Better Call Saul
7.8
Better Call Saul

Série AMC (2015)

A l’origine de cette série, on trouve Peter Gould. Déjà scénariste sur Breaking Bad et créateur du personnage de Saul Goodman, Gould a l’idée de proposer à Vince Gilligan, le créateur de Breaking Bad, un éventuel spin-off centré sur les débuts de Saul. L’idée fera son chemin alors même que Vince Gilligan envisage dans le même temps de réaliser un long-métrage censé boucler la trajectoire du personnage de Jesse Pinkman (El Camino : A Breaking Bad Movie).

En 2015, quand fut lancée la série Better Call Saul, l’idée d’un spin-off centré sur l’avocat véreux Saul Goodman pouvait sembler quelque peu vaine. Le personnage, remarquablement campé par l’humoriste Bob Odenkirk, avait beau avoir marqué les mémoires dans la série originale, il restait essentiellement secondaire et traité comme un ressort scénaristique, un médiateur, facilitant les transitions narratives (le blanchiment d’argent, la rencontre entre Jesse et Mike).

On ne voyait pas trop sous quel angle serait traité le passif de Saul, et la question restait posée de savoir si Better Call Saul ne serait pas vouée à rester la pauvre petite soeur de Breaking Bad, condamnée à user du bon vieux fan service pour rameuter les fans de la série originale. Le principe d’ironie narrative (le fait de connaitre la conclusion d’une histoire avant d’en découvrir le début) étant à la fois la raison d’être et la contrepartie de toute préquelle, Gould et Gilligan ont su contourner le principal écueil de cette exercice en plaçant tout d’abord Better Call Saul dans la continuité des événements de Breaking Bad. Chaque saison de la série (hormis la dernière) débute ainsi par un flash-forward nous montrant la nouvelle vie de Jimmy depuis qu’il a changé d’identité pour se préserver d’éventuelles représailles. Chacun de ces mini-chapitres filmés en noir et blanc (hormis celui de la sixième, en couleur) s’acheminent ainsi logiquement vers la conclusion des aventures de Jimmy McGill/Saul Goodman.


Attention : Ce qui suit est une courte analyse et contient des spoilers qui pourraient gâcher le visionnage de la série à ceux qui ne l’ont pas encore vue.


Evidemment, il aurait été quelque peu casse-gueule, voire clairement insuffisant, de centrer la narration de cette nouvelle série uniquement sur le passé de Saul Goodman et les auteurs de la série l’ont bien compris en intégrant très vite (dès le 6ème épisode) l’autre « héros » de la série, Mike Ehrmantraut (l’excellent Jonathan Banks). Les trajectoires parallèles de ces deux protagonistes et leurs interactions avec autant de nouveaux personnages (Kim, Chuck, Howard, Nacho) que de têtes bien connues par les fans se révèlent être la principale raison pour les premiers fans de Breaking Bad de se plonger dans ce spin-off.


Peut-on pour autant accuser Better Call Saul de ne trouver sa raison d’être que dans le fan service et la mise en place des événements qui mèneront à l’émergence de Walter White ?

Lors de la première saison, clairement la plus faible, on pouvait se permettre de penser que la série peinait quelque peu à décoller, voire que sa narration scindée en deux trajectoires pas forcément complémentaires (celle de Jimmy et celle de Mike) pouvait apparaitre comme son plus gros défaut. Je me souviens que certains internautes faisaient déjà des réflexions du genre : « les créateurs sont obligés de se reposer sur le personnage de Mike pour justifier l’intérêt d’une série pourtant dédiée à Saul Goodman ».

Conscient de cet écueil, Gould et Gilligan ont néanmoins très vite trouvé leurs marques et pu développer une intrigue tout aussi addictive que celle de Breaking Bad. Qui plus est, le duo d’auteurs a tout fait pour conférer à leur nouvelle série, sa propre identité, aussi bien tonale (le show reste moins sombre que Breaking Bad), que dramatique (Saul est un « héros » clairement plus sympathique que Walter) et visuelle (la réalisation, déjà très soignée sur Breaking Bad, devient ici quasi-cinématographique).

De manière implicite, les thématiques qui traversent ce spin-off sont pourtant semblables à celles de la série-mère mais traitées sous des angles différents et, s’il est heureux de voir que Better Call Saul ne se borne jamais à n’être qu’une simple resucée de Breaking Bad, il est aussi intéressant de voir les similitudes qui rapprochent tout au long de ces six saisons certains personnages de la série avec ceux de la première. Les thèmes principaux (des deux séries) restent ainsi ceux de la révolte, de la vengeance et de la métamorphose, tant psychologique que morale.


