Une série culte aussi super-chouette que profondément traumatisante

Quand Lynch lance la série Twin Peaks, ses précédentes œuvres ont connu des réceptions diverses.
Que ce soit le culte des fidèles admirateurs d'Eraserhead lors des séances de minuit, les louanges de la critique avec son film le plus mainstream Elephant Man, et le rejet quasi-total avec son adaptation brinquebalante de Dune.
Pour la première fois, avec Blue Velvet, Lynch capte l'attention de tous en ayant l'intelligence de donner une porte d'entrée à son univers si sombre et déroutant: cette fois, un personnage, Jeffrey Beaumont, joué par l'alter ego de Lynch, Kyle Machlachlan, va nous servir de référent, guidant le spectateur dans son voyage derrière l'apparente tranquillité de sa banlieue, l'amenant à découvrir l'envers angoissant du décor.

Avec Twin Peaks, Lynch va réitérer ce choix stratégique, en réemployant Kyle Machlachlan, cette fois dans le rôle de l'inspecteur du FBI Dale Cooper, chargé d'enquêter dans le village de Twin Peaks pour découvrir l'identité du tueur de la lycéenne Laura Palmer.
Tout comme l'oreille trouvé dans Blue Velvet, la mort de Laura Palmer sert d'élément déclencheur au récit, et également de manifeste de l'existence d'un mal profond, sordide et vénéneux, forçant la communauté à remettre en question son innocence et à affronter ses démons (littéralement, Bob).

Pour la première fois dans l'histoire du tube cathodique, Lynch et Mark Frost traitent une série avec un haut degré d'ambitions artistiques, n'hésitant pas à expérimenter tout en intégrant, et c'est ce qui fait tout le sel, les codes inhérents d'une diffusion épisodique.
En effet, si l'atmosphère de Twin peaks déroute profondément le spectateur, il peut néanmoins se raccrocher à une structure et des repères indéboulonnables: une intrigue principale, l'enquête sur la mort de Laura Palmer, qui se déploie progressivement, couplée à des mini-intrigues fortes, le tout incarnés par une myriade de personnages vivant en parallèle leurs aventures, sentimentales ou policières.
Et comme il se doit, à chaque fin d'épisode il y a des révélations haletantes, des rebondissements forçant le spectateur à enquiller sur la suite, happé à la fois par l'univers foncièrement atypique de la série et par le rythme épisodique incroyablement bien géré et addictif.

L'objet même de l'enquête, Laura Palmer, figure de proue fantomatique de la série, est une contradiction fascinante pour tous. A la fois innocente et corrompue, lycéenne type mais aussi cocaïnomane enchainant les partenaires sexuels, sa mort dévaste ses camarades lycéens, ses parents, le village entier de Twin Peaks.
Il n'est pas anodin que Marilyn Monroe soit mentionné dans la série, les points de comparaisons entre les deux mortes étant nombreux: charismatiques, détenant un charisme sexuel certain, elles partagent des derniers moments à jamais trouble.

L'enquête est mené par l'intriguant Dale Cooper, caractérisé par son amour immodéré du bon café et des parts de tartes.
Iconoclaste, il n'hésite pas à faire des digressions sur le Tibet et surtout, à laisser ses rêves jouer une part cruciale dans son enquête.

En effet, si les indices sur la mort de Laura Palmer sont au départ classiques et concret (la deuxième partie de son pendentif en cœur, son journal intime, les lettres dans les ongles des victimes), ce sont des éléments oniriques qui vont réellement structurer l'enquête.

Car dans ses rêves, Dale Cooper visite l'étrange Red Room.
Là, vieilli, face à un nain qui danse et parle à l'envers, il déchiffre des indices incompréhensibles mais lourd de sens.
Il apprend d'ailleurs par Laura Palmer elle-même, qui le lui susurre à l'oreille, l'identité de son tueur.
Identité qu'il aura oublié peu après!
Dale voit aussi ponctuellement un géant terrifiant lui apparaître, le guidant au moyen de trois indices dans sa quête.

Cette approche, inédite et très audacieuse, est vraiment marquante.
Tout comme l'est l'humour présent dans la série, à froid, absurde, opérant un mélange déconcertant et miraculeux avec les éléments les plus oppressants de la série.
Ainsi, lors de l'inhumation tragique de Laura, son père se jette à terre en pleurant, descendant et remontant indéfiniment avec la tombe de sa fille.
L'adjoint benêt du shériff, lui, après s'être pris une planche en bois dans la tête, se met à tituber incroyablement longtemps.
Dale Cooper n'est pas en reste, avec ses pouces levés saugrenus.
Encore plus saisissant, dans l'ouverture de deuxième saison, Coop. à terre après s'être pris trois balles dans le buffet, reste étendu et attend. Un majordome squelettique arrive et, contrairement à toute attente, ne fait rien, s'impatiente même que Dale ne boive pas son verre de lait. Il ne lui apporte aucune aide, prolongeant un moment de gêne incroyablement bizarre, à la fois absurde et terrifiant.

Un autre moment de terreur inoubliable, c'est la scène du concert dans le bar, où chacun des personnages pressent de manière confuse que quelque chose de mal va se passer.
En effet, parallèlement, le meurtrier tue la cousine de Laura Palmer, dont elle est le sosie et dont elle lui rappelle donc l'image.
Dans le bar, les personnages s'arrêtent de parler, d'écouter la musique, et paraissent comme sentir le vent tourner pour eux.
La meilleure amie de Laura se met à pleurer sans en comprendre la raison, et Dale, perdu, impuissant, voit le géant lui apparaître et murmurer « It is happening again...It is hapenning again.... »
Un moment ô combien terrifiant, mais aussi beau, sensuel, qui résume bien pour moi la réussite artistique de la série.

On notera qu'une fois l'arc narratif autour de Laura Palmer résolu, la série s'enlise lentement.
Devant en plus gérer les absences de Lynch, parti sur Sailor & Lula, d'autres intrigues sont amenées, mais demeurent pâles et creuses, ne retrouvant jamais les sommets auparavant atteints.
Et il est difficile de se raccrocher à la fin, qui reste décevante et inaboutie, finissant sur un cliffhanger un peu idiot, les auteurs ne savant pas à l'époque si la série allait être reconduite ou pas.
Le film sera un faux pas de plus.

Il n'empêche, dans ses grands moments, la série est intense et inoubliable, doté d'un ton véritablement unique. Elle reste incontestablement une date historique, ayant réussi à pervertir le soap opera pour en recracher une version torturée et artistique, qui a à jamais marqué la culture populaire.
Dalecooper
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le 15 févr. 2011

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