Sur le sentier de la gloire

J’étais sceptique, voire même un peu effrayé en venant sur ce drama qui expose un art qui fait parti intégrante du patrimoine national coréen, j'ai nommé le Yeoseong Gukgeuk. Pour moi comme la plupart d'entre nous, c'est un peu "RDV en Terre Inconnue". D'ailleurs à la suite de la diffusion de la série, les professionnels du monde de la culture, ont appelé à ce que cela fasse partie du patrimoine immatériel afin d’aider à perpétuer ses traditions. Ce spectacle, équivalent de l'Opérette en France(danse, chant et phases de dialogues), a la particularité d'être exclusivement composée de femmes. Femmes qui interprètent aussi les rôles masculins. Née peu de temps après la 2e guerre mondiale, il va atteindre son apogée dans la décennie suivante, et sa popularité commencera à décliner au début des années 60 à cause du cinéma et de la télévision. "Jeong-Nyeon: The Star Is Born" va s'avérer être divertissant, très instructif et pédagogique, mais aussi bouleversant de sincérité. Après une introduction de présentation du casting principal par Cho Yeong-suk "herself", une des plus grandes artistes de gukgeuk de tous les temps, le spectacle peut enfin commencer.

Nous sommes à l'automne 1953, la guerre de Corée vient de s'achever. Yoon Jeong-Nyeon(Kim Tae-Ri) est une jeune fille vivant pauvrement dans la petite ville de pécheurs de Mokpo, avec sa mère et sa sœur, et dont le seul bonheur est de chanter devant les clients en vendant ses palourdes. Mais en réalité son plus grand rêve est de partir à la capitale devenir actrice dans une troupe de théâtre gukguek. Car Jeong-Nyeon possède un don de naissance: elle possède une vois exceptionnelle qu'elle est capable d'exprimer dans le Pansori (forme d'art dramatique musical exécutée par un chanteur accompagné d'un tambour). Mais la chance va se présenter à elle. Un jour la troupe théâtrale de gukguek Maeran, dirigée par la réputée Kang So-Bok(Ra Mi-Ran), fait halte dans la ville pour une représentation. Jeong-Nyeon va assister au spectacle et surtout faire la rencontre qui va changer sa vie, en la personne de Moon Ok-Gyeong(Jung Eun-Chae), une des plus grandes star de gukguek qui interprète uniquement le rôle principal masculin durant le spectacle. D'ailleurs même à la ville, elle est coiffée et habillée comme un homme. Elle va la motiver à rejoindre le "Chateau" (genre Star Academy) en tant que stagiaire, pour qu'elle puisse un jour rejoindre la troupe. Pour cela elle devra travailler dur et apprendre la danse et la comédie. Elle y rencontrera Heo Young-Seo(Shin Ye-Eun), sa rivale, mais aussi Hong Joo-Ran(Woo Da-Vi), qui deviendra sa meilleure amie.

Alors tout d'abord je tiens à préciser que si on va parler gukguek dans le drama, il y a aura pas que çà. En effet, la réalisatrice qui sortait de "The Red Sleeve" (les amateurs de Joseon apprécieront) a eu la sagesse et l'intelligence de nous évoquer en parallèle un drame sentimental tout en finesse et pudeur. Car dans les années 50, et pas qu'en Corée d'ailleurs, afficher son orientation sexuelle en dehors de la norme était impossible. Donc je tenais à vous prévenir (sans jugement de ma part) que si l'évocation (sans démonstration) de l'homosexualité féminine vous pose un problème, ce n'est pas la peine de venir sur le drama. Si je vous parle de çà, c'est que c'est un élément important dans le développement de l'histoire et des péripéties qui vont impacter Jeong-Nyeon. Niveau narratif, c'est très facile à suivre et surtout très plaisant à regarder. On verra toutes ces jeunes filles évoluer et se donner à fond pour faire partie de la représentation théâtrale. Et le gros plus c'est qu'on va assister à de longues séquences de spectacle qui vont durer plusieurs minutes, un pur régal. Nous sommes dans une période où le traditionnel est encore triomphant, où les valeurs de la Corée ne sont pas encore en concurrence directe avec l'invasion culturelle américaine dans la péninsule. Bien entendu ce drama parlera de chant et de musique, mais on n'oubliera pas la petite piqure de rappel concernant la pauvreté, en montrant la différence de classes sociales entre les filles.