Pour parler de métamorphose, il ne s’agit pas ici seulement de celle de Jimmy McGill en Saul Goodman mais aussi de celle de l’ancien policier Mike Ehrmantraut en bras droit d’un baron de la drogue et de l’intégrité déclinante de Kim Wexler. Déjà au centre de la trajectoire de Walter White, la « transformation » est à nouveau au centre de ce spin-off.

Au départ, petit frère mésestimé par tous et dévoué à rester le faire-valoir de son illustre frangin, Jimmy va opérer une transformation progressive vers son personnage de Saul, lequel naitra symboliquement de la disparition de Chuck Goodman. A ses côtés, le personnage de Kim Wexler est encore plus intéressant par son ambivalence. Longtemps présentée comme la caution morale de Jimmy, leur rapport sera finalement totalement inversé dès la fin de la cinquième saison, Kim répondant finalement à un désir de révolte et un besoin de « sortir des clous » auquel Jim n’adhèrera pas complètement. La métamorphose de Kim se fera d’ailleurs au moment où elle « entrera dans le jeu » (pour reprendre l’expression de Mike dans l’épisode 8 de la saison 5 « She’s in the game now« ) : dès son mariage avec Saul et sa rencontre avec le redoutable Lalo.


Un autre personnage est intéressant du fait de sa soif de reconnaissance et d’indépendance. Déterminé à se faire sa place dans le milieu du crime organisé, fuyant l’ombre bienveillante d’un père qu’il juge soumis à des valeurs qu’il réprouve, Ignacio « Nacho » Varga est un des quatre principaux protagonistes de la série. Campé avec charisme et intensité par le méconnu Michael Mando, le personnage est à la fois trop bon pour réussir dans le milieu du crime et trop révolté pour envisager la vie honnête et normale voulue par son père. Tout au long de la série, il est intéressant de le voir évoluer et s’embourber dans une trajectoire a priori sans issue positive. Cherchant toujours à garder le contrôle de sa vie, et ce même face à la mort, ce jeune dealer explique finalement à lui-seul l’attachement futur de Mike pour le jeune Jesse.


A ce titre, il est intéressant de voir que les événements de Better Call Saul ont souvent été pensés de façon à ce que ceux de Breaking Bad leur fassent échos. Un peu comme ce bouchon de Zafiro Anejo est utilisé par les scénaristes de la même façon que la peluche éborgnée dans Breaking Bad : comme un mauvais présage et un futur choix moral de Kim.

Il y a bien sûr l’antagonisme Gus Fring/Hector Salamanca, véritable trait d’union entre les deux séries. Les deux personnages, foncièrement mauvais, étant voués à s’entretuer dans une banale chambre d’hospice, le thème de la vengeance, déjà très prégnant dans Breaking Bad, ne leur est pas réservé mais traverse là aussi toute la série. Il s’agit ici de celle de Jimmy sur son frère et sur ses rivaux, de Kim sur Howard Hamlin et sur les nantis qui lui servent de patrons (Kim est un personnage qui refoule longtemps son désir de révolte), de Mike sur les assassins de son fils et sur les Salamanca (qui menacent un temps sa famille) et bien sûr de celle de Gus Fring sur les assassins de son compagnon. En cela, la perspective criminelle des futurs événements de Breaking Bad devient plus évidente dès l’entrée en scène de Gus Fring, de son projet de « labo », de sa rencontre avec Mike et de son rapport conflictuel avec les Salamanca. Les trois dernières saisons, de loin les meilleures de la série, sont ainsi, sans surprise, celles qui exploitent le plus la dimension criminelle de la série, amenant des enjeux de plus en plus dramatiques tout en raccrochant parfaitement les wagons avec le devenir des personnages présents dans Breaking Bad.


Mieux encore, une fois le conflit Jim/Chuck résolu, la menace Tuco écarté et la déchéance physique de Hector Salamanca bien emmenée, les auteurs ont l’idée géniale de booster les enjeux avec l’entrée en scène d’un antagoniste inédit, Eduardo « Lalo » Salamanca.

