Longtemps considéré comme intouchable, voire inadaptable, le manga rédigé par le génie artistique Hirohiko Araki avait d'ores et déjà été sacralisé comme une oeuvre culte par les Japonais. Malgré une tentative timide d'adapter la troisième partie en OAV dans les années 1990, il était communément admis qu'un projet de retracer l'entièreté de ce moment en animation relevait de l'impensable, et même de l'impossible. Toutefois, en 2012, l'humble studio David Production (à l'époque inconnu au bataillon) choisit de s'y atteler, et de relever le défi hallucinant de donner vie à l'art excentrique d'Araki dans un anime qui sent le frais, et propose dans cette première saison une adaptation des deux premières parties du manga culte : Phantom Blood, et Battle Tendency.
La fresque intergénérationnelle tracée par Araki depuis le milieu des années 1980 trouve son point d'origine dans un récit de vampires en pleine Angleterre Victorienne. L'arc "Phantom Blood" se développera à travers les neuf premiers épisodes de cette saison. Cette partie relativement courte témoigne des débuts modestes d'Araki dans la saga Jojo's. Néanmoins, elle n'en est non moins pertinente à l'échelle globale de l'histoire de la dynastie des Joestar. Il est donc nécessaire de la comprendre afin de pouvoir mieux appréhender la colossale œuvre d'Araki.
I. Phantom Blood (Episode 01-09)
L'intrigue de cette première partie n'est nettement pas la plus riche ni la plus passionnante de cette vaste saga. Néanmoins, son cadre atypique pour un manga/anime suscite la curiosité : Suffisamment pour rendre assez palpitant tout de même le visionnage de ces neuf premiers épisodes. L'histoire témoigne déjà des bizarreries qui seront caractéristiques de l'écriture d'Araki tout le long de la série : Si un spectateur non initié peut s'attendre en premier lieu à une simple histoire d'aristocrates anglais, jamais il ne devinerait que ses développements la changeraient en l'espace de quelques épisodes en une affaire de combats à pouvoirs surnaturels contre des vampires. Pourtant, cette transition s'effectue facilement et naturellement, contre toute attente. Le scénario de Phantom Blood bénéficie de sa croyance sincère en son propre développement pour convaincre le spectateur. L'univers qu'il installe est farfelu au possible, mais étonnamment, il demeure toujours crédible. Cela rend l'histoire fluide et légitimement engageante. Lorsqu'elle se plonge dans le drame, elle parvient à proposer plusieurs moments légitimement marquants, que ce soit des scènes d'émotion sincère mais également des combats épiques qui ne font pas de demi-mesures sur la violence. Chaque rebondissement est véritablement bienvenu, malgré l'enchaînement des évènements à un rythme si effréné qu'il en est presque absurde... On ne s'ennuie absolument jamais! Si l'on peut aisément reprocher à cette partie son mélodrame (se prenant souvent beaucoup trop au sérieux dans son absurdité pour son propre bien, avec des dialogues volontiers over-the-top) ou encore son exposition abusive et surexplicative, il n'est nul doute qu'elle offre ici une fondation solide pour ses successeurs - Qu'il convient désormais d'analyser un peu plus en profondeur.
Jonathan Joestar, le protagoniste originel de l'œuvre, est un personnage en réalité assez particulier. S'il est régulièrement critiqué pour sa relative platitude, j'estime qu'il possède une importance non négligeable pour comprendre sa succession. Se définissant lui-même comme "humaniste", Araki place selon moi sa thèse initiale dans son héros original, représentant alors la vision qu'il se fait de l'Homme parfait. Ainsi, le tout premier personnage affublé du surnom Jojo incarne les valeurs qu'attend l'auteur de l'Humanité : Une profonde noblesse d'âme, une force de convictions à toute épreuve et un développement idéal du corps. Ce héros idéalisé, dont la bonté unilatérale peut ennuyer certains, est en réalité essentiel pour comprendre l'entièreté de l'oeuvre : Car il représente l'esprit que doivent tâcher d'incarner ses successeurs. Si nul d'entre eux n'atteint son sens de la chevalerie, tous partagent son courage, son altruisme et sa volonté de fer. Il s'agit bien là de la flamme qui se transmet à travers toutes les générations de la grande famille, et dont Jonathan est le point de départ, le stade zéro nécessaire pour allumer ce feu inextinguible. Jonathan est un prophète pour le reste de ses descendants, car il est celui qui annonce le destin de sa lignée, l'homme qui prépare l'éternel dévouement de cette famille à faire le bien.
