S'il n'est notion que d'une seule chose dans BLEACH, l'inimitable oeuvre de Tite Kubo, c'est le courage. Quasiment le mot de la fin de l'entièreté de la série dans son 74e tome lui servant de conclusion, ce concept défini avec une certaine mélancolie par Sôsuke Aizen dans son ultime discours illustre à la perfection ce qu'aura incarné la série pendant l'entièreté de son développement - Mais revenons-en d'abord à son point d'origine. Souvent considéré comme le mouton noir du trio de tête des shônens dans les années 2000, le fameux Big 3, l'oeuvre sera souvent victime de comparaisons douteuses voire inutiles avec ses contemporains, les illustres One Piece et Naruto, dont elle diverge pourtant suffisamment pour se forger une identité artistique à nulle pareille. En conséquence, Bleach subira des reproches non mérités, de la part de lecteurs incapables d'accepter son refus de devenir ce qu'il n'avait jamais revendiqué être. Le manga de Tite Kubo, de son introduction jusqu'à sa conclusion, saura tirer son épingle du jeu des autres œuvres du genre, parfois à son détriment - Dans le sens où son public n'aura jamais totalement su accepter ce qui le rendait pourtant unique, et se montrera souvent incapable de se mettre à son niveau. Malheureusement, j'estime que cela se reflète dans les critiques qui en sont faites, y compris sur ce site.
I . We fear that which we cannot see
L'élément initial par lequel Bleach effectue sa distinction sera bien évidemment son style de dessin - Illustrateur de génie, Tite Kubo parvient à démarquer son oeuvre par son sens aigu de l'esthétique. En ce sens, ses débuts sont relativement timides, voire un peu balbutiants - Les chapitres initiaux de Bleach étant encore marqués de l'amateurisme de ses projets précédents. Néanmoins, le développement du récit s'accompagne d'une montée en puissance remarquable sur cet aspect de l'oeuvre pour évoluer vers la beauté qu'on lui connaît aujourd'hui, maintenue jusque dans ses dernières heures - Et ce, malgré les tristement célèbres difficultés personnelles der Kubo lors de l'écriture de l'oeuvre, et particulièrement pendant son arc final. Il ne faiblira jamais dans son rapport à l'art et proposera avec consistance des planches splendides et une mise en scène brillante, notamment de l'action mais également lors d'instants plus contemplatifs. Souvent occultés lors des analyses de BLEACH, ces moments de coeur bien présents contribuent en conséquence à forger ce que je considère comme l'âme de cette oeuvre. Le manga possède un sens du style voire de la poésie assez remarquable - Sa plus grande force est irrémédiablement son expression artistique, c'est-à-dire, tout ce qu'il communique purement par le visuel.
Bleach, ça se ressent et ça se vit autant que ça se lit simplement. Le défaut fatal de nombre de critiques sur l'oeuvre est de totalement ignorer cet aspect clé à la compréhension du récit. L'oeuvre possède une puissance évocatrice qui selon moi la distingue profondément des autres shônens - Ces derniers, reposant souvent sur de l'exposition mal maîtrisée à coups de dialogues lourdingues voire incohérents pour véhiculer un propos, ne peuvent que plier face à la capacité de Bleach à simplement se taire, et à laisser son intrigue se développer fluidement. Préférant communiquer son propos par son art plutôt que par le verbe, Kubo subira l'incapacité de son lectorat à lire ce qu'il ne peut pas voir, c'est-à-dire le sous-texte. Comptant volontiers sur le symbolisme visuel et un fort rapport au non-dit, Bleach entretient un sens du storytelling assez cryptique et occulte voire assez nébuleux dans ses plus grands moments - Toutefois, il s'agit précisément de ce qui le rend si fascinant à décrypter. J'ai achevé sa