Ceci est une critique la première série de Lupin III, celle qui est grossièrement fondatrice.
Autant le préciser car à une époque les fiches par ici ne devaient pas être suffisamment claires pour que les plus anciennes critiques parlent de la deuxième série de 1978. Quand à l'affiche, c'est celle du premier film animé. Et pourtant, en regardant le titre et la date, c'est bien de la première série en veste verte dont on parle, diffusé en 1971 et appelée par chez nous Edgar de la Cambriole, la deuxième série ayant été renommée Edgar, le détective cambrioleur voyez la nuance.
Edgar de la Cambriole, c'est une série qui a changé d'avis sur sa direction dès le début, ce qui l'amène à une période de transition entre les épisodes 7 à 13 avant de se stabiliser définitivement vers les épisodes 13 et 14.
C'est à dire que ce sont deux séries complètement différentes qu'on a collé toutes les deux.
La première se compose des épisodes 1 à 6. Lupin y est abordé sous l'angle du criminel calculateur, et ce sera la seule fois où l'on parlera d'une organisation Lupin allant plus loin que sa petite bande de 3 personnes. Elle est réalisée par Masaaki Osumi, qui adapte plus ou moins le manga. Le manga original ce sont des petits exercices de style bourré d'humour cartoon absurde avec un ton transgressif. De ce que j'en ai lu, ça se termine souvent en queue de poisson, parce que seule la situation compte. Mais Masaaki Osumi, lui tente autre chose : son Lupin est plus lent, plus contemplatif, mais il y a une narration hachée à cause de l'animation un peu limitée au vu de l'expérience de l'époque. Sous son égide, on développe et approfondit les personnages ce qui sera bien rare dans la franchise, on se permet des séquences plus poétiques via l'intervention d'insectes colorés, et en plus de ça, on fait des effets expérimentaux typique du cinéma des années 60's/70's - j'ai du voir quelqu'un commenter qu'un effet de montage dans l'épisode 1 était tiré tout droit d'Easy Rider (mais la série Captain Scarlet faisait aussi ce genre d'effets ! Ah les expérimentations des années 60...). Évidement ça doit s'accompagner de concepts abracadabrants, comme le coup d'un type qui ni vu ni connu pose des vitres transparents dans les airs avec des points d'appuis inconnus, et qui utilise une formule chimique qui le rend invincible temporairement dans un exemple typique de la science pulp délirante des années 60. Et puis on considère qu'un superordinateur qui commande les actions d'une organisation secrète constitue un mensonge crédible. Mais ce n'est pas ça qu'on en retient, ce serait plutôt l'écriture qui est apporté aux personnages, ou les opérations criminelles de Lupin sertis de papillons qui virevoltent à l'image et de musique copiant allégrement Saint-Preux. Ce sera la seule fois où l'on se risque à prendre son temps pour creuser les personnages, mettre en scène avec sérieux les relations entre Lupin et Fujiko ou Zenigata/Lacogne, qui seront presque systématiquement traités de manière comique ou assagie par la suite. Mais le tournant mature ne semble pas convenir aux producteurs, qui demandent à Osumi d'injecter plus de légèreté. Qu'il ait décidé de partir ou qu'on l'ait viré, c'est assez clair qu'il laisse sa place et alors le ton change du tout au tout.
La deuxième série est constituée des épisodes 14 à 23. Elle est supervisée par "L'équipe A de production", mais on sait tous depuis le temps qu'il s'agit du duo Takahata et Miyazaki. Leur série est plus orienté cartoon, d'ailleurs l'animation est moins figée, les scripts plus légers et surtout bien plus simples. L'inverse des premiers épisodes. Il n'y aurait pas grand chose à en dire, c'est du divertissement simple et dynamique, avec bien des scènes très enlevées donc en échange les histoires y perdent un peu en profondeur. Je m'ennuie un peu durant ces épisodes, où paradoxalement le héros devient plus amoral. Exemple le plus flagrant, l'épisode 18 qui voit notre héros séquestrer des mannequins qui n'avaient rien demandé et saccager les œuvres d'art qu'il prétendait tirer des griffes d'un trafic... Dont les responsables respectent probablement plus les tableaux de maître que le Lupin qui les coud ensemble pour s'en faire une voile. Cependant le "wonderful" doublage menée par l'équipe à Ogouz, voix charismatique parmi les voix charismatiques, peuvent se permettre quelques délires à leur façon qui se fondent bien avec le ton comique des épisodes, et d'ailleurs ça fonctionne même avec ceux d'Osumi.