Il apparaît comme une figure christique évidente, jusque dans son sacrifice final et son trépas dans les bras d'un homme qu'il considérait comme son frère, qu'il choisit même de pardonner dans ses derniers instants de vie, montrant ainsi qu'il souhaite mourir de la même façon qu'il a vécu. En ce sens, sa disparition prématurée fait de lui une légende, puisqu'il est celui dont le récit se transmettra à travers les multiples générations de Joestar qui lui succèderont, dont nul n'ignore son histoire. Cela le place comme un personnage absolument incontournable dont les aventures, à défaut d'être les plus passionnantes, sont peut-être la pierre angulaire de la saga.
Face à Jonathan, se dresse un antagoniste des plus intéressants, l'inoubliable Dio Brando. Dio est un personnage d'une finesse rare, dont l'écriture sera bien évidemment étayée par les parties successives de la série, où il est certainement le personnage le plus récurrent. Dio est intéressant car il est une antithèse parfaite à ce que représente Jonathan - Affirmant rapidement "rejeter son humanité". Ce geste symbolique, par lequel il transcende sa condition de simple mortel pour devenir un vampire, portera ses marques sur l'entièreté de l'oeuvre. Si plusieurs des parties ultérieures feront le choix d'adopter des antagonistes au passé trouble et la psychologie fouillée, Dio est l'exact inverse du protagoniste qu'il affronte, c'est à dire qu'il représente une forme de mal absolu. (Dans un manichéisme que j'estime voulu par l'auteur pour cet arc initial. Cette dichotomie parfaite entre les deux personnages centraux contribue à la dimension mythologique, quasi religieuse, de leur affrontement). Dans cette première partie, l'angle que choisit Araki pour traiter le cas de Dio sera ainsi celui de la pure monstruosité. Les actes commis par ce personnage à travers la partie I seront exponentiellement barbares et profondément violents, profanant ainsi tout ce en quoi Araki donne de la valeur. Il est profondément efficace dans sa cruauté sans bornes et sa virulence presque bestiale, ce qui en fait un adversaire tout à fait passionnant, et délicieux à regarder à l'écran. Sachant volontiers se montrer éloquent et théâtral lorsqu'il le souhaite, Dio est un diamant pur en tant qu'antagoniste qui demeurera un cas d'école dans le shônen pour les décennies qui suivront l'écriture du manga. Ici, le seiyuu Takehito Koyasu livre une performance inoubliable dans le rôle à un point où sa voix est instantanément reconnaissable dans les autres animes. Dio est peut-être même LE personnage culte de Jojo's Bizarre Adventure s'il n'en fallait qu'un seul, et, de toute évidence, ce serait un titre qu'il n'usurpe pas.
L'affrontement face au vampire est mené par Jonathan par le biais du pouvoir de "l'Onde" un système magique gracieusement introduit par la figure du mentor Will A. Zeppeli, un personnage témoignant déjà de l'affection immense que porte Araki envers l'Italie. Si l'Onde est initialement fascinante, il est clair qu'il s'agit d'un système artistiquement limité, qui permet relativement peu de variété dans les scènes d'action au-delà de la violence brute. Néanmoins, sa signification thématique est non négligeable. L'Onde, par une maîtrise consciente de la respiration, fait ressortir le meilleur de l'être humain et lui permet d'optimiser sa condition, (produisant alors une énergie comparable à celle du soleil), voire même d'accroître sa longévité. Il s'agit bien sûr d'une manifestation supplémentaire de la thèse d'Araki cherchant à mettre à nu l'Homme dans ce qu'il possède de meilleur, aussi bien extérieurement qu'intérieurement.
