J'ai vu l'intégralité des épisodes de Dérapages hier. C'est déjà un bon point à signaler: la série se regarde avec avidité, l'histoire comporte des rebondissements qui donnent envie de s'y remettre. Sans compter, bien entendu, que les mini-séries de ce style se regardent très facilement.
Pour ceux qui n'ont pas vu la série et cherchent à se faire un avis sans se spoiler:
scénario parfois bancal ou trop facile mais palpitant, fond bien traité malgré un peu de naïveté et acteurs convaincants, message de la série totalement brouillé.
Pour aller plus loin:
Au niveau scénario, si le gros de la série reste crédible, de nombreux points sont très grossiers. On a notamment Charles, alcoolique invétéré, enchainant les galères, mais qui est fort pratiquement un as du pirate informatique. On a Nicole, qui récupère (supposément par l'intermédiaire d'un collège de la Chambre de Commerce) des infos ultra-confidentielles du ministère sur l'une des plus grosses boîtes de France. On a un ancien commandant de la police qui entraîne et forme Alain Delambre à la prise d'otage, ce qui est déjà assez peu crédible, mais quand il accepte de lui filer une arme chargée, là on part dans de la fiction totale.
Pour être juste, si les ficelles sont évidemment grossières, on comprend que c'est dans l'intérêt de ne pas rallonger l'histoire par des explications plus crédibles, mais plus longues.
Niveau acteurs, j'ai trouvé tout le monde très bon, excepté Cantona. Bon, on s'en doutait, évidement, mais il a beaucoup de mal à faire passer d'autres émotions que la rage. Le rôle est clairement fait pour lui, mais sa prestation reste inégale selon ce qu'il doit faire passer au spectateur. Il reste charismatique, mais son omniprésence nuit quelque peu à la série.
La série comporte de très bonnes idées: la violence sociale du capitalisme n'est pas considérée de la même manière que la violence physique, elle inexcusable en tout lieu. On y retrouvera l'écho de la chemise arrachée du cadre d'Air France: il est acceptable de virer des milliers de gens sans sourciller pour complaire aux actionnaires, il n'est pas acceptable de déchirer la chemise d'un cadre.
Tout l'art de la série est de faire comprendre que pour de nombreuses personnes la violence physique est bien la seule arme qui reste devant l'humiliation & l'indifférence du reste de la société, mais aussi la seule opportunité de faire entendre ses combats. Le personnage principal interprété par Cantona incarne très bien le désespoir du chômeur, on comprend la rage qui naît et gronde en lui au fur et à mesure de ses galères, lui qui pourtant a respecté toutes les injonctions de la société.
On a également une réflexion sur les prisons, avec notamment une phrase géniale sortie de la bouche d'un gardien de prison qui résume tout : " Quand la civilisation daignera s'intéresser à nous je redeviendrai surveillant de prison. En attendant je fais ce qu'elle me demande: gardien de zoo."
Cependant, ces message "sociaux" sur le cynisme de la société se perdent complètement au milieu des manipulations de Delambre. Il y a une hypocrisie et une indécence à faire de grandes déclarations - justifiées, à mon sens - sur la violence sociale, tout en mentant à tout le monde pour se faire 22 millions. Ce point est abordé par le PDG d'Exxya lors de leur confrontation finale, de façon d'ailleurs brillante.
Mais c'est justement ce personnage qui navigue entre plusieurs eaux qui brouille le message de la série. On part d'un constat que la violence sociale n'est pas assez reconnue, pas assez combattue, que la société se mure dans l'indifférence pour ne pas voir la souffrance, tout ça pour arriver à un final où on est tenté de penser que tous les hommes sont des salauds, et que l'intérêt personnel est le motivateur ultime de tout un chacun.
Peut-être d'ailleurs que cette impression était volontaire. Peut-être que l'objectif était de nous montrer qu'il n'existe pas de combats purs, qu'on doit se méfier de tout un chacun et ne pas regarder seulement ce qu'on nous dit de regarder, simplement parce que nous sommes humains, et donc faillibles. Peut-être est-ce même une sorte d'aveu d'humilité de Cantona sur ses propres incohérences, sur sa faillibilité.
Parce que finalement, le personnage d'Alain Delambre dit ceci: on a beau avoir des croyances, des pensées politiques, des convictions morales, tout ceci est subordonné à notre intérêt propre.
Pour terminer, on ignore donc complètement si la série souhaite mettre l'accent sur les violences sociales ou sur la nature et la psychologie humaine. On ne sait pas si le but est de nous faire révolter devant les abus ou nous déprimer face à l'évidence de notre nature faillible.
Ce qui est sûr, c'est que Dérapages est d'un cynisme froid: ce n'est pas blanc chevalier contre l'injustice mais des intérêts contre d'autres. Et que tous ceux qui sont capables d'actes désintéressés, comme Charles, comme Lucie, comme Nicole, eux paient le prix fort.