Les fans purs et durs de Breaking Bad ont pu sourire dès l’évocation du nom de ce nouveau personnage car Lalo était déjà évoqué dans Breaking Bad au détour d’une réplique anodine de Saul craignant pour sa vie lors de son pourtant piètre kidnapping par Walter et Jesse. (dans l’épisode 8 de la saison 2, Saul craignant pour sa vie, hurle les mains en l’air : « C’était Ignacio ! Soy une amigo del cartel ! C’est Lalo qui vous envoie ?« ). Un kidnapping que les scénaristes nous feront d’ailleurs revivre, du point de vue de Saul cette fois, dans un des derniers épisodes de la série.

Sur la base de cette simple réplique évoquant deux personnages inconnus dans Breaking Bad (Ignacio/Nacho donc et Lalo Salamanca), Gould et Gilligan ont eu l’idée de créer réellement les deux personnages (et de leur donner une place de choix dans Better Call Saul) afin d’assurer une parfaite transition entre les deux séries.

Aussi violent que ses cousins mais bien plus malin et retors, Eduardo Salamanca (Tony Dalton, parfait en sociopathe aussi inquiétant que jovial) s’impose finalement comme un adversaire de choix pour Gus Fring et Mike, et ce même si une réplique de Fring dans Breaking Bad suggère la mort de Lalo (dans l’épisode 9 de la saison 4, Fring rappelle au vieux Hector qu’il est le dernier de sa famille et que le nom Salamanca mourra avec lui). Malgré ça, la présence de Lalo dans les trois dernières saisons de Better Call Saul laisse peser une menace sur les destins de Nacho mais aussi de Kim. A ce titre, une des meilleures scènes de la série reste ce pic de tension insoutenable où le couple Jimmy/Kim se retrouve menacé par la visite d’un Lalo tout en sourire imperturbable, bien décidé à tirer les vers du nez de son avocat dont il suspecte la trahison dans le désert. Une scène à laquelle fera écho le surprenant cliffhanger de mi-saison 6 et qui prendra à contrepied les spéculations des fans.


Mais Lalo ne servira au final qu’à remettre en valeur la personnalité calculatrice, méticuleuse et revancharde de Fring et ne pourra en aucun cas servir de conclusion à la trajectoire de Saul/Jimmy. Les derniers épisodes auront alors pour principal objectif de mettre en scène la déchéance et le retour de Jimmy à Albuquerque dans une formidable alternance de temporalité qui nous permettront d’ailleurs de mieux cerner le point de vue de l’avocat véreux au cours des événements de Breaking Bad.


Des scènes mémorables, la série en regorge bien sûr, même si elle n’en compte pas autant, il faut bien l’avouer, que son modèle. Il y a bien sûr, dans le désordre, la fameuse scène du sniper sauvant Saul dans le désert, celle de l’audition de Chuck au cours du procès de son frère, le meurtre nocturne de l’ingénieur Otto, le plaidoyer absurde de Jimmy face à Tuco, la confession revancharde de Nacho dans le désert et bien sûr, ce passage devenu culte où Mike participe à un casting de porte-flingues dans un parking (les deux apparitions du génial Steven Ogg dans la série sont tout bonnement réjouissantes).


Dotée d’une photographie et d’une direction artistique de grande qualité, Better Call Saul bénéficie en outre d’une réalisation particulièrement soignée, la série révélant à chaque épisode des trésors de mise en scène et confirmant, par ses qualités cinématographiques, que certaines oeuvres modernes du petit écran n’ont plus rien à envier au septième art.

Quant au casting, il est au diapason. Qu’il s’agisse du plaisir de retrouver Bob Odenkirk et Jonathan Banks, l’un et l’autre toujours excellents dans leur rôle le plus célèbre, de redécouvrir les méchants campés par Giancarlo Esposito et Mark Margolis, de trouver le mésestimé Michael McKean dans un rôle à la hauteur de son talent ou de révéler les méconnus mais tout aussi talentueux Rhea Seehorn, Patrick Fabian, Michael Mando et Tony Dalton, l’ensemble du casting participe pour beaucoup à l’attachement que l’on éprouve pour les personnages et le plaisir que l’on prend à suivre la série.

S’il n’y avait bien sûr le vieillissement de certains des acteurs, il serait parfaitement juste de considérer Better Call Saul comme la préquelle parfaite, certainement destinée à devenir aussi culte que son aînée. A un duo de chimistes près (quoique vers la fin…), il faut bien reconnaitre qu’elle n’a que peu de chose à lui envier.

Buddy_Noone
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Créée

le 8 mai 2023

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