Jusqu’où peut-on aller pour déjouer la solitude d’une grande ville ?
Par Hélène Coutard
Depuis le temps que le monde se répartit entre les gens inscrits sur Meetic et ceux inscrits sur AdopteUnMec, il fallait bien qu’une série se penche sur la question tragicomique de l’online-dating. Après Skins et ses ambitions réalistes, Bryan Elsley, showrunner et scénariste, se recentre sur un concept simple : deux inconnus, un décor et une expérience universelle : la first date.
Le premier épisode s’ouvre sur la rencontre plus ou moins consentie entre David (Will Mellor), père de famille veuf et Mia (Oona Chaplin), londonienne sexy et indécise, résolue à être désagréable. Mettant en scène de constants allers retours entre confrontation et séduction, cette ouverture énigmatique annonce la couleur : ces dates ne se termineront peut-être pas comme elles ont commencé. En neuf épisodes (qui correspondent chacun à une rencontre) ils seront onze personnages, des paires évolutives qui se tournent autour, se découvrent et souvent se confrontent dans un brouhaha d’égos, de mensonges et de sarcasme. Pari risqué qu’est celui d’un concept réduit à un minimalisme presque théâtral, tout se joue dans les dialogues, la nervosité des premières minutes, les rencontres de personnalités. Le climat s’installe dès le lever de rideau, malaise, distance, jugements et malentendus font office d’arcs narratifs alors que le potentiel comique de la rencontre repose sur l’opposition de personnalités souvent extravagantes. Dans ces bars à vins londoniens où les personnages ont bien du mal à dissimuler leurs obsessions personnelles et habitudes bizarroïdes, aucune place n’est laissée au hasard : le sens précis du timing d’Elsley est mène la danse. Même lorsque tout paraît « normal », la série nous rappelle à ses obligations scénaristiques, il ne s’agit pas de s’enliser dans des conversations, de faire connaissance mais bien de distraire le spectateur en s’appuyant sur le potentiel whats-the-fuck de chaque rencontre. Jamais en reste de mauvaises surprises, le décalage brutal est le leitmotiv de cette série. Après six ou sept épisodes, forcément, le rebondissement tapi dans l’ombre commence à se deviner mais Dates n’a pas l’ambition d’un True Detective et le suspense n’est pas la spécialité locale.
En revanche, la série évite habilement la facilité des clichés – là encore non sans rappeler Skins, il y a systématiquement chez un personnage quelque chose que l’on n’attend pas, ce très anglais grain de folie (souvent au sens propre) qui fait la spécificité des personnages de Bryan Elsley et Jamie Brittain. Pour les six scénaristes, la règle d’or semble être de se jouer de notre frustration : envie d’en savoir plus que les personnages, d’en voir plus qu’eux, si le spectateur est le troisième invité du rendez-vous amoureux, il ne sait pas non plus à qui il a à faire : célibataire frustré(e), mythomane marié(e) ou sociopathe condamné(e) ? Au-delà de la curiosité naturelle que provoquent ces personnages souvent réticents à se montrer tels qu’ils sont, c’est le vice caché de chacun qui intrigue, ce côté freak dont le stade de développement déterminera souvent le dénouement de cette courte romance. Jusqu’où peut-on aller pour déjouer la solitude d’une grande ville ? Elsley choisit de répondre avec humour, on rit bien sûr de l’incongruité des duos mais aussi de l’absurdité des réactions passives-agressives de ceux qui en arrivent à chercher « juste quelqu’un de normal ». (...)
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