J’ignorais tout de Bob, des Wailers et du reggae en posant les pieds en Afrique. J’avais signé pour un volontariat de deux ans. S* est venu m’accueillir à l’aéroport. Nous allions vivre côte-à-côte. S* et ses potes étaient rastas. La première année de cohabitation fut difficile. Nous ne possédions qu’un seul lecteur de cassettes. Brel, Brassens et Ferré, c’était moi. Bob Marley, Peter Tosh et Bunny Wailer, c‘était eux.


Le reggae, c’est un rythme à quatre temps. Le second et quatrième temps sont marqués d’un accord à la guitare, le troisième par un one drop de la caisse claire. C’est simple. J’ai appris à écouter. J’ai découvert le cannabis ; sous toutes ses formes, joint, pipe, pipe à eau (bong). Je lui dois des délires hallucinatoires extravagants et un peu trop, à mon gout, persistants. C’est cool, man ! Je dois être trop fragile.


Je leur dois ma rencontre avec Bob Marley. « Bob is not dead ! » Fils d’un vieux contremaitre blanc et d’une jeune jamaïcaine, Bob a dû se battre. Confronté à la misère et au racisme ordinaire, il ne connaîtra qu’une tardive reconnaissance.


Bob est rastafari. Cette hérésie judéo-chrétienne entend redonner sa fierté au peuple noir. Jésus était égyptien, black et le salut viendra du roi des rois, le négus. L’Éthiopie fut le seul pays africain à résister victorieusement à la colonisation. En attendant son avènement, le rasta évitera de se couper les cheveux et de consommer alcool et viande.


Bob entend réveiller les consciences. Il appelle à la révolte, à la légitime défense, à la destruction de Babylone, symbole de toutes les injustices. Une oppression fruit d’impostures chrétienne, païenne, raciste ou capitaliste. Écoutez le chanter (Babylon system) :
Je dis que le système de Babylon est le vampire
Qui suce le sang des malades
Qui construit les églises et les universités
Qui déçoit les gens continuellement
Et qui décerne un diplôme aux voleurs et aux meurtriers
Prends garde maintenant
Ils sucent le sang des malades
Dis la vérité aux enfants, dis la vérité aux enfants


Parmi son abondante production, j’avoue un faible pour No woman, no cry (1974). Évitons le contresens : il n’appelle pas à la disparition de la gent féminine comme réponse à la misère ! Au contraire ! Il évoque ses souvenirs de vie communautaire dans le ghetto de Trenchtown, alors qu’il ne possédait rien d’autre que ses pieds pour marcher et sa voix pour chanter, pour interpeller les femmes et leur adresser un message d’espoir :


https://www.youtube.com/watch?v=jGqrvn3q1oo


And then Georgie would make the fire lights,
I seh, logwood burnin' through the nights, yeah !
Then we would cook cornmeal porridge, say,
Of which I'll share with you, yeah !
My feet is my only carriage
And so I've got to push on through.
Oh, while I'm gone,
Everything's gonna be all right !


La vidéo date de 1979. Le visage est émacié, les traits creusés, mais la voix reste ferme. Bob ignore que son cancer s’est généralisé, qu’il lui reste moins de deux ans à vivre. Il se convertira le 4 novembre 1980 à l'Église orthodoxe éthiopienne et mourra le 11 mai suivant. Les yeux clos, ce n’est plus en chanteur, mais en prophète, qu’il harangue son peuple.


J’ai échoué à transmettre cette passion à mes proches. J’en suis réduit à l’écouter en cachette. Triste.


Everything's gonna be all right, yeah !

SBoisse
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le 13 sept. 2017

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Step de Boisse

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