Ecriture des années 1980 oblige, le traitement des personnages féminins fait encore défaut à Araki, ce que l'on peut voir avec le cas d'Erina Pendleton, celle qui sera la petite amie de Jonathan puis sa femme. Si l'abnégation dont fait preuve Erina suite à son agression par Dio dans le premier épisode est tout à fait remarquable, il s'agit essentiellement de son seul fait d'armes, puisqu'elle sera réduite simplement à sa place en tant qu'intérêt amoureux du héros pendant le reste de cette partie, où son temps d'écran sera d'ailleurs relativement faible - Elle n'est qu'un personnage accessoire, la promise du protagoniste à laquelle il peut revenir après un dur combat face aux vampires. Le personnage manque réellement d'affirmation dans l'histoire à un point où j'ai envisagé de l'omettre de ma critique - Ce qui aurait été d'autant plus irrespectueux, d'où l'existence de ce paragraphe... Il s'agit bien sûr d'un aspect de l'oeuvre qui vieillit mal mais qui est explicable par le contexte de l'écriture : Ce dont Araki a lui-même conscience car il ne cessera de s'améliorer sur ce point dans les parties qui suivront, jusqu'à proposer un cast majoritairement féminin et légitimement fort dans la sixième partie.
Pour conclure, Phantom Blood est une introduction nettement positive à l'inimitable mythe Jojo's Bizarre Adventure. Eminemment caractéristique de la personnalité excentrique de son auteur, cet arc incarne la genèse d'une vaste saga qui ne fera que s'améliorer à mesure qu'elle se poursuit. Un premier pas certes pas exempt de défauts, mais tout à fait respectable dans l'univers des Joestar.
II. Battle Tendency (Episode 10-26)
Cette déclaration sera peut-être sujette à controverses, mais j'estime que l'intrigue de la partie II est sensiblement du même niveau que celle de son prédécesseur - Ce qui l'aide à s'en distinguer, c'est son sens aigu de l'autodérision, dont la partie I était totalement dépourvue. Sans la moindre difficulté, Araki parvient ici à totalement renouveler son cadre : Si la thématique des vampires subsiste sur le devant de la scène, nous nous situons désormais dans l'Amérique de l'aube de la Seconde Guerre Mondiale. (Ce qui donne d’ailleurs lieu à la présence des Nazis, bien que leur traitement soit thématiquement douteux). L’univers et ses caractéristiques essentielles étant déjà acquis grâce à la première partie, ce nouvel arc se permet une introduction très convaincante sur les chapeaux de roues qui installe un rythme qui ne se relâchera jamais jusque la fin de la saison. Les dix-sept épisodes de Battle Tendency filent à une vitesse folle tant ils sont divertissants, et ce, malgré la simplicité (relative) de l’intrigue, héritée de Phantom Blood. L’excentricité dont faisait preuve Araki lors de la première partie est ici démultipliée – Et surtout, elle semble d’autant plus assumée et revendiquée plus fièrement. L’identité artistique de la série, bien que balbutiante, est d’ores et déjà en train de se dessiner.
Quant aux péripéties, elles redoublent d’inventivité. Déjà lassé du système de l’Onde, Araki cherche à l’amener dans ses derniers retranchements en exploitant le maximum du potentiel créatif qu’il peut encore offrir – Ce qui donne lieu à des scènes d’action innovantes et uniques, qui tranchent avec le côté très Hokuto no Ken des combats de la partie précédente, très souvent axés sur le corps à corps quasi pur. Les combats de la partie 2 vont commencer à s’orienter d’avantage vers un côté très tactique, où celui qui prendra l’avantage sera celui qui sera parvenu le dernier à déjouer la stratégie adverse. Néanmoins, il se montrent tout aussi généreux dans la violence brute – Les échanges de coups physiques où de super-pouvoirs redoublent d’ingéniosité dans leur mise en scène, ce qui met davantage en avant les particularités de la narration d’Araki que la partie I.