Enfin, il y a le milieu de la série, les épisodes 7 à 13 qui représentent le centre bordélique, le moment de transition entre les deux visions qui entrent en collision pour un résultat très, très variable, possiblement parce que le duo Miyazaki et Takahata ont du reprendre ce qui a déjà été entamé selon les plans originaux constitués sous l'égide d'Osumi, avant qu'ils ne puissent définitivement imposer la nouvelle direction une fois le premier cours (les 13 premiers épisodes) terminé.
Alors il faut y aller un par un.
L'épisode 7 est l'exemple même d'un épisode bricolé à partir de bouts conçus par deux réalisateurs qui ont l'avis inverse de l'autre. Des scènes de comédie où Lupin apparaît comme parfaitement ridicule et crétin côtoie des séquences sanglantes de découpage en deux. On va jusqu'à faire succéder deux scènes différentes où le bloody famous samourai Goemon rejoint le groupe sans lien logique. La première, sérieuse, travaillant les non-dits, et la seconde, cartoonesque à base d'éclats de rire. Très probablement, des questions de planning et de temps ont dû empêcher le duo Miyazaki/Takahata de refaire intégralement l'épisode pour lui donner un tout cohérent. Quelque part c'est celui qui représente le mieux la série, puisqu'il porte en un seul épisode deux idées totalement différentes de Lupin, c'est aussi très bancal pour cette raison.
Les épisodes 8 et 9 sont, respectivement, des épisodes de la seconde et de la première partie, ce serait même possible que l'épisode 8 soit l'épisode test crée par Miyazaki et Takahata pour exposer le nouveau style de la série selon eux, d'autant plus qu'il est basé en partie sur le pilote réalisé en 1969.
L'épisode 10, où certains y ont vu dans cette histoire d'horlogerie et de faussaires une émergence de concepts qui reviendraient dans Le Château de Cagliostro (même si apparent les bases de l'épisode étaient déjà écrites chez Osumi, que le traitement est à milles lieues du film à venir, et qu'en vérité la scène d'horloge vue dans Cagliostro était copiée de l'excellent final du troisième opus du Chat Potté version Toei, quel voleur ce Miyazaki qui comme vous le constatez est tout à fait à sa place dans ce programme !), l'épisode 10 donc est déjà plus stable. La dimension criminelle de Lupin y est encore présente, il y devient même totalement antipathique, mais vers la fin il est bizarrement éjecté de l'intrigue. Pendant que se déroule le final tragique, il passe son temps à se castagner contre un sous-fifre lambda dans une séquence comique. Certes c'est moins flagrant que dans l'épisode 7 car les deux façades comiques et tragiques sont séparés, et le centre dramaturgique est déporté aux personnages spécifiques à l'épisode. Mais placer le personnage-titre à l'extérieur de l'action lors du final est très suspect.
Les épisodes 11 et 12 semblent être un exercice un peu surprenant : même si c'est exagéré de le dire, le 11, qui est réalisé par le duo de Production A, ressemble à un épisode de la première partie (de toute façon il semble issu des plans originaux de la série avec quelques transformations) tandis que le 12 - officiellement crédité à Osumi - tente un versant plus comique quoique restant dans le ton des chroniques criminels typique de la première partie. Un peu comme si les réalisateurs avaient essayé d'émuler l'autre. Le 11, avec ses pièges à pont, a le mérite d'être l'un des meilleurs épisodes de la série.
Enfin il y a l'épisode 13. Il ressemble en tout point à un épisode de la seconde partie, certes, mais un effet de surimpression qui traîne au milieu et un script centré sur le sentiment d'impuissance de Lupin, donc conservant l'aspect intimiste qui participait à l'identité de la première partie, me font supposer qu'il y traîne des restes d'Osumi là dedans. C'est l'autre épisode que je n'aime vraiment pas avec son usage complètement foireux des règles du voyage dans le temps.
Derrière toutes ces spéculations foireuses, il m'est assez clair que la première série Lupin III crie haut et fort qu'elle a eu des ennuis de production. C'est un double monstre qu'on a coud de force et qu'on essaie de passer pour un seul.
C'est dommage, j'aimais bien la première partie, mais je suppose que tout le monde laissera entendre que c'est le Lupin cartoon et aventureux qui lancera la franchise.
Ce qui est surtout vrai, c'est que quelque part, Lupin, c'est un peu des deux, mais la série au lieu d'en faire la synthèse a préféré en renier une partie. Le résultat est une série Cerbère, où la première tête se fait bouffer en directe par la seconde. Malgré cette bizarrerie, cette première série reste révérée comme l'origine, la base fondamentale de la franchise Lupin III, et aborde une sorte d'aura intouchable. C'est dire que même si l'épisode 7 est bordélique, il reste traité comme le point immuable où Goemon intègre l'équipe de Lupin, au point qu'aucun préquel imaginé par la franchise n'ose le contredire !