En 2015, la parution du premier roman de la tatare Gouzel Iakhina, Zouleikha ouvre les yeux, n'est pas passée inaperçue en Russie avec plusieurs prix littéraires à la clé et un joli succès public. Il mériterait les mêmes honneurs en France, avec la traduction remarquable de Maud Mabillard au service de l'exceptionnel talent de cette romancière, certes débutante (elle avait 39 ans au moment de la sortie initiale du livre) mais dont le cursus intègre le passage dans une école de cinéma avec une spécialisation dans l'écriture de scénarios. Elle espère d'ailleurs qu'un jour son roman deviendra un film ou, plus adapté vu sa touffeur, une série télévisée. Zouleikha n'est pas au demeurant un livre si facile d'accès, sa première partie notamment, riche en de très longues descriptions, pourrait rebuter ceux qui privilégient l'action. Qu'ils fassent preuve de patience, elle arrive, et ce n'est pas de la demi-mesure. L'auteure, qui s'est inspirée d'un pan de la vie de sa grand-mère, raconte l'histoire d'une paysanne tatare, musulmane, qui voit d'abord son mari se faire assassiner avant de prendre part à la "dékoulakisation" imposée par les autorités soviétiques (6 millions de personnes déplacées au début des années 30). Zouleikha, avec ses congénères, va devoir voyager à pied, en train puis en bateau, durant de longs mois où les plus faibles meurent en route. Jusqu'à un endroit désolé de Sibérie où une colonie va naître, à partir de rien, et surtout pas d'un quelconque moyen de subsistance. Le livre est un incroyable roman d'aventures qui se développe sur une quinzaine d'années mais aussi et peut-être surtout un époustouflant portrait de femme, soumise, pieuse et craintive (elle croit aux esprits de la nature) qui va s'endurcir et se libérer de ses peurs, non sans mal. Sa rencontre et ses relations avec le deuxième personnage principal du livre, un militaire russe et communiste constitue une autre part importante dans la progression d'un roman beaucoup trop riche et dense pour pouvoir être résumé en quelques lignes seulement. Tant du point vue historique, social, psychologique que sous ses aspects de thriller, tragédie, mélodrame ou même de "survival", Zouleikha est un livre sidérant de talent narratif et de beauté noire. Une très grande romancière est née. Par pitié, dans la jungle de la rentrée littéraire, faites-lui une petite place, elle le mérite amplement.

Cinephile-doux
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le 5 sept. 2017

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