The Shield
8.1
The Shield

Série FX (2002)

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Quand les américains se torchent avec les droits de la défense


Réac ou pas réac ?



Je suis toujours gêné lorsqu'il s'agit de déduire l'intention des auteurs de ce que raconte l'oeuvre elle-même, comme si l'auteur devait nécessairement être lié aux interprétations plus ou moins fumeuses que l'on pourrait tirer de son oeuvre, ce que j'ai toujours trouvé plus ou moins douteux, et ce qui est d'ailleurs régulièrement contesté en jurisprudence (cf par exemple le cas de l'affaire du rappeur Orelsan où les plaignants l'accusant de sexisme en raison des paroles d'une chanson ont été logiquement déboutés), même si parfois un faisceau d'indices suffisamment concordants permet de se faire une petite idée, mais le débat ne devrait pas être là.


Cette assimilation croissante entre l'opinion personnelle de l'auteur et le propos de son oeuvre atteint parfois des proportions insupportables, dans un domaine où précisément toute oeuvre d'art devrait s'autonomiser, se détacher de ses créateurs dont les motivations personnelles deviendraient dès lors parfaitement étrangères, insaisissables, pour ne pas orienter la pensée du spectateur qui serait ainsi libre d'y piocher et d'y voir ce qu'il souhaite sans qu'on lui intime de rejeter ou d'apprécier d'office telle ou telle oeuvre en raison du background de son auteur, ce qui constitue un degré de malhonnêteté intellectuelle absolu.


Alors, the shield, série réac ou pas réac en tant que telle ?


A mon avis, tout démarre d'un problème structurel de récit :
Pour faire la comparaison avec l'inévitable "The Wire", où on a un grand maximum de 2,3 enquêtes + un fil rouge par saison, dans the shield on a une enquête par épisode (de 45 minutes), + un fil rouge et ça change tout.


Donc dans the Wire, en raison du nombre restreint d'enquêtes, on a du temps pour développer les personnages (que ce soit les policiers, les voyous, les victimes, les politiques) avec parfois plus ou moins de réussite certes (cf l'exemple du traitement de la vie privée de Kima qui est un gros point faible), pour explorer les thématiques sociétales, pour creuser les investigations et les étirer dans le temps. On voit donc se développer un univers riche, dense, crédible et passionnant.


Dans the Shield, un épisode ne dure que 45 minutes, et il faut à la fois traiter une (ou parfois deux!) enquête(s), et gérer le fil rouge de l'histoire...
Du coup, les scénaristes doivent faire des choix radicaux :



  • Les enquêtes sont torchées : ça va à 10.000 à l'heure, on a jamais une seconde pour respirer et cette frénésie devient vite épuisante.


  • Pour les rendre spectaculaires on fait un traitement NRJ12 "la police en banlieue", avec des schémas ultra répétitifs et lourdingues : On trouve un témoin qui indique où se trouve le méchant, on défonce la porte du méchant, on attrape le méchant, on le tabasse, on embarque le méchant au poste, on l'interroge, on le tabasse, on découvre qu'il y a un autre méchant encore plus important, on lui défonce sa porte, on lui court après (parce que les suspects s'enfuient toujours par la fenêtre du fond), on le plaque au sol, on lui donne un gros bourre-pif, on l'embarque au poste, on l'interroge, il veut pas avouer la vérité, on le tape, il avoue la vérité, affaire bouclée, tout le monde est happy.


  • Accessoirement on filme ça n'importe comment, avec un montage brut de décoffrage, des cuts tous azimuts, des gros plans et des zooms bourrins.


  • On ne quitte jamais ce point de vue, aucune diversification, on a du coup des dizaines d'épisodes copiés/collés avec toujours les mêmes intrigues interchangeables (on remplace un noir par un mexicain, et un mexicain par un arménien), pour des saisons rébarbatives et lourdingues (les pires étant la 2 et la 3).


  • En raison du manque de temps, jamais la question des victimes, ou des voyous n'est posée. Le seul et exclusif centre d'intérêt dans la série, ce sont les flics, et vaguement les politiques. Du coup on se retrouve avec des flics vs des voyous qui ne sont que des personnages-fonctions, complètement désincarnés, sans la moindre personnalité, à l'image des indiens zombie de John Ford. C'est complètement unilatéral.


  • Ces voyous sont sous-traités, ils n'ont donc aucune personnalité, ils sont très cons, très méchants, nécessairement coupables (souvent pour délit de sale gueule), et le principal enjeu de la série, c'est de leur faire cracher (pour ne pas dire dégueuler) la vérité. La fin justifie les moyens pour rendre la ville (enfin le quartier) plus sûre, il faut les tabasser, les insulter, les intimider, les menacer (tu vas te faire planter en prison si tu parles pas), éviter à tout prix qu'ils fassent valoir leurs droits, les manipuler (à un moment le personnage de CCH Pounder se vante de la technique d'interrogatoire qui consiste à prêcher le faux pour savoir le vrai).
    Sans parler du mépris constant envers les avocats considérés comme des vautours avides, prêts à bondir sur le moindre vice de procédure dans le seul but existentiel de remettre dans les rues des crapules et des serial killer, le tout étant évidemment agrémenté d'un rire démoniaque.



Bref il y a dans cette superficialité, quelque chose d'assez détestable.
Mais là encore, si le cadre est profondément réac, et objectivement très simpliste, le propos ne l'est pas nécessairement, parce que l'on pourra toujours arguer qu'il s'agit d'une critique du système policier et de ses méthodes, et que le retour de bâton en fin de série va faire mal.
L'ambiguïté parvient à demeurer, malgré un faisceau d'indices de plus en plus épais, où même les "gentils" de l'histoire (Dutch et Claudette) ont des méthodes de pourris.



