qu’elle ait assisté à cette rencontre. C’est d’autant plus choquant en comparaison des évènements auxquels elle participe véritablement et sur lesquels elle a un avis, un ressenti très détaché puisqu’elle ne nous en dit rien. Quand Marcel meurt, aucune émotion ne peut être devinée dans l’écriture. Elle est décrite sur leurs visages, on nous dit qu’elle est présente, mais dans l’écriture elle n’apparait pas comme tangible. Marcel est mort. C’est un fait. C’est tout. Zizi ne réagit tout simplement à rien. Ce qui est supposé être son flux de conscience ne consiste au final qu’en de longues descriptions des paysages alentours et surtout du filet d’eau.

Plus que la neutralité – le plat, même – de l’écriture, c’est l’inconsistance du style qui est vraiment le fil rouge de mon irritation envers ce roman. J’ai déjà mentionné que tous les personnages s’exprimaient de l’exacte même manière – alors qu’il s’agit supposément d’écrits personnels : des lettres pour Chiffon et Jeanne, et un cahier pour Ferment. Mais cette manière en elle-même n’est pas cohérente. Zizi va à la fois s’exprimer comme une enfant de son âge et comme une femme plus âgée. Dans un moment d’émotion entre elle et Chiffon, elle se met à pleurer face à la beauté des cartes de ce dernier. Elle évoque des « larmes en cascade », et juste après Chiffon lui demande « Qu’est-ce qu’il se passe ma banane ? ». Non seulement la réaction de Zizi vient flirter d’un peu trop près avec ma suspension d’incrédulité, mais la question et surtout le surnom que lui adresse son frère vienne complètement briser le sentiment de la scène. Tour à tour elle fait référence à « Marcel » ou « Pépé », « Odile » ou « maman », « Ferment » ou « papa ». De la même manière, elle va s’étonner du « mur qui fait pipi », ou du terrain car « quand le temps est humide, ça glisse pas mal », des réflexions qui semblent puériles et donc adaptées à une enfant ; mais quelques lignes plus loin elles utilisent des expressions comme « il suffit à » ou « les gens sont regardant à leur ferraille », dont la grammaire me semble datée et incorrecte – alors que je viens moi-même de la campagne. Le terme « godichons » qu’elle emploie à l’encontre de quelques adolescents qui embêtent son frère me parait de la même manière complètement désuet. Et on peut également rajouter « je m’ennuie de lui » et « les averses se succèdent, longues et silencieuses » qui m’ont tout bonnement donné l’impression d’être en train de lire Jane Eyre de Charlotte Brontë. Et toutes ces occurrences ont lieu au début du roman, c’est-à-dire quand Zizi est à son plus jeune âge. Tandis qu’à la fin du roman, elle se montre plus juvénile, même dans ses pensées avec des interjections telles que « oui, ouiiiiiiiiii ». En toute logique, cette forme d’oralité aurait dû être présente dès le début du roman et aller en disparaissant au fil de la croissance de Zizi. Elle arrive bien trop tard dans le roman dont la lecture m’a trop ennuyée pour la grande moitié pour que je commence à m’investir maintenant. En faisant l’avocat du diable, à nouveau, on pourrait supputer que l’auteure cherche à montrer que sa protagoniste s’est libérée du deuil qui pesait sur son enfance et qu’elle peut enfin renouer avec une forme de naïveté infantile. Mais cette justification me semble à nouveau bien mièvre pour expliquer tant de maladresses.


Lors du dernier chapitre, Zizi n’est plus que Cabane. Son sexe et, par métonymie, tout son être devient une maison pour un homme. Tout comme Jeanne ne peut être heureuse en se dédiant tout entière à son travail – il faut qu’elle laisse entrer un homme dans sa vie. Tout comme Odile continue, même dans la mort, non pas de hanter la maison mais sa famille, une présence continuellement présente à les surveiller, les couver. Même dans la mort, Odile n’a pas d’existence propre : son existence n’est possible que par rapport à ses enfants, mais surtout par un homme. De la même manière, quand Elvire quitte Béguin, elle ne mérite plus à ses yeux « que je lui cogne la tête contre la margelle ».

C’est une image complètement réductrice de la femme que nous présente Cournut, qui m’a mise hors de moi tout au long du livre. Mais c’est véritablement le dernier chapitre qui a été la pire insulte pour moi, car en plus de sombrer dans une objectification et une forme de misogynie internalisée, on patauge alors dans une hétéronormativité si chronique qu’elle en est risible. Toute l’avant-dernière section du roman nous présente Urs, une jeune femme avec qui Zizi se lie d’amitié, grâce à qui elle apprend à s’accepter avec son nouvel handicap. Zizi se découvre à travers elle, explore ses premières fois, par exemple avec une cigarette – mais il est aisé d’en deviner d’autres. Urs est présentée à la famille, elle est introduite au cœur de la tribu qu’on nous a rabâché être le noyau du roman, et elle semble y trouver parfaitement sa place. Et, soyons honnête, Urs coche toutes les cases de la lesbienne dite butch dans sa représentation mainstream, c’est-à-dire qui utilise des codes masculins dans son apparence et dans son attitude. On assiste au développement de cette relation, à la construction d’un début d’intimité tant émotionnelle que physique entre ces deux jeunes femmes…

Tout cela, pour qu’au chapitre suivant on retrouve Zizi – pardon, Cabane – dans les bras d’un homme qu’on ne peut en aucun cas avoir vu venir. Pardonnez-moi le jeu de mots, ce n’est pas parce qu’il est aveugle que je dis ça, mais bel et bien car j’ai vraiment cru au début, qu’à l’image de notre protagoniste, il s’agissait simplement d’Urs sous une nouvelle identité. Mais non, volte-face, trahison, presque, pour le lecteur qui aurait réussi à s’investir dans cette esquisse de relation.

Cabane n’est effectivement pas Zizi. Elle n’a rien en commun avec la protagoniste que l’on a pu suivre depuis le début du récit. Plus de rêves, plus d’intérêt pour sa famille. A l’image des autres femmes du récit elle n’est plus là que pour faire figure de foyer, de point d’ancrage à un homme.


Dans le cadre de la critique de cinéma à laquelle, force est d’avouer, je suis plus accoutumée, il est de rigueur de noter un film en terme d'étoiles. Je n’en accorderai qu’une et demi à Bérangère Cournut pour Zizi Cabane. Au-delà du récit que j’ai trouvé aussi creux que les personnages qui l’incarnent, c’est la constante inconsistance de l’écriture de l’auteure qui m’a rendu la lecture particulièrement désagréable. Qui plus, la vision de la femme – et ce n’est que pour aborder le pot-aux-roses car j’aurais également à redire sur l’exotisation de la femme noire – présentée dans un roman rédigée par une femme et qui s’apparente à un conte, donc adressé à la jeunesse, m’a mise tout à fait hors de moi. Je peux concevoir que le style n’ait pas été pour moi, je lis plus généralement du policier ou de la fantasy. Mais il y a des incartades sur lesquelles, peu importe le genre, je ne peux passer outre.

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le 18 févr. 2025

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