Freud
5.1
Freud

Série ORF 1 (2020)

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Tom Siegel écrasa sa cigarette sur le coin du bureau. Impossible de dire si c'était à cause de la rage qu'il éprouvait ou juste parce qu'il fumait des cendres depuis plusieurs minutes. Dès que la clope fut éteinte, Tom s'en ralluma une autre car il ressentait le besoin compulsif de fumer. On pouvait voir sur le bureau ça et là d'autres traces de brûlures. Chacune semblait avoir sa propre profondeur. On aurait dit que chaque petit cratère présent sur le bois était l'incarnation d'un humeur en particulier. Les traces légères étaient le résultat d'une certaine négligence ou fainéantiste alors que les plus creuses étaient dûes à une colère exacerbée. Tom remarqua que la trace qu'il venait de faire à côté des autres avait créée un cratère remarquable, mais ce n'était pas le pire qu'il avait fait. Il avait déjà été bien plus énervé qu'il ne l'était en ce moment même. Et dire que le cendrier présent au milieu de la table aurait pu éviter ce genre de dégradation...


En face de Tom, son collègue Jerry Chester sirotait un verre de whisky on-the-rock paisiblement. Il ressemblait à un méchant de film qui était en train d'imaginer un plan maléfique pour piéger son ennemi juré. Ou à un banquier de Wall Street, mais cette description était moins flatteuse.
Les deux scénaristes se regardaient dans le blanc des yeux. Un vrai duel s'était engagé, sauf qu'aucun ne semblait avoir l'avantage sur l'autre. Personne n'osait dégainer. Et ce n'était pas plus mal. Calme et Tranquilité s'étaient accaparés du bureau des écrivains qui se trouvait au trente-sixième étage d'un grand building au centre de Los Angeles. Comme quoi, avoir une promotion, ça avait du bon. Ce fut finalement Tom qui tira le premier :


"Tu as fais quoi ?!" Cria t-il. La voix se répercuta sur les murs et les vitres de la pièce puis, elle alla finir sa course dans le couloir car la porte du bureau était encore ouverte. D'ordinaire, l'homme aurait privilégié une approche plus diplomatique. Mais cette situation n'était en rien ordinaire.


"Je crois que tu m'as assez bien entendu, Siegel. Et encore une fois non, je ne suis pas...
- Si. Tu es fou. Tu es taré. Tu es un malade mental. Tu sais combien d'années d'études j'ai fais pour avoir ce poste, ici, au sein d'un grand studio de production ? Tu sais à quel point j'en ai chié pour en arriver là ? Et tu... Tu... Tu gâches la confiance que je t'ai accordée pour tout foutre en l'air avec un seul appel ? Tu sais qu'on risque la porte si jamais ce n'est pas fait à temps, et je te rappelles que je n'ai pas été aidé par papa, moi, donc je ne risque pas de retrouver un emploi de sitôt ! Si on foire on est morts. Est-ce que tu piges ?
- Est-ce un reproche ?
- Non c'est juste une pique.
- Oh."
Tom eut envie de rétorquer quelque chose de plus virulant mais il n'avait pas envie de mettre l'esprit de déduction peu commun de son collègue à rude épreuve. Il était déjà bien assez énervé comme ça. Rajouter de l'essence sur le feu ne servirait à rien. La conversation enflammée se glaça donc pendant plusieurs instants, comme si c'était inévitable. Tom faisait les cent pas dans le bureau, dans son bureau. Il cherchait une solution, il y en avait toujours une. Aucun problème ne pouvait pas être résolu. Pour lui c'était une évidence, même si le problème en question faisait la taille du putain d'iceberg qui avait coulé le Titanic. Tom essayait de raisonner avec le point de vue cartésien qui avait fait sa réputation et celle de ses écrits. "Crier ne sert à rien" se dit-il. La rage le quitta, la raison refit surface. Il n'était pas zen pour autant, mais il était suffisamment calme pour envisager une conversation raisonable. Il prit alors une grande inspiration et tenta de mettre les choses à plat :


"Tu nous as foutu dans une merde pas possible. Mais on va essayer de s'en sortir. Ce n'est pas parce que le Titanic coule que...
- Que l'on ne peut pas sauver quelques personnes ? Tu me la sort à chaque fois celle-là, baby.
- Ouais mais ça n'empêche que c'est vrai..."