La série est didactique, mais juste ce qu'il faut. Ces demoiselles s'investissent à 200% dans leur apprentissage, car le gukguek demande de la rigueur, de l'exigence et surtout beaucoup de travail pour atteindre la perfection. C'est un entrainement de tous les instants. Mais le chemin sera long jusqu'à la gloire: des secrets de famille seront dévoilés, des amitiés et des jalousies mises à mal, et de nouvelles opportunités vont se présenter pour les meilleures. Jeong-Nyeon connaitra des vicissitudes, mais elle saura rebondir avec force et abnégation. C est un vrai garçon manqué de part ses attitudes, elle est brute de décoffrage. Son altruisme, sa naïveté et sa gentillesse vont lui coûter cher au début , mais elle a du répondant et du courage à revendre. Attention, pas de crépage de chignons ici, c'est de la rivalité saine sans coups fourrés, ou alors légers. Le danger et la trahison viendront d'ailleurs. Young-Seo, sa grande rivale sera son moteur et inversement. Au fil du temps, on verra l'amitié que lui porte Joo-Ran se transformer en amour. Mais je n'ai pas envie de vous spoiler sur la suite de toutes ces relations. A titre personnel, j'ai trouvé que çà dégageait du beau et de la douceur. J'ai souvent été épaté parce que je voyais, Les valeurs positives et le bonheur dégagé par tout ce petit monde contrastent avec ce couple atypique formé par les stars du spectacle que sont Ok-Gyeong et Seo Hye-Rang(Kim Yoon-Hye). Sans précision, çà paraît presque irréel que personne ne trouve à redire de leur relation ambiguë, mais dont on aura compris (à moins d'être cons) qu'elles forment un vrai couple à la ville, élevant en plus la nièce de Hye-Rang.

Pourquoi Jeong-Nyeon: The Star Is Born est une totale réussite? j'aurais presque la paresse de dire juste: Kim Tae-Ri, madame 100%. Seulement 4 dramas de tournés(je ne m'explique pas pourquoi) et que j'ai tous vus, et que du bon. "Ce petit bout de femme est tout simplement exceptionnelle, du talent à l'état pur. Comme l'a justement précisé Kdrama_addict dans sa critique, elle s'est totalement investie dans son rôle durant pendant des mois. Et à l'instar de Park Eun-Bin dans le drama "La Diva naufragée", c'est vraiment elle qui chante, mais qui danse aussi. Le résultant est bluffant de réalisme. D'ailleurs c'est tout le casting qui est à féliciter car leur prestation sur scène est magnifique avec tous ces décors, ce costumes et ces chants qui font frémir. Le Pansori est un art à lui tout seul qui dégage une émotion pure. On boit du petit lait devant les démonstrations scéniques auxquelles nous avons droit. La mise en scène et la photographie sont une vraie réussite et contribuent à la réussite de la série. Alors à moins d'être allergique à un casting à 99% féminin, être hermétique à d'autres cultures, ressentir de la joie et des ondes positives, vous ne regretterez pas votre place au fauteuil d'orchestre. Ce genre n'est pas pas tasse de thé au départ, et pourtant j'ai été envouté et emporté dans la danse. Et puis il y aune vraie histoire derrière cette troupe de gukguek. Je sais que çà n'a rien à voir, mais en regardant cette série un brin nostalgique, j'ai repensé à "La vie portera ses fruits", surtout que Moon So-Ri interprète le rôle de la mère de Yoon Jeong-Nyeon.

Je n'ai quasiment que des éloges à faire sur cette série, qui a remportée le vote de ma liste Choisis ton K-drama

C'est de la chaleur humaine avant tout qui repose sur des relations amicales, sentimentales, certaines tabous pour l'époque, des interactions de maitre à élève, et qui vont se chevaucher et activer nos sens. La notion de sacrifice et de dévouement seront mises en avant. Mais c'est surtout la passion pour cet art qui ressort, et on se prendra à verser quelques larmes. Le Yeoseong Gukgeuk fut un art intense, avec ses stars et ses fans en liesse, mais malheureusement éphémère en Corée, très rapidement remplacé en moins de 20 ans d'abord par le cinéma, puis par la télévision. Le Gukgeuk avait la particularité d'être une activité exclusivement gérée et générée par des femmes, dans une période où le monde culturel était essentiellement masculin. On pourrait même apparenter ce phénomène au premier mouvement féministe coréen si on y réfléchit bien, avec l'effacement des genres (et c'est moi qui dit çà). Le Yeoseong Gukgeuk est le mouvement antagoniste du mouvement Ch'anggŭk, mis en avant durant l'occupation japonaise, et où les hommes jouaient des rôles importants et qui se rapprochait du Kabuki (théâtre traditionnel japonais). De nos jours les mouvements progressistes coréens tentent de faire revivre l'art du Yeoseong Gukgeuk, non seulement en Corée du Sud, mais aussi auprès de la diaspora nord américaine. Si j'ai aimé, c'est évident non?

Main Theme: Jo Yuri - Spring Days Pass

Additionnel OST: Kim Tae-Ri - Chucheonga, Bangja Bureum

Bonus : Seo Yong-rye - Chuwolmanjeong