Le gris leur va si bien

À une période où le récit scandinave (romans policiers, films, séries) a envahi notre paysage, Bron est immédiatement apparu, à mes yeux, comme étant l'aboutissement parfait d'un genre à part entière. Au-delà de ses intrigues tortueuses (dont les ressorts reprennent les grands principes des séries américaines ou anglaises), les thèmes mis en lumière sont propres à ces récits scandinaves qui soulèvent des sujets sociétaux qui font la richesse de leurs oeuvres.

Éloigné de l'image qu'on se fait de ces pays en avance sur tout, le récit scandinave policier montre une société gangrénée par des luttes de pouvoirs intestines, des situations sociales pas aussi idylliques qu'on pouvait le croire, des interrogations sur des enjeux majeurs (politiques, économiques, écologiques, etc.). Contrairement à d'autres productions qui misent sur le côté exotique (la neige principalement), Bron joue la carte du gris au détriment du blanc. Comme si le Danemark et la Suède, ici mis en scène par une enquête mobilisant un enquêteur de chaque pays, était une véritable zone grise. Une zone grise parfaitement incarnée lors des deux premières saisons par un duo qui ne manque pas de parts d'ombre.

D'un côté, Saga Norén et son syndrome d'Asperger qui peut être aussi associable, psychorigide et routinière qu'elle peut être imprévisible et sensible ; de l'autre, Martin Rohde qui, lors des deux premières saisons, est semblable à un tendre nounours au coeur d'or pouvant se révéler aussi par moments totalement incontrôlable et fourbe. Ce duo est très certainement l'un des meilleurs qu'une série policière ait pu proposer, et c'est peu de dire que les deux acteurs sont extraordinaires. La venue, lors de la troisième saison, de Henrik Sabroe en lieu et place de Martin apporte aussi son lot d'originalité avec ce personnage rongé lui aussi par ses propres fêlures. Il permet ainsi de renouveler une série qui aurait pu finir par tourner en rond.

Bron est une série sur les fêlures : fêlures de la société, fêlures économiques, fêlures morales, fêlures politiques, fêlures personnelles qui font des intrigues, des sujets abordés et des personnages, une réussite totale. Si la première saison a besoin de quelques épisodes pour se mettre en route, elle devient vite passionnante jusqu'à son final noir comme l'ébène. La deuxième saison est une réussite de bout en bout avec une histoire palpitante, des rebondissements pertinents et des personnages encore plus torturés que lors du premier opus. La troisième saison a eu le talent de se renouveler (même s'il a fallu en passer par la disparition du personnage de Martin qui était si attachant). La quatrième saison, hélas, est toujours introuvable en DVD et il paraît presque acquis qu'elle ne sortira jamais (quelle honte...).

Avec ses personnages fouillés et riches, ses intrigues passionnantes, ses réflexions pertinentes sur différents sujets, la qualité de sa réalisation (devinée dès son superbe générique accompagnée d'une sublime BO), Bron est vraiment une des meilleures séries de ses vingts dernières années qui raconte vraiment quelque chose sur ses personnages et sur les pays où elles se déroulent. D'où l'absurdité de ses remakes américain puis français qui ne peuvent ni l'un ni l'autre en reprendre les ressorts.