Andor
7.5
Andor

Série Disney+ (2022)

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Disney et Tony Gilroy avaient promis de réinventer Star Wars à la télévision. Avec Andor, la rébellion se voulait plus réaliste, plus adulte, plus politique. Le résultat est sans doute la série la plus intelligente de l’univers créé par George Lucas. Mais aussi, paradoxalement, l’une des plus frustrantes. Car à force d’aseptiser le mythe et de diluer ses promesses, Andor finit par perdre l’essentiel : cette magie qui faisait de la trilogie originelle une légende intemporelle.


La même matrice, mais pas le même souffle


Au fond, Andor repose sur le même schéma que les épisodes IV, V et VI : un empire tyrannique, une rébellion bricolée, l’affrontement de David contre Goliath. Rien de nouveau sous les deux soleils de Tatooine. Mais là où George Lucas sublimait cette matière politique en conte universel, Tony Gilroy la plonge dans le réalisme brut.


Dans la trilogie originelle, l’Empire est le Mal absolu, incarné par Dark Vador et l’Empereur. La rébellion est le Bien lumineux, guidée par Luke, Leia, Han et la sagesse de Yoda. Les archétypes sont clairs, les enjeux limpides, la Force offre une transcendance spirituelle qui élève le récit.


Andor, lui, choisit un autre chemin. Ses méchants ne sont pas des monstres mais des fonctionnaires obtus, des technocrates suffocants. Ses héros ne sont pas des figures mythologiques mais des individus ordinaires, ambigus, souvent accablés. Cassian n’est pas Luke : c’est un survivant entraîné malgré lui. Luthen Rael n’est pas Obi-Wan : c’est un cynique prêt à brûler son âme pour une cause. Quant à Saw Gerrera, incarné par Forest Whitaker, il incarne la dérive fanatique et suicidaire d’une insurrection sans repères.


Le spectateur admire l’audace du geste, mais il n’est plus invité à rêver.


Le charme perdu des archétypes


La force de la trilogie originale tenait à un équilibre fragile. Luke Skywalker, héros candide, pouvait agacer par sa naïveté. Mais Han Solo, voyou insolent, apportait la distance ironique, l’humour et le panache nécessaires. Yoda incarnait une sagesse intemporelle : « Do or do not, there is no try ». Et Vador, Ombre absolue, donnait au Mal un charisme hypnotique.


Dans Andor, ce jeu d’équilibre disparaît. Les personnages sont sérieux, pesants, prisonniers de dilemmes politiques. Pas de respiration comique, pas de mentor spirituel, pas de “funky factor”. Même la romance esquissée avec Bix échoue à offrir une chaleur humaine. Saw Gerrera, qui aurait pu incarner la figure radicale fascinante, est réduit à quelques scènes oratoires.


Là où Lucas composait une fresque bigarrée mêlant candeur, ironie, sagesse et épopée, Gilroy enferme son spectateur dans la gravité. On observe, on respecte, mais on ne vibre pas.


Le carcan Disney : audace et aseptisation


Andor ose plus que toutes les autres séries Star Wars : une lenteur assumée, une complexité politique rare, un regard frontal sur l’oppression et la terreur. Mais Disney n’est jamais loin.


L’oppression impériale est sans cesse expliquée, soulignée, répétée, comme si le spectateur devait être éduqué. Les rebelles sont cyniques, mais jamais jusqu’au bout : Luthen est impitoyable, mais reste digne ; Saw Gerrera est fanatique, mais toujours excusable. La noirceur est réelle, mais calibrée.


Plus frappant encore : l’absence totale de transgression. Pas de sensualité, pas d’ambiguïté érotique, pas de charisme sombre. Là où Leia en bikini ou la séduction de Vador faisaient naître un imaginaire pulp, Andor reste froid et clinique. Même dans ses moments de bravoure, la série ne se permet aucune folie.


Le miroir politique : l’Amérique en filigrane


L’aspect le plus troublant d’Andor réside sans doute dans son sous-texte politique. Car l’Empire, ici, n’est pas seulement une réminiscence du nazisme. Il a un Sénat, une façade institutionnelle, une bureaucratie omniprésente. On pense davantage à Washington ou Bruxelles qu’à Berlin 1939.