Tom s'appuya sur le bureau avec une main et prit son visage dans l'autre avant de soupirer à nouveau. On aurait dit que tout ce qui était néfaste en lui sortait sous forme d'air à travers sa bouche, petit à petit. Ces soupirs n'étaient peut-être pas si inutiles que ça au final.


"Donc on résume, Jerry. Tu viens d'appeler Netflix comme si de rien n'était. Netflix. La putain de plateforme de streaming mondialement connue. Tu leur as demandé si ils avaient du taff et comme ils n'en avaient pas, tu leur a pitché ton idée qui est...
- Une série policière avec le psychanalyste Sigmund Freud comme personnage principal. Ouaip. C'est ce que j'ai fais.
- Et ils ont accepté. Résultat de tout ça : on se retrouve à bosser avec une boîte allemande car la notre ne peut pas tout prendre en charge et il nous reste moins d'un mois pour tout écrire afin que les petits génies à la caméra puissent filmer cette jolie chose à temps.
- Exact."


La raison de Tom le quitta pendant un instant. Ce fut un sentiment d'angoisse qui prit sa place.


-Putain mais merde, Jerry. Tu sais combien de temps il faut pour écrire un seul épisode de série ?
-Euh... Beaucoup ?
-Oui. beaucoup."


Silence. La respiration de Tom était la seule chose d'audible. Il se passa encore une main sur la figure comme si cela permettait d'arranger la situation. Jerry buvait son whisky comme si il maîtrisait parfaitement ce qui était en train de se passer. Il tenta de se jusfitier :


"Okay j'ai peut-être un peu déconné avec le délai, mais avoue que l'idée claque quand même. Comme on a écrit "A couteaux tirés", je me suis dis que ça serait sympa de rester dans le même domaine non ?
- Alors... Par où commencer...
- Ben par le début.
- ...
- Désolé."


Silence à nouveau. Si la phrase insignifiante de Jerry avait été prononcée quelques instants plus tôt, il l'aurait peut-être payé de sa vie.


"Je disais donc. Par où commencer ? Ah je sais. Déjà je vais démonter ton idée petit-à-petit. Premièrement, si A couteaux tirés, marchait bien c'est parce que le personnage principal était un flic. C'est son taff de faire ça, de résoudre des enquêtes. Là tu as mis un médecin comme protagoniste, ça ne peut pas marcher.
- Pourquoi ? Les deux aident les gens non ?
- Oui mais pas de la même manière. Putain Jerry ne me dit pas que tu ne sais pas ça ? Pour le coup c'est comme si tu avais demandé à Scorsese de faire du Kurosawa ou à Fincher de réaliser un film de monstre : c'est absurde !
- Je vois pas ce que tu veux dire. Et puis ça serait cool de voir un film de samouraïs réalisé par Scorsese...
- Ce que j'entends par là, c'est que chacun à sa spécificité. Tu ne vas pas demander à un mec qui réalise des films de gangsters de faire autre chose que ça. En l'occurence tu ne vas pas demander à un type qui soigne des gens de résoudre des crimes ! C'est l'évidence même !
- Oh. Je vois.
- Donc ton idée de base elle est naze ! T'as un cadavre devant toi, il faut faire une enquête; tu appelles Sherlock Holmes, pas Dr House ! Ensuite... Pourquoi précisément Freud ? C'est pas un peu con ?
- Je ne sais pas. Je me suis dis que mettre quelqu'un de connu en personnage principal c'était bankable.
- ça l'est, mais uniquement quand tu fais un biopic. Pas une putain de série policière avec un médecin en protagoniste."


