CHROMA
8.5
CHROMA

Émission Web Dailymotion (2016)

On est le 22 octobre 2015. Il est 12h30. Karim Debbache lance un appel au crowdfounding pour sa nouvelle émission en dix épisodes appelée « Chroma ». Exit le jeu-vidéo. Ce coup-ci on parlera de cinéma et exclusivement de cinéma… La somme demandée ? 20 000 € Rien que ça. Et pourtant, moins d’une heure plus tard, les fonds étaient déjà acquis. A minuit, la cagnotte dépassait déjà les 100 000 €. Au final, l’appel clôturera avec un projet financé à plus de 1000%...


Si je décide de rappeler tout ça avant de vous parler de « Chroma », ce n’est pas parce que j’aime les success story et que j’entends appuyer mon propos sur le poids de la masse. Non, si je commence par rappeler tout cela, c’est pour mettre en évidence les trois loustics qui sont au cœur de ce projet là. Karim Debbache et ses deux compères Jérémy Morvan et Gilles Stella ont su se construire comme des légendes du net français avec une seule émission « Crossed », dont « Chroma » se veut justement la sœur spirituelle. Dire cela, d’une part, c’est déjà vous inviter à aller jeter un coup d’œil du côté de « Crossed ». Mais dire cela, c’est aussi insister sur le fait qu’on n’a pas affaire ici à une chaîne comme toutes les autres. Il ne s’agit pas ici d’inonder les réseaux de contenus réguliers afin de faire tourner la roue à clics. Il ne s’agit pas non plus de penser chaque épisode comme une production jetable à usage unique. Non. « Chroma », c’est (pour le moment en juin 2018) une seule saison de dix épisodes, puis douze après le succès de financement. Douze épisodes sortis (plus ou moins) tous les mois. Douze épisodes qui entendaient donc reprendre la formule de « Crossed » - c'est-à-dire de la vulgarisation bien dense mais à la cool – et surtout sans l’aspect jeu-vidéo…


La formule était donc rodée. Le verrou vidéoludique venait en plus de sauter. Bref, il y avait de quoi se préparer à sauter au plafond. Pourtant – et je tiens à prévenir les néophytes qui voudraient découvrir cette émission – le démarrage est paradoxalement assez poussif et peut laisser quelque peu dubitatif. Debbache qui s’était jusqu’alors imposé dans « Crossed » par un sens du cut très serré, s’étend ici dans une introduction interminable, puis enchaîne en présentant « Troll 2 » sans plus de présentation et de justification que cela. J’avoue que c’est déconcertant tant qu’on ne connait rien d’autre de l’émission, et moi, ça m’a laissé un goût de « peut mieux faire. » Mais bon, Debbache reste Debbache, et très rapidement – dès l’épisode 2 – les marques sont trouvées. Et effectivement, à partir de là, on sent toute la liberté que peut prendre le format « Crossed » une fois qu’on l’affranchit du contexte de l’adaptation de jeu-vidéo…


Parce que oui, même si Karim Debbache est bien un amateur de jeu-vidéo, on sent bien qu’il est avant tout un profond cinéphile. Dès l’introduction du premier « Crossed », il s’était senti dans l’obligation de se justifier. Là, avec « Chroma », l’approche devient moins contraignante. Certes, on part encore une fois d’un cas particulier pour aborder une généralité / vérité du cinéma, mais là le choix est libre, et ça se sent. Car là, on sent que chaque épisode est vraiment pensé pour être l’étape d’un raisonnement avant la suivante. Chaque épisode est choisi pour pousser un peu plus loin le propos. Et pour le coup, l’ami Karim va très, très, très loin. Peut-être même un peu trop d’ailleurs…


Car oui, tout le paradoxe veut que d’un côté je préfère « Chroma » à « Crossed » car il ose pousser l’analyse plus loin. D’un autre côté, il n’est pas rare qu’un épisode de « Chroma » enchaîne les digressions – et cela à rythme très élevé – ce qui peut rendre son propos plus confus et moins limpide. Malgré tout le résultat est là. La qualité de réflexion sur le média vaut le détour, qu’on soit d’accord ou non avec l’ami Debbache. Et surtout, la densité de chaque épisode fait qu’on peut (là encore) le voir trois, dix, vingt fois sans vraiment se lasser. D’ailleurs, le trio constitué avec Gilles Stella et Jérémy Morvan est beaucoup mieux exploité à la caméra que dans « Crossed ». J’avoue personnellement être particulièrement fan du type d’humour qu’ils sont tous deux capables d’installer dans cette émission…


Et puis, cerise sur le gâteau, il faut bien reconnaitre qu’en termes de proposition formelle, « Chroma » passe quand même à un niveau au-dessus par rapport à « Crossed ». Ces gars aiment le cinéma. Ils aiment fabriquer de l’image, de l’atmosphère, du décalage et ça sent. Ça se sent parce qu’ils nous l’offrent, tout simplement. D’ailleurs, pour tous ceux qui aimeraient avoir un moyen assez rapide, parmi les Youtubeurs qui parlent de cinéma, de distinguer ceux qui savent de quoi ils parlent des bullshiteurs de première, prenez juste la peine de vous attarder sur ce qu’ils font de leur format vidéo. Parce que oui, je suis désolé, mais si tu te décides de parler de cinéma au travers d’un format vidéo, au bout d’un moment, il faut quand même que la vidéo soit capable de parler avec toi. « Durendal », « Perle ou Navet », « Les cousins font du cinéma », se contentent juste de parler face à une caméra posée sur un trépied. Moi je dis : bullshiteurs ! « Fossoyeur de film », « Nexus VI », ou bien encore ce « Chroma », eux ils finissent par faire du cinéma avec leur vidéo. Ça pour moi, ça reste la plus belle démonstration qu’on a affaire à des gens qui savent de quoi ils parlent parce qu’ils prennent la peine de nous démontrer qu’ils savent faire ce qu’ils disent…


Mais le meilleur dans cette histoire de forme, c’est que je reste persuadé que le charmant trio Debbache / Morvan / Stella ne soigne pas sa forme juste pour s’acheter une légitimité ; pour faire une démonstration. Non, ils font ça sûrement parce qu’ils aiment ça. Et ça se voit. Ça se sent. « Chroma », c’est une patte formelle qui laisse une trace. Moi, personnellement, je suis ultra fan de ce point là. Et pour le coup, c’est vraiment l’élément qui rajoute encore plus de plaisir à ce remarquable produit qu’est « Chroma ». Douze épisodes qui suffisent à te donner une leçon, dans tous les sens du terme… Rien que pour cela, je n’attends plus qu’une chose, le retour du Debbache… J’ai déjà ma petite pièce de prête pour le prochain crowdfounding…

lhomme-grenouille
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le 3 juin 2018

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