61st Street
6.1
61st Street

Série AMC, The CW (2022)

Vue un peu par hasard, sa réputation ayant oublié de la précéder, cette série en 8 épisodes, pour la première saison (la seule vue jusque là) est une bonne surprise parce qu'elle rentre dans le vif du sujet dès le premier épisode, aligne un casting irréprochable et aborde des sujets graves et complexes de la même façon. Nous voilà donc dans un quartier chaud de Chicago, où il est quasiment surhumain de ne pas sortir du droit chemin. C'est pourtant ce qu'essaie de faire le héros, Moses Johnson, en entrant à l'université grâce à ses capacités athlétiques, une spécificité américaine (qu'on pourrait comparer au droit à s'inscrire au concours de professeur des écoles pour une mère de trois enfants chez nous si on était taquin). Il mène la vie ascétique d'un athlète de haut niveau jusqu'à ce qu'il se retrouve dans une fusillade policière et utilise son aptitude à courir comme un dératé pour s'enfuir. Le début de la fin de cette existence prometteuse. Il était le seul à pouvoir espérer s'extraire de la nasse où ses semblables sont confinés et le voilà poursuivi par toutes les polices de la ville. Et on sait ce dont la police est capable aux États-Unis, on ne dort plus aussi sereinement depuis la mort de Georges Floyd et ces images impossibles à oublier. Le postulat de cette histoire, c'est que les types comme Dereck Chauvin sont légion dans les forces de police locales et que, de ce côté-là de l'histoire, il est également difficile de se sortir de la nasse. Ce sont donc des parcours moraux qu'on nous propose, c'est toujours édifiant, et un film de procès sur la fin, genre qui ne se refuse pas, parce qu'il concentre en une salle tous les enjeux sociaux de n'importe quelle communauté. Un concentré de préjugés, de règles contraignantes, de mensonges et de rituels toujours édifiant. Huit épisodes, c'est suffisant pour faire le tour d'une situation explosive et déplorable, et démontrer que la violence et l'injustice n'engendrent que le malheur de tous, bourreaux et victimes, même si les premiers semblent à priori mieux lotis. Au milieu de ce marasme, il faut des figures fortes et exemplaires, et le couple formé par l'avocat de Moses et sa femme, qui se lance en politique par idéalisme, offre l'image d'une forme de salut dans l'oppression : la dignité. Les mères en particulier sont un rocher sur lesquels toute une communauté peut s'appuyer, mais on se demande où elles trouvent la force d'assumer ce rôle de phare dans une nuit aussi poisseuse. Bref, cet état des lieux d'une société toujours un peu au bord de l'implosion offre de jolis portraits, de beaux moments dramatiques et un résumé de bien des aspects scandaleux de la prospérité affichée des États-Unis, gagnée en parasitant le monde, comme toutes les puissances coloniales de notre jolie planète (racisme institutionnel, violences policières, corruption, réponse carcérale inadaptée, terrorisme d’État, omerta, déficit éducationnel, ghettoïsation, économie criminelle parallèle, etc.) . Pas de quoi se détendre, donc, mais plutôt fourbir des arguments contre certains discours contemporains qui érigent le système libéral en modèle à suivre. Non, l'oppression n'est jamais souhaitable, car elle n'élève personne, à quelques exceptions héroïques près.


Saison 2

L'avocat qui a sauvé Moses étant en phase terminale d'un cancer virulent, on ne s'attend pas à le retrouver à la manœuvre dans la saison 2, mais celle-ci a la bonne idée de commencer le soir-même de la fin du premier procès. La famille de Moses a de quoi se réjouir, au terme d'un chemin de croix particulièrement cruel, mais les policiers de Chicago ne sont pas à la fête : leur machination a été déjouée et l'impunité dont ils peuvent habituellement se targuer a été remise en question. Ils enragent car leurs prochaines fictions ne seront plus aussi forcément couronnées de succès. La galère, quoi. On les empêche de punir les Noirs comme il se doit, c'est une remise en cause de l'ordre divin, une attaque personnelle, un déboulonnage redouté de leur institution. Et ça énerve tout particulièrement Johnny, le partenaire du policier tombé dans la première saison, un jeune homme sur le fil, complaisant avec le système et néanmoins doté d'une certaine conscience, dont il aimerait souvent se passer. Quasiment un fils pour le très chevronné lieutenant Brannigan, jusqu'à ce qu'il faille finalement tuer le père pour exister. Rien que de très classique, me direz-vous. Sauf que tout le contexte autour répercute cette lutte intérieure entre le Bien et le Mal. Tout le monde a le plus grand mal à ne pas se laisser happer par des logiques délétères, hégémoniques et intraitables. Et, dans cette histoire de racisme ordinaire, personne n'est ni tout blanc ni tout noir. Enfin, presque personne, parce que notre avocat condamné à mort, lui, au pied du mur, peut jouer sa dernière partition, son chef d’œuvre (tout en trouvant un expédient pas très légal pour prolonger son agonie). Il lui faut renoncer à tout, parce que son premier mouvement ressemble à une trahison, mais il a une chose chevillée au corps, à défaut de la vie : l'intégrité. Cette intégrité dont la série propose qu'elle peut tous nous sauver, socialement et individuellement. Car le diagnostique est sévère : la corruption règne depuis toujours et les choses resteront ce qu'elles sont tant qu'on n'y mettra pas un terme par une véritable aspiration collective. Il faut commencer par un sacrifice individuel ayant valeur de martyre. Même le curé noir s'en émeut : l'avocat se prend-il pour Dieu ? La réponse fuse : sur qui d'autre prendre modèle, hein ? On se le demande dans une société gangrénée, où le pouvoir politique dépend de sa capacité de compromission, où la police règne par la terreur, où les petits chefs abusent de leur position dominante, où la soumission est intégrée à l'éducation des jeunes noirs dès le berceau parce qu'ils risquent leur vie à s'opposer à l'oppression blanche. Mais pas seulement blanche, puisque pour s'en sortir, des Noirs aussi intègrent les forces de polices et les instances du pouvoir politique. Sortir du lot, voilà la seule issue pour assurer sa sécurité. Mais pas sa tranquillité d'esprit et ça, le scénario le démontre avec le même brio qu'il prend en compte les motivations de chacun des personnages. Bref, une démonstration brillante, à même de provoquer des discussions fertiles, voire des réactions salutaires. Parce que les temps ont changé et que les victimes jadis isolées ou ostracisées ont cessé d'être seules. Collectivement, nous commençons à pouvoir mesurer l'impact de nos choix, ou de nos non-choix parfois. Voilà donc une œuvre utile autant que passionnante, car la réalisation ne lâche pas le spectateur, notamment dans les scènes de procès, finement agencées. Bref, très, très hautement recommandable, en somme, même si la fin peut passer pour utopique. Perso, j'en ai soupé des dystopies et je trouve que nous méritons de retrouver notre capacité à rêver d'un monde meilleur.

Créée

le 6 mai 2025

Modifiée

le 23 mai 2025

Critique lue 21 fois

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