Berlin 56-59-63
7.3
Berlin 56-59-63

Série ZDF (2016)

Être une femme libérée tu sais c'est pas si facile (attention : spoilers)

Encore une fois, ne vous fiez pas à la bande annonce.
Le trailer de la mini-série en 6 épisodes diffusée par Arte était pourtant très court : musique rock n'roll, une jeune fille giflée froidement après un « mais maman, je sais danser! », les années 50 et l’Allemagne d’après-guerre sont annoncées dans le titre.
Pourtant, Berlin 56 est bien plus profond et complexe que l’histoire d’une jeune fille qui se libère par le rock n’ roll grâce à un danseur séduisant qui lui apprendrait à remuer ses hanches, mais aussi à aimer,à la manière d’un Dirty Dancing revisité à la sauce currywurst (vous avez dit clichés?).
Et cela se ressent dès la fin du premier épisode et de sa violence: cette série n’est pas une série légère, et ne parle pas seulement de danse.
Ici, la danse est un cadre, et les danses « de salon » un tableau représentatif de leur époque dont les couleurs de l’avant-guerre et de la société aisée de la première moitié du XXème siècle se faneraient, à la faveur de danses venant de plus loin : rumba, cha-cha, salsa, et rock n’roll.
Si la danse est omniprésente dans la série, avec l’académie de danse que tient Caterina Schöllack dans laquelle évoluent ses 3 filles et l’intérêt que Monika, la protagoniste, porte au rock n’roll, qualifié par sa mère de « danse de dépravés sur des musiques nègres » ; elle sert juste d’écrin au coeur du sujet : le portrait de la société allemande des années 1950, et la place accordée aux femmes.
Il est souvent dit de la société des années 1950 et du début des années 1960 qu’elle oscille entre continuité et rupture, c'est en quelque sorte une période de transition vers de nouveaux moyens de production, de nouvelles façons de penser la politique et la société.
Le dilemme certes binaire entre continuité et rupture, conservatisme et progressisme, tradition et modernité est l’enjeu de la série, tout comme le très classique « raison/passion ». Mais la série va plus loin et nous dépeint des personnages complexes, tiraillés, emblématiques d’une ère post-45 désireuse de se reconstruire et d’effacer son passé trouble, mais frileuse face aux changements qui s’opèrent.
Il y a en réalité plusieurs héroïnes : si Monika est au premier rang, ses soeurs et sa mère ne sont pas dans l’ombre et la réalisation chorale nous permet de suivre chacune de ces femmes, qui sont chacune confrontées à diverses situations et doivent faire des choix.
Autour d’elles, gravitent plusieurs hommes : père pas vraiment disparu, mari pas vraiment hétéro, amant pas vraiment roublard, docteur pas vraiment irréprochable, fils à papa pas vraiment arrogant….
Au fur et à mesure, les masques tombent, l’hypocrisie ressort, la mémoire revient, et son passé vaseux (comprendre, nazi) avec, et pourtant, les Schöllack semblent prisonnières des conventions conservatrices et bourgeoises encore persistantes, dont l’allégorie parfaite est Caterina, la mère implacable, guindée et glaciale.
Conventions matérialisées par une image froide, bleutée et oppressante qui enveloppe l’appartement flambant neuf d’Helga, nouveau cocon pour son couple dysfonctionnel, ou qui, comme la tache sur le mur en forme de fleuve se répand dans la vieille académie Galant fondée sur des mensonges et des crimes de guerre, et baigne le visage des protagonistes, pour parfois accentuer leur désespoir, ou les figer comme des poupées de cire.
Si le mal-être est ressenti par chacune des femmes, et évolue pour devenir de plus en plus important, notamment chez Eva, Helga et Caterina, il est visible dès le premier épisode à travers les yeux clairs et craintifs de Monika.
Monika, bonne à rien, fraîchement expulsée de son école des arts ménagers qui ne se sent pas à sa place dans l’idéal que lui impose sa mère, ses soeurs et sa société. Monika, qui tente à deux reprises de mettre fin à ses jours. Monika, qui subit un viol et subit ce qu’on appellerait aujourd’hui un « slut-shaming ». Pourtant, son personnage, loin d’être réducteur, tient bon et petit à petit s’impose, et se métamorphose : « Monikid » fait face à son agresseur, elle danse, elle s’oppose à sa mère, elle pardonne, elle couche, elle se révolte et surprend par sa fraîcheur, rendue possible par une interprétation efficace de Sonja Gerhardt : Monika représente ce souffle de modernité, ce désir pressant de liberté, et a envoyé valser les principes qui l’avaient auparavant fait baisser la tête.
Elle partira comme elle est venue, à quelques détails près (spoil : pas vraiment), et Blue Suede Shoes résonnera jusqu’à la fin du générique.
Et fera de Berlin 56 une mini-série à voir, ni parfaite ni irréprochable, mais certainement convaincante et poignante.

Leo_Abbas
7
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le 13 avr. 2017

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Leo_Abbas

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