"A beating heart ? I'll take it."
Gyrophare hurlant, une voiture de police fonce à toute vitesse sur une route enneigée vers l'hôpital le plus proche. À l'intérieur, sur la banquette arrière, Dexter Morgan est entre la vie et la mort suite aux ultimes événements de "Dexter: New Blood". Aux urgences, alors que les médecins font tout pour le maintenir encore un peu dans le monde des vivants (et faire revenir cette version adulte dans un nouveau prolongement tardif de la série originelle, "Dexter: Resurrection" prévu pour l'été 2025), l'existence de ce tueur de tueurs se met à défiler sous ses yeux pour s'arrêter sur un moment-clé de sa jeunesse: ses premiers passages aux meurtres lors de son intégration dans l'équipe scientifique de la police de Miami.
Avait-on besoin d'une série préquelle s'intéressant à la jeunesse de Dexter déjà suffisamment évoquée à travers les flashbacks des premières saisons de l'originale ? Clairement non. Est-ce que l'on a néanmoins répondu présent pour la regarder ? Évidemment que oui, même si la série-mère a souvent malmené son gentil tueur en série par ses trop nombreux et béants trous d'airs scénaristiques, jusqu'à devenir incapable de se montrer véritablement à sa hauteur durant ses dernières aventures ("New Blood" comprise, on ne vous conseillera jamais assez assez de privilégier les romans de Jeff Lindsay bien plus réussis et consistants), Dexter reste un des anti-héros fictifs les plus marquants et fondateurs d'une certaine ère moderne de séries TV par son caractère tout aussi attachant qu'empreint d'une noirceur dérangée.
Entre son générique remaniée pour y intégrer les proches de Dex, le défilé de jeunes sosies de personnages importants à l'avenir (on pense sérieusement qu'ils ont cloné celui de Bautista) et cette impression permanente de redite autour de la muselière mise par Harry Morgan sur les envies sanguinaires de son fils adoptif (le personnage de Charlotte Rampling durant la huitième saison est d'ailleurs passé à la trappe), les premiers épisodes tendent à confirmer le caractère complètement artificiel de la raison d'être de "Dexter: Original Sin" (le prologue résume finalement tout, on tente de ressusciter quelque chose qui devrait rester mort pour son propre bien), prêts à balbutier à nouveau tout ce que l'on connaît déjà de Dexter avec pour fil rouge de la saison, une intrigue de tueur/kidnappeur d'enfants qui va se fondre au milieu d'autres comme d'habitude plus anecdotiques (afin de donner de l'entraînement au jeune Dex) et une bien plus déterminante au fil des épisodes vis-à-vis de la thématique familiale développée.
En effet, en nous faisant découvrir grâce à des flashbacks à l'esthétique horrible ce qui va conduire à l'adoption du petit Dexter par les Morgan, "Original Sin" va grandement s'acharner à désacraliser l'image de Harry Morgan que la série originelle avait présenté comme une figure inébranlable avec la rigidité du fameux Code inculqué à son fils. Ici, par l'intermédiaire d'une (banale) affaire de mission sous couverture, le comportement d'Harry est finalement présenté comme l'élément déclencheur ayant conduit à la création du Passager Noir qui habite Dexter et qu'il jugule bon an mal an en guise de rédemption de ses erreurs passées au sein d'une relation-père sincère mais qui n'a bien sûr plus grand chose de normal.
En soi, l'idée qui va germer durant la saison, d'abord par des allusions d'une subtilité éléphantesque puis d'une manière plus frontale, de la venue d'un pilier fondamental de la mythologie Dexter dans cette équation va s'en révéler être une des meilleures, pour confronter Harry au retour de flammes de ses actes où les notions de famille brisée et de famille recomposée vont être amenées à dangereusement se rapprocher. Et, même si l'on y apprend en réalité rien de vraiment nécessaire quant à la bonne compréhension du futur de l'univers, ce sur quoi ces (interminables) flashbacks de la "jeunesse" de Harry et les évènements du présent de "Original Sin" débouchent vont rendre bien plus intéressante la dernière partie de la série là où son intrigue principale de kidnappeur d'enfants va hélas démontrer toute sa médiocrité.
Alors qu'elle n'était déjà pas des plus folles, même en y impliquant personnellement un des nouveaux personnages principaux, ce fil rouge va devenir complètement risible avec l'improbable twist du septième épisode sur l'identité du -ou de la- coupable (rendant le jeu de son interprète encore plus en roue-libre qu'il ne l'était déjà), sans doute imaginé pour rajouter un autre parallèle déviant au coeur des enjeux de la saison mais qui, en réalité, va la saborder en l'emmenant vers un sentiment plus grand de futilité tout en rappelant les errements incroyables d'écriture dont les scénaristes de "Dexter" sont capables (pourtant une partie de ceux des premières saisons signent ici leur retour), comme s'ils se retrouvaient à chaque fois un peu plus démunis pour donner à leur anti-héros un adversaire à sa hauteur.
Pour autant, malgré ses énormes défauts transpirant d'elle comme la sueur de ses protagonistes sous le soleil de Miami, "Dexter: Original Sin" réussit tout de même à faire ce que tout fan de Dexter attendait d'elle : lui donner une bon shoot de nostalgie lui rappelant la découverte de son gentil tueur et de l'ambiance de la série à ses débuts.
La voix-off de Michael C. Hall et ses remarques acerbes sur la noirceur de ses contemporains n'y sont bien sûr pas étrangères mais son incarnation plus jeune, excellent Patrick Gibson ("The OA"), ne démérite pas, s'appropriant joliment les mimiques de sa version adulte, aussi bien sur ses agissements les plus glaçants que dans son quotidien de normalité (le passage de la relation amoureuse naissante est hilarant) et, plus particulièrement, en compagnie de Molly Brown qui impressionne en Debra Morgan, reprenant à son compte tout ce qu'a pu construire Jennifer Carpenter autour de ce personnage avec un naturel confondant (et ce en dépit de sous-intrigues adolescentes forcément moins passionnantes).
Du côté des adultes, on saluera bien entendu la prestation de Christian Slater, troisième élément indispensable de cet attachant noyau familial central jusqu'au terme de cette saison, mais pour les autres, on sera plus dubitatif quant à la nécessité de leur présence pour certains (Sarah Michelle Gellar) ou la qualité de leurs jeux respectifs pour d'autres (on ne dira pas à peu près tout le reste mais on n'en est pas loin).
Au terme de cette première saison, qui peut laisser la place à une deuxième (certains personnages doivent disparaître avant la première de la série-mère et d'autres doivent arriver comme Doakes), ce jeune Dexter n'aura au final fait ni mieux ni pire que ce que sa version vieillissante a désormais à offrir d'elle, c'est-à-dire pas grand-chose de neuf sinon raviver quelques bons souvenirs passés aux côtés de la lame de son meurtrier.
À voir si l'énième "Resurrection" offerte à cette dernière cet été pourra en dire autant...