Andor
7.5
Andor

Série Disney+ (2022)

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Une dramaturgie de l'oppression et du réveil des consciences


Tony Gilroy a réussi avec Andor un tour de force narratif rare dans l'univers Star Wars : transformer une saga galactique en méditation politique profonde sur les mécanismes de l'oppression et de la résistance. Les deux saisons, qui nous mènent inexorablement vers les événements de Rogue One, déploient une architecture dramatique d'une richesse remarquable, où chaque personnage incarne une facette différente de la lutte contre l'autoritarisme. C’est d’autant plus jouissif que les produits Disney+ de la franchise sont globalement médiocres, à l’exception notable de The Mandolorian. Obi-Wan Kenobi et Ahsoka font du fan service sans réelle saveur, le reste n’a aucun intérêt. Les films sont … sans réelle ambition autre que celle de surfer sur le succès passé de la franchise. Les séries animées c’est autre chose, mais feront l’objet, un jour, d’une exploration à part entière.


La première saison établit magistralement les fondements de cette résistance naissante, suivant Cassian Andor depuis ses premiers actes de rébellion instinctive jusqu'à son intégration progressive dans un mouvement plus large. Gilroy y développe une approche quasi-documentaire qui ancre fermement l'action dans une réalité politique tangible, loin des archétypes manichéens traditionnels de la saga.


Métaphore de l'Éveil Révolutionnaire


L'arc de la prison de Narkina 5 (épisodes 8-10) constitue indéniablement le cœur dramatique et idéologique de la première saison. Cassian, condamné à six ans de travaux forcés pour un délit mineur, se retrouve emprisonné sur cette lune pénitentiaire où les détenus assemblent des composants pour un projet mystérieux - probablement l'Étoile de la Mort.


Cette séquence carcérale fonctionne comme une puissante allégorie du système oppressif impérial dans sa dimension la plus pure. La prison-usine, avec ses milliers de détenus répartis en équipes de travail cloisonnées et surveillés par plus des gardiens sans pitiés, représente l'efficacité brutale de la machine industrielle impériale. Le système de punition par électrocution, l'organisation méticuleuse du travail forcé, tout concourt à créer un environnement où l'individu disparaît au profit de la productivité.
Mais c'est précisément dans cet environnement d'oppression totale que Cassian découvre sa véritable nature de leader. Face au chef d'étage Kino institutionnalisé par des années de détention, Cassian développe une rhétorique révolutionnaire convaincante, expliquant que les forces impériales sont à leur point le plus vulnérable. Son analyse tactique de la situation - comprendre que l'information sur l'exécution systématique des prisonniers libérables change tout - révèle un esprit stratégique qui préfigure le héros de Rogue One.
L'évasion qu'il orchestre, sabotant les systèmes électriques et menant la charge contre les gardiens, marque sa transformation définitive. Visuellement, cette évolution se traduit par une modification progressive de sa silhouette : ses vêtements deviennent plus structurés, ses épaules se redressent, annonçant physiquement le Cassian Andor de Rogue One.

Cette séquence carcérale fonctionne également comme un microcosme de la rébellion naissante : l'arc de Narkina 5 reflète parallèlement l'émergence de la Rébellion elle-même, où des individus isolés et désespérés découvrent qu'unis, ils peuvent défier un système qui semblait invincible. À lui seul cet arc éclabousse de classe toutes les autres séries de l'univers.


Une saison 2 au cœur de l’actualité sémantique


La saison 2 soulève une interrogation sémantique cruciale avec l'usage du terme génocide par Mon Mothma pour qualifier les événements de Ghorman. Cette utilisation mérite un examen attentif. Le massacre de Ghorman, tel que dépeint, constitue indéniablement un crime de guerre d'une violence extrême contre des manifestants pacifiques, mais peut-on qualifier de génocide cette répression brutale d'un mouvement de protestation ?


Le génocide, selon la définition juridique internationale, implique l'intention de détruire tout ou partie d'un groupe national, ethnique, racial ou religieux en tant que tel. Le massacre de Ghorman semble plutôt relever de la répression politique massive, visant à briser un mouvement de résistance plutôt qu'à anéantir un groupe identitaire spécifique. L'usage du terme par Mon Mothma révèle peut-être davantage sa stratégie rhétorique - employer le mot le plus fort possible pour réveiller les consciences - que la nature exacte du crime impérial.