lecture il y a plus de deux ans et demi mais il m'arrive encore régulièrement de découvrir de nouveaux éléments qui en enrichissent mon interprétation, que ce soit au sujet d'un personnage, un élément de l'intrigue, etc. - Il s'agit là de l'un des aspects de l'oeuvre que j'apprécie le plus. Kubo, de sa propre affirmation, dissimule au sein de son oeuvre des éléments dont l'interprétation ne serait possible véritablement qu'à un lecteur sur un millier. Si cette déclaration peut sembler arrogante, elle est caractéristique du soin aigu de son auteur aux moindres détails de la composition de son récit, aussi bien esthétiquement que dans sa narration. La façon dont les différents arcs glissent les uns dans les autres est selon moi, profondément naturelle, et totalement irréprochable - Chacun d'entre eux n'étant que la continuation logique des idées amorcées par son prédécesseur. Malgré sa longueur évidente, Bleach ne possède que cinq grand cycles, ce qui signifie que chacun d'entre eux parvient à véritablement briller en explorant son intrigue et ses personnages en profondeur (exception faite peut-être de l'arc des Fullbringers, qui a malheureusement coupé court à certains développements psychologiques intéressants), mais en ce sens, la narration de Bleach est proche de l'impeccable. Cette discipline et cette rigueur seront présentes pendant l'entièreté de la série, jusqu'au tome 74.
Bleach, plus que n'importe quel autre shônen, c'est l'émotion esthétique. Cette sensation de beauté qui s'en dégage constamment est simplement bouleversante, voire sincèrement émouvante lors des plus grands moments de bravoure du récit. Kubo sait aller rechercher quelque chose de profond chez le lecteur, un sentiment que l'on a pas l'habitude de ressentir dans le shônen - Il sait faire vibrer et véritablement toucher l'âme, car il parvient à exprimer l'indicible, à représenter l'invisible. Souvent relativement évasif dans ses dialogues, (qui trouvent malgré tout une certaine poésie lorsque nécessaire) Kubo incite à regarder plutôt que voir. Lorsque j'ai compris cela, mon expérience avec Bleach n'en a été que différente et ma perspective sur l'oeuvre a été révolutionnée, car ce changement de paradigme m'aura aidée à appréhender davantage les multiples facettes de l'oeuvre de Kubo. En conséquence, on trouve dans Bleach une profondeur certaine, presque inaccessible, qui donne presque l'impression d'appartenir à un autre monde - Non, peut-être un autre plan d'existence.
II. Nothing can be explained
"Qui suis-je? Qu'est-ce que tu racontes ? Je suis..."
"Zangetsu" - Tome 8, Chapitre 62
Rien de tout cela ne saurait être explicité - En résultera une certaine dépendance de l'oeuvre à l'interprétation que voudra bien en faire le lecteur. Si le récit se veut volontairement nébuleux à de nombreuses reprises, il est vrai qu'il faudra régulièrement faire appel à ses propres capacités de déduction pour en saisir tous les tenants et les aboutissants. Ainsi, bien que la véritable nature de Zangetsu sera dévoilée au tome 61, il ne reviendra qu'au lecteur d'en déchiffrer tous les éléments relatifs à l'origine de ce personnage et de faire les connections par lui-même. J'ai pris cet exemple parlant car il est caractéristique de la dimension souvent mystérieuse de Bleach dans son traitement de ses thématiques aussi bien que dans le traitement de ses personnages. L'oeuvre ne prend pas ses lecteurs par la main pour comprendre ces éléments et compte sur eux pour la déchiffrer par eux-mêmes. Souvent décontenancés par la nécessité de cette démarche, les lecteurs n'en prennent que rarement conscience et se contentent de la surface, ce qui les empêche de saisir ne serait-ce que 20% de ce dont Bleach parle véritablement.