L'obsession de la vérité au détriment du droit



Le point de vue centralisé quasi-exclusivement sur les enquêtes policières, pose problème dans le sens où la question essentielle qui intéresse la série, c'est la recherche de la vérité et des moyens tous plus déloyaux les uns que les autres pour y parvenir, sans que jamais cela ne soit véritablement remis en cause par l'un quelconque des personnages.
L'idée, c'est que le droit reste un frein à la recherche de la vérité, et qu'il faut tout mettre en oeuvre pour coincer les coupables, quitte à s'arranger un peu avec les faits.


Le problème de Vic et de la strike team, ce n'est pas tant qu'ils sortent des clous de la légalité et se permettent de tabasser des suspects, pour choper de gros clients, pour par la suite être félicités par tous les services de la police. Non le problème, c'est qu'ils sont pourris jusqu'à la moelle, qu'ils aident des trafiquants, qu'ils tuent des innocents, bref qu'ils sont eux-mêmes des gangsters.
Mais dans l'absolu, leurs méthodes brutales se trouvent justifiées par leurs bons résultats, leurs bonnes statistiques qui leur assurent une certaine durabilité, et du respect au sein de leur service.


Le droit est donc ici une question très annexe, ce qui recouvre j'imagine une certaine réalité dans les services de police obsédés par la recherche de la vérité et par le gonflement des statistiques. Mais ce qui est dommage c'est que la série occulte (voire méprise) délibérément le contrepoids de la légalité, élément fondamental de toute société se considérant comme démocratique. Jamais les méthodes ne sont véritablement questionnées (si ce n'est peut-être dans le dernier épisode où un candidat à la mairie se fait assassiner pour avoir contesté le sécuritarisme d'Aceveda), ce qui contribue à cet aspect superficiel et globalement bourrin.


Et puis le plus marrant, c'est que ces méthodes sont toujours justifiées par le fait qu'ils attrapent toujours des coupables, qu'il n'y a jamais de véritable bavure, ou d'innocent maltraité/condamné, et que leur instinct ne les trompe jamais à une ou deux exceptions près, ce qui est légèrement grossier. Pour résumer la série, je dirai que c'est du Sherlock Holmes qui casse la gueule aux méchants.



Tout n'est pas si noir



The Shield est donc une série qui m'a globalement déçu, surtout après les premiers épisodes assez tonitruants, ça plonge très vite dans les intrigues plans-plans, les épisodes (voire les saisons) remplissages inutiles.
Des acteurs enfermés dans des postures qui les rendent ultra prévisibles et caricaturaux.
Forrest Whitaker par exemple, qui fait le guest dans la saison 5, a fini par me saouler avec sa névrose en carton, ses sourires nerveux, son jeu exagérément actor's studio.


Chiklis m'a gavé, avec ces 45000 gros plans sur ses yeux bleus exorbités en mode "je vais faire un caca nerveux si vous me donnez pas ce que je veux", ses 4 expressions faciales, sa vie familiale insipide à mourir (la plaie des séries américaines, prenez un héros "badass" et collez-lui une famille insupportable, avec une femme hystérique qui fait chier le monde entier :


J'appelle ça le syndrome Skyler (la femme du héros de Breaking Bad), la nana étant tellement infecte, insupportable, qu'elle donne envie de donner des coups de boule à son téléviseur. Je pense même que ça pourrait constituer un motif de divorce pour le mari de l'actrice dans la vie réelle.)


Ses enjeux, ses dilemmes qui se répétent (préserver sa famille, préserver la strike team), ses plans de plus en plus sophistiqués pour se sortir de toutes les situations les plus ingérables, à un point tel que ça finit par sentir la grosse ficelle scénaristique.


Le seul moment où, ça dégoupille un peu, c'est à la dernière saison avec Shane (Formidable Walton Goggins comme toujours) et son escapade infernale en mode Bonnie and Clyde. Le seul moment où la série sort de ses chaussons de cop show basique et crée un peu d'incertitude, d'inconnu, de folie.


Et puis Il y a quelques persos "secondaires" sympas. Jay Karnes est assez génial dans le rôle du détective premier de la classe, rusé, et maître de l'interrogatoire (cependant malgré son intelligence, et sa "modernité", il n'est pas moins réac que les autres), même si là encore, on rentre dans une grosse répétition avec une dizaine d'interrogatoires qui se ressemblent un peu tous.


Mais celui qui m'a le plus plu finalement, c'est celui qui est le plus hors-cadre, Billings, qui a décidé qu'il n'en avait plus rien à branler, qu'il emmerde tout le monde et qu'il ne fouterait rien si ce n'est des mots-croisés, et qui est pour moi le personnage le plus savoureux et le plus étonnant du lot.


CCH Pounder est un peu fatigante sur la durée, toujours à faire ses gros yeux, et ses histoires de médocs là aussi bien lourdingues et répétitives.


Bref j'en sors globalement avec un sentiment très partagé, je ne sais pas si je la recommanderai, mais la fin relève quand même le niveau malgré sa noirceur ultra excessive. La conclusion est intéressante car elle renverse complètement les perspectives. Vic Mackey, le sujet central de la série, suivi, collé en permanence par la caméra, que l'on croit connaître et comprendre de bout en bout, devient un absolu étranger. Et ça fait très bizarre.

KingRabbit
7
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le 1 oct. 2016

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KingRabbit

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