La Glaise de Verdun est Devenue une Nécropole Mouvante où les Vivants Côtoient les Morts

Je ne vais pas revenir en détail sur les aspects techniques et formels qui font la qualité et la force d'Apocalypse, à savoir l'utilisation des images d'archives colorisés et sonorisés avec soin, la voix-off inimitable de Mathieu Kassovitz, ainsi que les musiques épiques ou intimistes. J'y suis revenu à l'occasion d'une critique-fleuve sur ce chef d'oeuvre qu'est "Apocalypse 1ère Guerre Mondiale".
Cet "Apocalypse Verdun" nous en offre un excellent prolongement, avec toujours le même état esprit engagé, bien qu'il s'agisse d'une commande de France Télévisions.


On sait à quel point la bataille de Verdun occupe une place particulière dans la mémoire nationale façonnée par les dirigeants français, qui ont préféré gardé le souvenir d'une bataille défensive, plutôt que celui des assauts suicidaires comme Le Chemin des Dames. A ce titre, les dirigeants allemands ont eux plutôt retenu la bataille de la Somme. Dans cette logique mortifère du patriotisme, une bataille défensive donne le beau rôle de l'armée agressée qui résiste coûte que coûte et défend son pays qui n'a pas voulu la guerre. Pourtant, le documentaire garde toute sa fibre anti-patriotique et anti-militariste, et va à contre-courant du diktat mémoriel.


La clé de ce documentaire, c'est de montrer toute l'étendue de la souffrance humaine des soldats (sans oublier d'évoquer celle des femmes qui triment à l'usine). Pour parvenir à faire comprendre la misère de la guerre, l'ingéniosité consiste à insister sur la souffrance des ennemis, des attaquants, que sont les soldats allemands conquérants, car derrière leur long manteau et leur casque d'acier, ce sont des êtres humains qui ont eu le même vécu que les soldats français. Ils doivent obéir aux ordres et vivent tous les mêmes horreurs de la guerre qui leur ont été imposées par la conscription.


Le contraste est toujours saisissant avec les généraux déconnectés de la réalité. Même si le documentaire loue à juste titre l'humanité rare du général Philippe Pétain, comment peut-on ne pas être révolté d'apprendre qu'il accumulait les aventures avec des jeunes femmes en pleine bataille de Verdun pendant que ses soldats croupissaient dans la boue des tranchées? Que dire du commandant en chef Joseph Joffre obnubilé par son projet d'offensive sur la Somme et par le prestige qui pourrait en découler. Que dire du fils du Kaiser Guillaume II, le Kronprinz, qui n'a jamais tenu un fusil autrement que pour la chasse et qui se retrouve à diriger une offensive à la tête d'une armée de plus de 100 000 hommes.


A ce contraste entre la misère des soldats, et la mascarade des généraux, le documentaire nous propose de découvrir des personnalités héroïques méconnues, comme le député Emile Driant, qui contrairement à d'autres patriotes planqués, a eu le courage de ses idées. Une fois au front à Verdun, le lieutenant-colonel a résisté éperdument dans le bois des Caures au tout début de l'attaque allemande, avant de mourir exterminé au même titre que 1700 de ces hommes. Il y aussi la médecin Nicole Girard-Mangin, l'une des seules femmes à avoir réussi à être incorporée dans l'armée, et à laquelle aucun hommage national n'a été rendu, seuls les poilus survivants ont témoigné de leur reconnaissance. On est aussi marqué par le soldat Jean Fendrich, qui à 15 ans, a déjà une allure imposante et un regard déterminé.


On n'oublie jamais certains des visages et des paroles de ces soldats ordinaires, comme le soldat français Joseph Abadie, ou le soldat allemand Paul Ettighoffer, qui ne sont que des exemples parmi tant d'autres de toute cette humanité sacrifiée, indépendamment de leur pays et de leur camp. Les écrits des soldats sont d'une intelligence et une sensibilité remarquable. Leurs morts sont atroces, les hommes agonisent souvent sur le champ de bataille, comme à l’hôpital militaire, lieu de misère par excellence où les blessés graves sont entassés dans une atmosphère pesante de promiscuité et de cris, et qui n'ont que peu de chances d'être sauvés. Pour les survivants, c'est souvent une existence traumatisée, voir la folie qui les attend. Beaucoup sombreront dans le mutisme à propos de leur expérience de guerre et tenteront d'enfouir leurs souvenirs au plus profond d'eux-mêmes.


"Apocalypse Verdun" raconte l'indicible souffrance de ces êtres humains qui sont nos ancêtres, et qui n'avaient rien de guerriers, qui étaient sensibles, mais qui pourtant ont vécu le pire.

Créée

le 2 déc. 2019

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TheStalker

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