En outre, si j’avais abordé un fort côté mélodramatique dans Phantom Blood, je trouve qu’il subsiste ici : Néanmoins, l’écriture parvient à le rendre plus efficace voire légitimement émouvant pour une scène en particulier dans l’épisode 20. Les dialogues obtiennent déjà plus de naturel, ce qui découle du travail d’Araki dans son traitement des dynamiques interpersonnelles, qui s’améliore sincèrement depuis Phantom Blood. J’en veux pour exemple la relation amicale/rivale entre Joseph Joestar et Caesar Zeppeli, qui est sincèrement attachante et fonctionne tout à fait, produisant ainsi un duo mémorable. Ainsi, si le scénario proposé par Araki n’est guère plus dense ou plus profond, il parvient à en éliminer certaines faiblesses pour mieux faire briller ses forces, ce qui le place dans un élan de progrès honnête, tout à fait bienvenu.
Joseph Joestar est un protagoniste intéressant. Pour moi, il apporte un vent de fraîcheur à point nommé, qui tranche radicalement avec la personnalité chevaleresque de son défunt grand-père. Si la détermination du premier s’illustrait par sa grande noblesse, qui lui faisait rechercher la victoire dans l’honneur, le second ne fait que redoubler de ruse pour parvenir à ses fins. Au sens strict, ce n’est pas un héros – Il ment, il triche, il fraude pour gagner, et ce, peu importe le contexte. Il incarne un autre aspect de l’Homme idéal selon Araki – Ce que j’appelle la figure « d’Ulysse », c’est-à-dire l’individu dans toute la splendeur de son intellect, une arme hors pair qui peut triompher même des Dieux (ce qui s’avèrera bien pertinent dans cette partie…). Joseph est un protagoniste différent de son grand-père tout en muscles, car il commence à montrer l’importance de l’esprit, notion qui sera omniprésente dans les parties suivantes de Jojo’s.
En ce qui concerne ses motivations, Joseph est moins intéressant toutefois que son prédécesseur, et va avoir une tendance à se laisser porter par l’intrigue. Là où la tragédie de Jonathan et son drame familial avaient une pertinence toute trouvée, Joseph va davantage subir les développements de son histoire que véritablement la diriger, ses enjeux lui étant souvent imposés. Il est un personnage qui selon moi, manque nettement de relief, et est même le maillon faible de la dynastie des Joestar. Si la thématique qu’il apporte à la saga est pertinente, son écriture reste relativement creuse, et s’exempt de tout élément qui pourrait contribuer à complexifier ce personnage souvent plat, qui n’a que peu d’intrigue personnelle, ou d’éléments à développer, et se fait souvent diriger par le scénario, ce qu’il cache par un humour à toute épreuve le rendant sans cesse plaisant à voir à l’écran, ce qui est bien sûr accentué par la performance géniale de son seiyuu Tomokazu Sugita, déjà connu pour son rôle comique en tant que personnage principal de Gintama. Il se limite à son trope de la réinterprétation moderne d’Ulysse, et en ce sens, c’est solide, mais sinon, il reste le protagoniste le moins intéressant proposé par la saga.