En face, la rébellion adopte des méthodes de guérilla et de sabotage, quitte à provoquer des victimes collatérales. Luthen l’assume dans son monologue : « I burn my decency for a sunrise I’ll never see. » Ces mots pourraient être ceux d’un idéologue radical, d’un chef guérillero, d’un terroriste pour l’ennemi. Comment ne pas penser au Vietcong, aux guérillas sud-américaines, à Al-Qaïda ou à Daech ?


Et l’ironie se renforce par les décors arabisants de nombreuses séquences, qui inscrivent la rébellion dans un imaginaire oriental face à un Occident impérial. Hollywood nous fait ainsi empathiser avec des figures que l’Amérique réelle considère comme ses ennemis. Un pied de nez involontaire mais saisissant.


L’apothéose des 3 derniers épisodes de la saison 2


C’est dans la deuxième saison qu’Andor livre ses plus beaux instants — et ce n’est pas un hasard si tout converge autour de Luthen Rael et de Kleya.


Épisode 10. Luthen règle d’abord la question de sa taupe à l’ISB : Lonni Jung. La scène, sèche et implacable, scelle la logique sacrificielle du personnage. Peu après, il est transféré dans un hôpital de haute sécurité impérial, maintenu en vie sous assistance. Kleya s’y infiltre sous couverture, dans une séquence tendue admirablement réalisée : les couloirs cliniques, les regards échangés, la tension de chaque geste. Elle déclenche une diversion, atteint la chambre et, dans un moment glaçant de retenue, débranche son compagnon. Le choix est radical : offrir à Luthen une mort libre, avant que l’Empire ne l’utilise. Cette scène figure parmi les plus fortes de toute la série, à la fois politique et intime.


Épisodes 11 et 12. Le cœur de la fin de saison se concentre sur une séquence spectaculaire : la récupération de Kleya dans la planque. Menacée d’être capturée, elle est extraite par Cassian et ses alliés au terme d’un affrontement haletant. La mise en scène joue sur l’urgence, l’étroitesse des lieux, l’imminence de l’étau impérial. Pendant un instant, la série retrouve une tension viscérale et un souffle héroïque, donnant à la rébellion une dimension presque mythique.


C’est à ce triptyque que l’on mesure ce qu’Andor aurait pu devenir : une fresque politique et humaine à la hauteur de Shakespeare, installée dans la galaxie de Star Wars. Pendant trois épisodes, la série retrouve son souffle, son vertige, sa puissance émotionnelle. On croit tenir enfin la promesse initiale.


Une fin bâclée : le grand gâchis


Mais la conclusion vient tout gâcher. Les arcs narratifs sont abandonnés : Syril Karn, Dedra Meero, Mon Mothma, la sœur de Cassian. Cassian lui-même, censé s’affirmer comme leader, reste passif. Luthen, après son monologue sublime, disparaît sans éclat. Bix, esquissée comme romance, est reléguée à l’arrière-plan. Saw Gerrera, silhouette charismatique, n’a pas droit à l’affrontement qu’on attendait.


Tout semble avoir été sacrifié à la prudence : ne pas fermer de portes, ne pas choquer, laisser la possibilité de suites. Le résultat est une non-fin, indigne de la construction patiente qui avait précédé.


Conclusion : un chef-d’œuvre manqué


Andor restera une œuvre fascinante. Jamais Star Wars n’avait osé traiter avec autant de sérieux le fascisme, la bureaucratie, la terreur et le prix moral de la liberté. Mais en refusant la transgression, en s’aseptisant sous la tutelle de Disney, et surtout en sabotant sa conclusion, la série passe à côté de sa propre grandeur.


La trilogie originelle, avec sa naïveté, son ironie, sa sagesse et son souffle mythologique, demeure indépassable. George Lucas parlait à l’enfant intérieur. Tony Gilroy, lui, s’adresse à l’adulte politisé. Mais la magie de Star Wars naît précisément de l’alliance des deux.


C’est ce qu’Andor a oublié. Et c’est pourquoi, malgré ses fulgurances, la série nous laisse sur un sentiment d’inachevé : celui d’avoir frôlé le chef-d’œuvre, sans jamais l’atteindre.

MathiasBlandin
5
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il y a 7 jours

Critique lue 8 fois

Mathias Blandin

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