Les 20 premières minutes de Black Dog sont sensationnelles. On est sur l'une des meilleures ouvertures d'un drama (teaser). Ko Ha-Neul, alors élève, est en voyage scolaire avec sa classe. Un professeur intérimaire va la sauver d'un accident de la route et lui donner l'envie de devenir professeur. Ce n'est pas étonnant puisque comme dans bien des pays professeur est le premier job de rêve des élèves coréens de l'école primaire jusqu'à l'enseignement supérieur.
Une critique y est directement jointe sur la précarité de plus en plus forte de l'emploi en Corée (33% des emplois le sont, une hausse de 20% en 10 ans), notamment à travers la distorsion des protections sociales (dont l'assurance décès) entre employés en CDI et en CDD. En effet, le professeur intérimaire donne sa vie pour une élève mais n'est pas protégé par l’État. Ces problèmes sont notamment ressortis lors de la catastrophe du naufrage du Sewol (ma critique de In The Absence, ma critique de Crossroads).
Leur travail peine même à être reconnu par les collègues, élèves et parents d'élèves dans un pays à l'exigence extrême envers l'enseignement. "Ce n'était pas un vrai enseignant.", "Il n'était qu'un professeur intérimaire." sont des phrases qui ressortent. 75% des enseignants intérimaires disent avoir été victimes de discrimination. En décembre, la Commission des droits de l’homme de Corée faisait d'ailleurs certaines recommandations à l’Éducation Nationale au sujet de ces discriminations fondées sur le statut social.
Après ce qu'on vient de lire, pourquoi un prof intérimaire a t'il donné sa vie pour la sauver ? Ko Ha-Neul devient à son tour professeur intérimaire une dizaine d'années plus tard et va pouvoir le comprendre à travers sa propre expérience du métier.
Dans cette véritable guerre de l'enseignement coréen, on estime à 19 candidats pour 1 poste en CDD dans l'enseignement secondaire sur Séoul. Il y'a même 100 candidats pour 1 poste en CDI disponible dans l'éducation privée sur la spécialité de Ko Ha-Neul, à savoir la langue coréenne. Environ 20% des professeurs du pays le sont à durée déterminée, et ce chiffre est en constante progression (source en coréen). Cet emploi est d'autant plus instable que la scolarité dans le secteur privé peut se diviser par semestre.
Ko Ha-Neul réussira t-elle à s'intégrer à son lycée malgré son statut ? Pourra t'elle se sentir comme "une vrai prof" ? Mais c'est quoi, un vrai professeur ? Va t'elle obtenir un CDI ? On l'observe se faire progressivement sa place, s'attacher à des profs et des élèves, dans une critique réaliste et saisissante du monde enseignant. En d'autres mots, comment survivre en tant que prof intérimaire en Corée du Sud ? C'est le site régulièrement consulté par des professeurs du lycée Daechi.
L'une des autres critiques récurrentes est celle de l'attention portée par l'enseignement aux meilleurs élèves, les privilégiés du système éducatif coréen. Les places sont si précieuses à l'université que les lycées sont continuellement dans la performance, dans les chiffres, dans les calculs. Même les profs et leurs méthodes sont strictement jugés et notés par les élèves, ça surprend ! Plus globalement, il n'est jamais question des aspirations d'un élève. C'est la dictature des études générales, de la science et des langues. Pour info, seulement 3% de lycéens vont aux lycées professionnels contre 25% en France.
Pour être un bon lycée, il faut déjà obtenir des informations exclusives sur l'admission dans les universités et les partager dans des séminaires d'informations aux parents. Il faut savoir se vendre en tant que lycée pour attirer les universités. Que vaut une école qui échouerait à envoyer l'un de ses élèves dans l'une des meilleures universités du pays ? C'est pourquoi au contraire du système occidental qui viserait à mettre en place des cours de soutien aux élèves en difficulté, on va ici privilégier des programmes parascolaires (plus ou moins devenus illégaux) aux meilleurs élèves. Il faut se donner les meilleures probabilités d'avoir des élèves qui sortent du lot et qui puissent atteindre les plus grandes universités du pays pour la reconnaissance de tous. Les élèves moyens et en difficulté sont les grands oubliés de l'Histoire. "Le système scolaire a t'il toujours été aussi mauvais ?" Ko Ha-Neul, issue d'un milieu pauvre et qui doit la vie à un intérimaire, va t'elle se plier à cela ? Comment va t'elle le supporter ? Une réforme éducative plus équitable au sein du lycée Daechi est-elle possible ?
Black Dog, c'est tout ça. Vous l'aurez compris, ne lancez pas le drama si vous voulez de la romance ou de l'action. Ce sont des moments de vie sans artifice d'un corps enseignant à regarder paisiblement. J'essaie de prendre du recul et de concevoir que des gens pourraient s'y ennuyer. Personnellement, à la manière d'un Misaeng ou éventuellement d'un Live pour la représentation exemplaire d'un métier, j'ai trouvé ça exceptionnel de bout en bout. Ce sont mes meilleures expériences de dramas quand on plonge si justement au sein d'un milieu social coréen. C'est inimitable par nos séries occidentales. Je peux préciser mon seul reproche qui dure quelques secondes : dans le début du drama Ko Ha-Neul tombe à la cantine, c'était inutilement dramatique. Une fois les connaissances faites avec les principaux personnages du drama j'ai régulièrement été bouleversé alors même que Black Dog ne fait absolument pas dans les scènes larmoyantes. Pour preuve aucune allusion à la violence ni au suicide dans un drama scolaire (SKY Castle, Beautiful World, Extracurricular, How to Buy a Friend) c'est rare ! Enfin, les morceaux instrumentaux de l'OST sont excellents pour assister les images. Un ovni télévisuel de plus pour tvN. Putain, quelle chaîne.
Je termine cette critique par des extraits de commentaires sur un bouquin "Je suis enseignant en Corée" car ça colle parfaitement à l'environnement de Black Dog :
Les enseignants qui se plaignent dans et hors du monde de l’éducation souffrent également d’anxiété et de stress plus graves que jamais en raison de l’augmentation de divers systèmes qui évaluent le rendement des enseignants, tels que l’évaluation des enseignants.
L’éducation est dévastée et l’humanité est dévastée. Au centre de cet ouragan, nos éducateurs gémissent. L’identité de l’éducateur est ébranlée.
L’éducation uniforme que nous déplorons aujourd’hui a été un excellent moyen pour nous de parvenir à l’industrialisation. La politique d’éducation axée sur l’expansion que nous maudissons aujourd’hui était une politique essentielle [...]
Mais maintenant, le pays a changé, le monde a changé, et le genre de talent dont la société a besoin a changé. Les stratégies de survie doivent donc changer. Le but et les méthodes d’éducation doivent également changer.
Donc je ne vois pas l’effondrement de l’école comme mauvais. Afin d’établir un cadre pour l’éducation dans une société fondée sur le savoir caractérisée par la diversification, la caractérisation et l’autonomie, le cadre d’une éducation uniforme, unilatérale et verticale dont l’industrialisation nécessite doit s' « effondrer ». L’ancien système doit s’effondrer pour que l’éducation à l’industrialisation se transforme en éducation pour la création du savoir [...]