Néanmoins, il est fantastiquement complété par son ami et rival évoqué plus tôt, Caesar Zeppeli. Caesar est un personnage qui fonctionne très bien, et il a le mérite d’avoir des motivations moins nébuleuses que celles de son comparse, ce qui lui donne un arc narratif légitimement pertinent qui mène à une conclusion assez inoubliable, un moment culte de la saga Jojo’s Bizarre Adventure. Caesar, de par sa dynamique avec Joseph, illustre pour la première fois la capacité d’Araki à dépeindre des duos entre jeunes hommes à la limite de l’homoérotisme, ce qui se perpétuera dans pratiquement toutes les parties suivantes, donnant ainsi naissance au trope baptisé affectueusement le « JoBro ». En tant que premier vrai JoBro, le personnage de Caesar est une nette réussite, bien que sommaire, il remplit un rôle clair et parvient à efficacement s’y tenir jusqu’à sa fin. En outre, si j’avais dit concernant Phantom Blood que l’écriture des personnages féminins (représentés par la seule personne de cette pauvre Erina), était un échec, ici, nous pouvons constater une véritable progression avec le cas de Lisa-Lisa. Bien qu’il s’agisse encore une fois d’un personnage relativement peu étoffé, elle possède une véritable présence à l’écran ainsi qu’un certain charisme indéniable, et surtout, elle est montrée comme sincèrement compétente, (bien que pas autant que désiré par Araki à cause de la pression éditoriale), mais il s’agit déjà d’une évolution remarquable pour Araki qui représente une figure féminine forte sur laquelle les deux protagonistes doivent compter pour leur propre progression.
La partie II permet d’étoffer certains éléments laissés en suspens par la première, et cela inclut bien évidemment la mythologie des masques de pierre, qui confèrent à Dio et plus tard à Straits leurs pouvoirs vampiriques. Leurs créateurs, des êtres quasi-divins baptisés Hommes du Pilier, servent d’antagonistes majeurs à cette partie. Au nombre de quatre, ils seront vaincus tour à tour par Joseph et ses compagnons dans des combats redoublant sans cesse d’ingéniosité. Quant aux personnages en eux-mêmes, ils n’ont selon moi que peu d’intérêt. S’ils parviennent au minimum à avoir suffisamment de caractérisation pour être bien distincts les uns des autres, leur seule pertinence sera d’illustrer l’idée de cette partie que l’intellect humain peut vaincre même les Dieux – Ce qui est parfaitement représenté par l’affrontement final de Cars, devenu l’être ultime, avec Joseph, un simple humain, ne pouvant compter que sur sa ruse et sur la chance. Si Araki parvient à donner du sens à ses antagonistes, ils n’effleurent pas du tout le charisme de Dio, qui reviendra de toute manière dans la partie suivante.
Ainsi, Battle Tendency est un arc réussi, dans la lignée directe de son prédécesseur, qu’il parvient à transcender avec une créativité nettement plus marquée qui définit davantage l’identité artistique de son auteur alors encore en train de se constituer. Malgré sa difficulté à approfondir ses personnages, elle parvient à s’illustrer par une intrigue mieux maîtrisée et mieux rythmée, dont tous les développements sont véritablement passionnants. Un très bon moment !
III. L’art de Jojo’s
Dernière partie – Potentiellement la plus importante. Comment cet anime se distingue-t-il artistiquement ? Les planches du manga d’Araki étant déjà assez particulières dans leur découpage, et leur style de dessin qui vise une forme de réalisme notamment dans l’anatomie (bien qu’encore assez approximatif là-dessus dans les parties I et II), David Production parvient à les animer et à leur donner vie en les modernisant sans jamais la dénaturer. La direction artistique est particulièrement soignée, et met excellement en lumière les designs hauts en couleur d’Araki tout en sachant se les approprier. Il est clair qu’ils ne sont plus tout à faits illustrés tels qu’ils l’étaient dans les années 1980 : Néanmoins, ce sont indéniablement les mêmes personnages, à n’en pas douter. Si l’atmosphère globale de Jojo’s n’en est ici qu’à ses premiers balbutiements, elle est déjà bien caractéristique de l’esthétisation presque idéalisée du corps masculin que fait Araki depuis ses débuts. Le style vestimentaire des personnages commence déjà à montrer ses premières traces d’excentricité mais tâche encore de ne pas trop en faire, tâchant autant que possible de rester ancré dans l’époque à laquelle se déroule l’histoire. Si Araki prendra plus de libertés à ce niveau à mesure qu’avanceront les parties, il est encore ici au début de l’expression de son potentiel, qui reste décemment limité.
