Boucault ne nous refile pas d'un bloc l'affaire Aldo Moro comme une simple algarade de l'Histoire.

Nous sommes le 16 mars 1978, par une matinée printanière qu'un soleil romain tiédit les toits de tuiles rouges, à un carrefour, sur la via Stresa, un convoi de trois voitures qui véhicule Aldo Moro à une réunion de la Chambre est assailli par une dizaine de brigadistes. En l'espace de quelques secondes, les balles pleuvent, les corps tombent, le temps se fige, le président de la Démocratie Chrétienne est pris en otage, puis séquestré dans une cache des Brigades rouges, au cœur de la cité romaine. Le corps sans vie de l'otage est retrouvé le 9 mars, dans le coffre d'une automobile stationnée via Caetani. L'unique douille près du corps estampille la 'conclusion d'une bataille', selon les dires des responsables brigadistes. Le peuple italien vit les pires moments de son histoire d'après-guerre, ces terribles 'années de plomb', dont des partis, tant d'extrême droite que de gauche, revendiquent la paternité.

Mosco Lévi Boucault est un documentariste obnubilé par ce 20ème siècle pénétré du communisme. 'Ils étaient les Brigades rouges' prolonge son observation en examinant la déferlante terroriste des années 70 dans une concordance politique où la gauche s'allie avec des démocrates-chrétiens. L'entreprise a vu le jour en 1995, suite à la lecture des livres de Renato Curcio et Mario Maretti, deux membres du commando en charge de la mission Aldo Moro. Depuis lors, 16 années d'acharnement ont permis au réalisateur d'enfin discerner le parachèvement de son travail, un documentaire circonstancié – lecteur, rester rivé à son écran plus de deux heures relève, pour certaines âmes échaudées, de la liberté conditionnelle.

Construit autour des témoignages de quatre anciens brigadistes, dont l'une des têtes pensantes, Mario Moretti – en régime de semi-liberté – le film présente un schéma classique, sans fioritures, jalonné d'images d'archives, et scindé en deux parties, la première centrée essentiellement sur le contexte socio-économico-politique de l'Italie depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale. Boucault ne nous refile pas d'un bloc l'affaire Aldo Moro comme une simple algarade de l'Histoire ; son approche fixe les réalités d'une époque, confronte les animations idéologiques qui ont germé depuis cette année fatidique : 1917. Les transformations sociales qui s'opèrent à l'encolure des années 50 n'épargneront pas l'Italie, clivant le pays en deux strates distinctes, un nord prospère, et un sud appauvri. Les quatre brigadistes sont issus de ces classes populaires, ayant fui leur région dans l'espoir d'un avenir digne de ce nom. Graines semées dans le terreau du syndicalisme et du discours idéologique, elles ont éclos au sein de divers mouvements d'opposition, de droite et de gauche. L'objectif de Boucault se focalise, dans un premier temps, sur le parcours sociologique de ces quatre protagonistes, et dans un deuxième temps, se concentre sur le laïus doctrinal qui émerge d'une certaine gauche radicalisante. Aux hurlements d'une frange activiste de cette jeunesse concordait le silence assourdissant d'une classe dirigeante exsangue, engoncée depuis 40 ans dans une politique de droite, cette politique des cadres, pour les cadres, mais encore le désintérêt de cette gauche envers ses rejetons à l'aube de pactiser avec la Démocratie chrétienne.

Ces anciens brigadistes expliquent, depuis la genèse jusqu'au dénouement, l'enlèvement d'Aldo Moro, face caméra, les yeux dans les yeux, sans aucun devoir de réserve – la plupart d'entre eux ont déjà payé leur dette envers la société. Au travers d'un discours limpide, sans arrière-pensées, leurs mots assènent, plus de trente années après les évènements, cette rigueur du ressentiment à l'encontre d'un système. La volonté de poser des actes concrets pour se faire entendre dérivera inévitablement vers une violence non-canalisée. Malgré les dommages, directs et collatéraux, Mosco Lévi Boucault ne nous abandonne pas aux écueils d'une faconde moralisatrice, il laisse uniquement le point de vue s'exprimer, avec sa subjectivité la plus formelle, exposant davantage la complexité du mouvement des Brigades rouges. .

''Les révolutions sont des temps où le pauvre n'est pas sûr de sa probité, le riche de sa fortune et l'innocent de sa vie.'' A cette pensée du moraliste Joseph Joubert, puis à l'écoute des propos d'un Mario Moretti, on ne peut s'empêcher de porter notre réflexion par-delà le spectre de l'avilissement de l'humanité, comment l'Homme, au nom d'une quelconque idéologie, peut-il disposer, arbitrairement, de la vie de ses semblables, voici le questionnement que nous propose Mosco Lévi Boucault !
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le 2 nov. 2011

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Ils étaient les brigades rouges
Dolafleche
9

C'est ainsi que le mot "documentaire" prend tout son sens.

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