Jerry posa son verre sur le bureau. Il semblait dépité, un peu comme un enfant à qui on aurait pris soin de briser les rêves un à un.


"écoute Tom. Je me suis dis, le gars est un psy, il doit s'y connaître en psychologie.
- Hé mais attends c'est pas con ce que tu dis. Et le feut ça brûle, je me trompe ?
- Je veux dire, un psychologue qui élucide des meurtres ou qui cherche à les comprendre... Le potentiel était là non ?
- Oui... sauf que ça existe déjà.
- Merde.
- Eh oui, ça s'appelle Mindhunter, Jerry."


Si il avait eu vingt ans de moins, Jerry Chester se serait presque mit à pleurer. Pour le coup tous ses rêves étaient éparpillés en morceaux sur le sol. Il n'en restait rien, hormis des débris minuscules comparables à des atomes. L'homme pensait bien faire, mais au final son idée prenait l'eau de toute part.


Tom soupira. : "Tu aurais dû me consulter". Dit-il d'un ton posé. Sa colère s'était dissipée et avait disparue pour de bon. Il s'était rapproché de son ami, lui avait tapoté l'épaule comme il l'avait fait un nombre incroyable de fois. Jerry avait dix ans de moins que lui, ses actions insensées se justifiaient donc par le fait qu'il apprenait son métier. Contrairement à Tom, il n'était là que depuis cinq ans, tout au plus.


"Consulté ? C'est marrant, vu que ça parle d'un psy...
- Bon. Plutôt que de dire ça, on s'y met ?"


La série Freud fut écrite en un temps record par nos deux compères. L'histoire était assez étrange et traitait d'occultisme, d'une famille qui voulait prendre le pouvoir, d'une fille manipulée et au milieu de tout ce joyeux merdier, il y avait le docteur Freud que personne ne prenait au sérieux à cause de ses théories spéculatives sur l'hypnose. De plus la présence d'un policier était nécessaire vu qu'il s'agissait d'une enquête. On le nomma Alfred Kiss pour une raison étrange, Tom Siegel y voyait là un clin d'oeil au célèbre groupe de rock et trouvait juste que ça "en jetait pas mal". Et puis "Kiss" en Allemand, ça ne voulait rien dire. Lorsque la série arriva sur Netflix, le public fut mitigé. Pourquoi avoir prit une figure historique comme personnage principal ? Ainsi à chaque fois que Tom trouvait un post sur les réseaux sociaux ou un article de journal qui en parlait, il le montrait à son ami et le gratifiait d'un "Je te l'avais dis.". La critique salua la performance des acteurs qui était plutôt convaincante mais l'histoire quand à elle reste douteuse. On oscillait en permanence entre l'illogique et l'absurde. Du point de vue de certains internautes, la série était une sorte de créature de Frankenstein que l'on aurait rafistolée comme on le pouvait. Le résultat n'était pas bon, il n'était pas mauvais non plus. La série se regarde, ça en plus, et elle dépasse tout juste la médiocrité. On n'en retiendra pas grand chose, ce qui est assez paradoxal pour quelque chose qui est centré sur un médecin spécialiste du cerveau humain. Freud est juste... là. Une série comme on en connaît des tas. Une série oubliable. Certains mentionneront le fait qu'un vrai biopic sériel aurait été intéressant, d'autres diront que c'est du gâchis de temps et d'argent. L'oeuvre n'est pas clivante pour un sou. Elle existe, c'est tout.


"Au final, ce n'est pas si mal ce qu'on a fait. T'en penses quoi Jerry ?
- Oh tu sais, moi, la psychanlyse, ça m'a jamais fasciné..."

L_artiste__
6
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le 30 juin 2020

Critique lue 162 fois

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