La réalisation unique de DP met parfaitement en lumière les plans iconiques de l’œuvre. L’anime ne craint jamais le ridicule, et sait faire briller ses personnages avec extravagance dans une mise en scène souvent de haute facture, n’hésitant par exemple jamais à s’amuser à changer les palettes de couleurs lors de scènes importantes, ce qui est un choix de mise en scène que j’apprécie tout particulièrement. Le travail sur les couleurs dans l’anime est véritablement remarquable, ce qui apparaît déjà dans cette première saison.
Bien que l’animation n’ait rien d’exceptionnel, et ne propose qu’assez peu de séquences réellement impressionnantes, surtout lorsque l’on regarde les autres animes sortis la même année, elle parvient à mettre en valeur sans problème les scènes les plus mémorables de l’histoire, souvent caractéristiques de l’exubérance de la mise en scène déjà préexistante chez Araki. DP propose une adaptation moderne et vivante des arcs originaux du manga, qui commencent à sentir la poussière, mais également les limites claires de l’art d’Araki à l’époque, clairement moins présentes dans l’anime, qui semble se diriger davantage vers une inspiration du style que prendra l’artiste à mesure que son style se développera (Limitant d’ailleurs la fracture artistique entre les multiples parties de l’œuvre).
Quant à la musique, elle est relativement discrète dans cette saison selon moi – Hormis un morceau que je trouve très mémorable, le thème de Jonathan, que j’estime être une représentation parfaite de la noblesse d’âme qui habite le personnage. Au niveau des openings, on en notera deux dans cette saison, un pour chaque partie. Leur clip sera réalisé en images de synthèse, ou CGI, pour un rendu assez impressionnant, offrant ainsi certaines des séquences les plus magnifiques de l’anime. Bien évidemment, ma préférence ira vers le second, Bloody Stream, par Coda, dont les débordements de couleurs quasi épileptiques et la voix sensuelle du chanteur ne cesseront jamais de me séduire. On tient là l’un des meilleurs openings de tous les temps, très facilement. Au niveau de l’ending… Devenu culte grâce à son célèbre « To be Continued », la chanson Roundabout du groupe Yes est excellement reprise ici, elle fait du neuf avec de l’ancien et propose des cliffhangers géniaux à chaque fin d’épisode, qui donnent légitimement envie de regarder le suivant dans l’immédiat. Le suspense constant de l’œuvre est partiellement dû à cette musique brillante que l’anime sait employer à la perfection et grâce à un sens aigu du rythme et du timing.
Pour conclure cette très longue critique, je voulais aborder une chose essentielle – Jojo’s fut un de mes tous premiers animes, et il fut parmi ceux qui firent naître et s’épanouir cette passion en moi. Si j’ai le sens de l’esthétique et cet œil pour l’art que je possède aujourd’hui, c’est partiellement en raison de mon visionnage presque précoce, à 15 ans, de Jojo’s Bizarre Adventure. Série culte qui fut mon obsession dans mon adolescence, il me semblait légitime de lui consacrer l’une des premières critiques – Je justifierai sa longueur par mon attachement. Cette première saison est une représentation parfaite de tout ce que sera Jojo’s à l’avenir et en pose les bases avec brio. C’est une véritable réussite qui devint sans difficulté une œuvre charnière dans la formation de mon rapport à l’art lors de mes plus jeunes années, une expérience tout simplement inoubliable, qui continuera d’éclairer le paysage artistique et culturel de mon esprit pendant sans doute de longues années encore. Juste irremplaçable.