Cette nuance n'atténue en rien l'horreur des faits, mais questionne la précision du vocabulaire utilisé pour nommer l'innommable. Gilroy navigue ici en terrain miné, entre nécessité dramatique et rigueur conceptuelle. Les débats enflammés autour de ce qui se passe en Ukraine, à Gaza, l’usage régulier et loin d’être toujours techniquement pertinent du terme « génocide » trouve ici un écho intéressant.


A contrario, de façon très claire, sur Naboo, le massacre auquel participe Luthen, alors sergent impérial, exploré dans les souvenirs de Kleya, ressemble nettement plus à la définition d’un génocide.

L'hommage français : Thierry Godard et l'écho de l'histoire


La présence remarquée d'acteurs français dans la saison 2, notamment Thierry Godard dans le rôle de Lezine, ne peut être fortuite. Godard, inoubliable dans Un Village Français  où il incarnait pendant sept saisons les complexités morales de l'Occupation, apporte à Andor sa stature d'homme du peuple confronté à l'oppression.


Ce casting français semble constituer un hommage délibéré à la Résistance française, écho historique qui résonne particulièrement dans les séquences de Ghorman. Les parallèles sont frappants : occupation militaire, collaboration de certaines élites locales, émergence de réseaux de résistance, répression brutale des manifestations. L'image de ces habitants de Ghorman marchant ensemble, unis dans leur chant de protestation, évoque irrésistiblement une certaine vision de l’esprit français de résistance.


Cette dimension, assez inattendue je dois dire,  enrichit considérablement la texture narrative d'Andor, ancrant la fiction galactique dans une mémoire collective européenne encore vive. Gilroy puise ainsi dans l'imaginaire de la Résistance pour donner chair et crédibilité à sa rébellion galactique.


L'évolution de Cassian, du petit criminel opportuniste au révolutionnaire conscient, s'inscrit dans une temporalité longue qui permet une maturation crédible du personnage. L'arc de Narkina 5 constitue le pivot central de cette transformation : c'est là que Cassian découvre que sa capacité à analyser, organiser et inspirer peut servir une cause plus grande que sa simple survie. La façon dont il convainc Kino Loy, pourtant institutionnalisé par des années de captivité, révèle un charisme naturel qui n'attendait que les bonnes circonstances pour s'épanouir.


Chaque épisode apporte sa pierre à cet édifice narratif complexe, sans jamais sacrifier la subtilité psychologique à l'efficacité spectaculaire. Les séquences de travail forcé, filmées avec une précision documentaire, rappellent les grands films carcéraux des années 70 ( au hasard Papillon (1973) de Franklin J. Schaffner, Midnight Express (1978) d'Alan Parker ou encore le moins connu mais pourtant très intéressant Brubaker avec Robert Redford sortant au début des années 80) tout en conservant leur spécificité science-fictionnelle.


Une écriture au service des personnages ordinaires


Au-delà de ces considérations, Andor brille par sa maturité dramatique. La série développe en deux saisons une galerie de personnages d'une complexité psychologique remarquable : Luthen Rael et ses sacrifices moraux calculés, Mon Mothma naviguant entre convictions et compromis politiques, ou encore Dedra Meero incarnant un autoritarisme méthodique et implacable.


L'évolution de Cassian, du petit criminel opportuniste au révolutionnaire conscient, s'inscrit dans une temporalité longue qui permet une maturation crédible du personnage. Même si le début de la saison 2 est assez nettement en dessous, les trois premiers épisodes notamment, les récits apportent chacun une pierre à cet édifice narratif complexe, sans jamais sacrifier la subtilité psychologique à l'efficacité spectaculaire. Le couple de fascistes, les fonctionnaires arrivistes, les politiciens avides, ou dépassés, le simple paysan, les mercenaires pathétiques ; tout respire la normalité de vies fracassées par un destin commun implacable.


De la maturité dans Star Wars ?


Andor réussit ainsi le pari audacieux de transformer Star Wars en drama politique adulte sans trahir l'essence de la saga. Les deux saisons constituent ensemble une méditation profonde sur les prix de la liberté et les compromis de la résistance. Si certains choix terminologiques peuvent prêter à discussion, l'ensemble demeure un accomplissement artistique remarquable qui honore autant l'héritage de Lucas que celui des résistances historiques qui ont inspiré sa création.


Cette série est à ce jour à mes yeux l'expression la plus mature et la plus aboutie de l'univers Star Wars à l'écran en dehors des animé, preuve une nouvelle fois que la science-fiction peut porter les enjeux les plus graves de notre époque sans perdre ni sa force dramatique ni sa pertinence politique.


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Créée

le 1 juin 2025

Critique lue 20 fois

Aqualudo

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