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En moi, un très bon film s’installe en plusieurs étapes : une première réaction forte au visionnage, qui peut être variée (plaisir, enthousiasme, choc, sentiment d’être déroutée, très rarement rejet, et souvent un mélange de ces choses) ; puis, une période où ils m’habitent et où mon cerveau cherche obsessivement dans leur histoire ou leur construction visuelle, leurs échos ou contradictions apparentes, leurs rapports aux œuvres du même genre, les raisons de leur impact sur moi ; enfin, une période où je comprends pourquoi je les mets à part et au-dessus des autres. C’est pourquoi il m’a fallu plusieurs jours pour réagir activement à The Worst of Evil/Aux Côtés du Mal/최악의 악, le kdrama de Han Dong Wuk diffusé sur Disney+. Ma conclusion : au-delà des raisons immédiates et évidentes de sa qualité (cinématographie, jeux et interactions des divers acteurs, construction de la tension, ...), c’est une série exceptionnelle, dix pieds au-delà de la plupart des dramas, en dialogue constant aussi bien avec l’histoire du genre au cinéma que la culture des kdramas, dialogue sur lequel elle construit son propre discours scénaristique et visuel, original, rempli, comme un flic infiltré, de faux-semblants, de leurres et d’interrogations, s’appuyant sur divers clichés et attentes pour mieux les détourner. Une œuvre très maîtrisée, qui, avec une intelligence rare, force le spectateur, au-delà des apparences, à construire son interprétation.


The Worst of Evil/Aux Côtés du Mal est une série qui tend à obséder certains spectateurs bien après sa fin, et donne lieu à des analyses divergentes de son propos et de sa « moralité » (que nous raconte-t-elle ?). Certains y voient une faiblesse de scénario. Je pense qu’au contraire, c’est dû à sa force. Sous l’aspect d’un néo noir dont il emprunte l’esthétique et la violence, il subvertit en fait beaucoup de ses clichés et propose, sans pré-mâcher le travail interprétatif, de très belles et riches pistes de réflexion, et des indices visuels et scénaristiques pour les alimenter. Beaucoup de spectateurs sont déroutés, parce qu’ils essaient de répondre aux questions posées à partir des tropes habituels soit des noirs, soit des romances/mélos. « Qui aime vraiment qui » (comme d’ailleurs s’il n’y avait qu’un type d’amour !) ? Qui est le « pire mal », le « vrai méchant » (allons donc, rien que dans l’univers coréen, I met the Devil et Old Boy ont déjà disqualifié cette question il y a longtemps !) ? « Jun Mo a résolu l’affaire et obtenu sa promotion mais il a tout perdu » ! Qu’a-t-il perdu au juste ? Et surtout, qu’a-t-il gagné ? Je pense que la réponse à cette question ne peut se déduire que d’une interprétation fine et détaillé de l’histoire et de sa construction visuelle. En ce sens, The Worst of Evil est clairement plus du côté du (bon) cinéma que du drama. Il y a beaucoup de pistes d’analyse et de thèmes intercoisés, réflexion sur le bien et le mal forcément, mais ici complexe ; mais également, sur la nature et le rôle de la confiance, sur les manières de se situer par rapport aux figures paternelles (pères réels ou de substitution), sur la manière dont le retour à l’ordre ne peut se faire que par une compréhension empathique du désordre, qui n’est pas une adhésion, et n’est jamais totalement un retour parce qu’il enclenche des dynamiques nouvelles. Sur la mort et le pardon – les pommes et les montres... Beaucoup trop de choses à analyser pour une simple critique de ce type et en n’ayant vu la série qu’une fois. Je me contenterai donc de pointer quelques-uns des leurres et échos qu’elle met en place et nous amène à questionner. Les figures fémines d’abord : Haeryeon à première vue a tout du trope de la femme fatale ; mais elle s’avère certainement le personnage le plus lucide et positif de la série, et celle dont le contact fait le plus évoluer Jun Mo vers le haut ; elle assume de tuer le flic malin mais pourri pour Jun Mo, comme Jun Mo assume de tuer le truand perdu, sans doute pour Euijung. Euijung, à première vue, a tout du trope de l’épouse aimante et maternelle, image de la stabilité sociale. Mais si elle est le ressort tragique de l’histoire, elle est aussi un outsider dans ce monde, qu’elle ne voit qu’à travers le filtre de la peur et de la pitié ― flic paralysé, elle finit par apparaître comme la femme vraiment fatale de l’histoire. Gi Cheol nous est présenté comme le caïd dévoué à ses hommes, élégant, séduisant, malin et sûr de lui. Mais il est d’une cruauté sans scrupules, et tous les aspects cités ci-dessus se fissurent et sont interrogés au fil de la série. Jun Mo est initialement présenté comme son double inversé, partageant dans une certaine mesure son supposé déterminisme social: des motivations plutôt égoïstes, ou disons égocentrées, une apparence plus grossière ou mal dégrossie, embarrassée par son insécurité sociale et psychologique. Les deux convergent au fil des épisodes, sans pour autant s’assimiler, comme le signifie la progressive transformation physique de Jun Mo, dont l’image finale est partagée entre élégance vestimentaire, assurance de la démarche et uniforme d’officier : aucun n’est devenu l’autre, et ce qui n’était finalement qu’apparence pour Gi Cheol émane d’une vraie évolution intérieure pour le Jun Mo final.

Bref, une série coréenne dont la maturité et l’intelligence sont époustouflants.


Herisson33
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le 28 oct. 2023

Critique lue 586 fois

5 j'aime

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