Girls
6.6
Girls

Série HBO (2012)

Au début de la série, Shoshanna, l'adulescente candide, exhibe fièrement l'affiche de Sex & The City sur le mur de sa chambre de princesse wannabe : une référence volontaire que Girls s'empresse de prendre à contrepieds, comme un crédo, celui de mettre les points sur les i, de tourner les codes éculés de la rom-com mielleuse en dérision. Car Girls est une série méritante, et que le monde a besoin de plus de Lena Dunham. Réduire la série à un programme de filles est une erreur, et cette étiquette résulte plutôt du fait qu'elle présente des personnages (presque, Adam n'est pas en reste) exclusivement féminins sous leur jour le plus réaliste.

Je dirai, en revanche, qu'on se plaît à la désigner comme telle car ces personnages n'ont pas été écrit pour plaire et que, de ce fait, se dérobant au regard masculin objectivant, ils se font reléguer à un public féminin plus enclin à les apprécier. C'est une série de filles, mais pas seulement, surtout parce que ses (anti)héroïnes peuvent enfin se targuer d'être réalistes : Girls est politiquement incorrect, et ça gêne.

Qu'on ne reconnaisse pas ses qualités intrinsèques, c'est une chose, mais qu'on déprécie sa créatrice et son personnage pour son poids et ses névroses, tout en se prétendant anti-conformiste, ça relève de la mauvaise-foi conventionnelle. En tant que fille, je n'ai pas peur de dire que j'ai rarement eu l'occasion d'être confrontée à des personnages féminins aussi réels. Et ça soulage.

Ca soulage car les séries, plus que n'importe quel autre médium, font très rapidement office de miroir de nos sociétés, du moins d'une certaine mentalité générale qui s'en dégage : observer continuellement les femmes se battre pour occuper l'écran, être limitées à des seconds rôles de potiches-écervelées-sidekicks-en détresse, c'est oppressant. Et au fond, quand Girls ne plaît pas, c'est qu'elle est trop réaliste, et qu'il devient immédiatement plus aisé d'accuser Lena Dunham de féminisme hystérique que d'admettre qu'elle montre simplement ce que d'autres aimeraient mieux ne pas voir.

Ecoutez des hommes faire de l'humour gras en dessous de la ceinture, et personne ne bronchera. En revanche, entendre des femmes parler de leurs propres désirs sexuels (t'as du clito) suscite systématiquement un scandale, on crie à l'outrage, on appelle à la censure, et le terrible politiquement correcte reprend ses droits. Et le politiquement correcte, Lena Dunhnam lui marche dessus. C'est là que réside toute la force de sa série.

On regrette en revanche que sa palette de représentation soit socialement si réduite à une sphère privilégiée– une bande de vingtennaires blanches issue de la middle-class américaine –même si le portrait dressé se place en digne héritier d'une tradition mumblecore : elle parvient à capter des tranches de vie à l'envolée, entre la poésie légère, à la limite du surréalisme, d'un Jim Jarmusch et les digressions bavardes d'un Woody Allen.

C'est l'histoire de quatre amies, toutes drastiquement différentes, qui emménagent à New-York des rêves plein la tête, et goûtent peu à peu à l'amertume de la désillusion : combinant maladroitement objectifs et réalité, elles jonglent perpétuellement entre la précarité économique de leur situation et des relations – sexuelles, pas toujours sentimentales – sordides. Et c'est en ça que Girls excelle, dans sa manière de reformater des idées préconçues et de les remettre à neuf, donnant une voix à ceux qui en sont, finalement, relativement dépourvus.

Girls observe ces jeunes femmes, pour le meilleur et pour le pire, en faisant d'elle des role-models certes imparfaits, mais positifs, en cela qu'on peut s'y identifier sans se sentir culpabilisé. La série n'a de cesse de mettre en avant des figures occultées mais bien réelles, celles de femmes mal dans leur peau, angoissées, incertaines, maladroites, mais qui s'assument. Et si Hanna (jouée par Dunham elle-même) déplaît autant, c'est bien parce qu'elle ne se conforme pas : ni aux envies de son entourage, ni à ceux des spectateurs, décontenancés par un personnage qui préfère, au final, être elle-même et reste seule, que d'avoir à prétendre pour combler un manque affectif.

Encore une fois, le paysage féminin à la télévision se doit de rechercher une exhaustivité dans ses représentations qui connaissent si peu de nuances, s'accrochant à des canons de beauté avilissants et inaccessibles : quand elle dévoile son corps, rond, de ceux qu'on évince de l'image, Lena Dunham ne cherche pas à choquer, elle souhaite juste, comme tout individu, rappeler qu'elle existe, défaire le mensonge, s'approprier un espace ; en l'occurrence, l'écran ; qu'on avait établi hors de sa portée mais qu'elle a déjà commencé à reconquérir. Merci.

Lehane
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le 29 janv. 2014

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