Dès le début de son récit, dans ses origines humbles où Ichigo n'était qu'un simple shinigami suppléant combattant des esprits corrompus dans sa petite ville, Bleach met en place des thématiques intéressantes concernant la limite entre la vie et la mort ainsi que la façon dont les êtres humains vivent le deuil - Ce rapport à la spiritualité jonchera le travail de Kubo pendant l'entièreté de son oeuvre. C'est toujours particulièrement agréable de se replonger dans les chapitres initiaux pour y observer toute la profondeur que l'on n'appréhendait pas forcément en première lecture, ou même du foreshadowing pour des éléments plus tardifs.
III. Life is like a boat
J'abordais dans un anachronisme en introduction le courage, notion centrale dans l'oeuvre. Mais ce courage chez Kubo, il a attrait à un combat beaucoup plus spirituel - Celui face au deuil et à l'acceptation de la finitude de l'existence. Le courage d'aller de l'avant, de choisir d'existe en dépit de la possibilité de connaître la souffrance, en sachant que tout cela ne sera que néant face au vide inéluctable de la mort. En ce sens, choisir de défier ses peurs et de marcher d'un pas assuré vers l'avenir, c'est refuser le suicide existentiel et effectuer un profond acte de courage, et une preuve irréfutable d'humanité. Être humain, c'est choisir de faire face au désespoir. Être humain, c'est accepter que la mort se trouve au bout du chemin sinueux qu'est la vie, et pourtant n'avoir guère d'hésitation pour avancer vers ce moment fatidique. En ayant saisi la vie à pleines dents, il devient aisé d'embrasser sa conclusion avec le sourire également.
"Vis, Ichigo, de ton mieux. Prends de l'âge, et vieillis de ton mieux aussi. Et puis tâche de mourir longtemps après moi. Et, si tu peux... Tâche de mourir le sourire aux lèvres."
Isshin Kurosaki - Tome 3, Chapitre 25
Bleach, c'est aussi apprendre à dire au revoir - Le fait que les plus beaux moments de beauté sincère ne soient qu'éphémères, mais c'est cela qui leur donne leur sens. Ainsi, ils deviennent éternels, ce qui leur permet de survivre en tant que souvenirs pour le reste de nos jours, et de ceux qui parviendront à se rappeler de nous après notre départ. Tandis que le corps physique disparait finalement vers le néant, l'âme subsiste. Tout ce que l'on a aimé de notre vivant conservera des traces de notre existence, la preuve que l'on a un jour habité ce monde... Cette preuve que l'on a un jour existé, c'est ce que Kubo appelle "le cœur". Sujet occulte qui revient tour à tour dans des dialogues de Kaien Shiba et plus tard d'Ulquiorra Cifer, ce concept mystique donne à Bleach sa consistance dans son rapport à la spiritualité et parvient à connecter tous les aspects de son storytelling les uns avec les autres - Tant que ce "cœur" existe, nous sommes immortels. C'est une idée qui s'articule selon moi parfaitement dans le court poème qui ouvre traditionnellement chaque tome de Bleach, mais plus précisément celui du tout dernier tome, spécifiquement dans sa version anglaise dont j'adore la formulation:
"Even without a form, we will never stop walking."
IV. The stories of Brave
Bleach, c'est l'histoire d'un jeune homme, Ichigo Kurosaki, en quête de lui-même et de sa place dans le monde, tâchant de se reconstruire près la perte de sa mère, pour laquelle il ne cesse de culpabiliser même des années après la tragédie. Cela ne peut être accompli que par la recherche de la paix intérieure et l'acceptation des diverses parties de soi, y compris les plus sombres - Elément qui sera bien sûr d'autant plus pertinent dans le cas de ce cher Ichigo. Ce dernier se situant à l'intersection de diverses identités, sera en proie à une lutte intérieure qui provoqueront des difficultés à véritablement comprendre ses racines, conflit qui sera finalement élucidé dans le brillant tome "Everything but the Rain", avec la découverte du passé de ses parents, qui lui permet de comprendre qu'il est la synthèse de tous ces éléments, qui forgent l'individu qu'il est aujourd'hui.
Ichigo est un personnage que j'adore vraiment, et dont l'écriture est tout à fait superbe. En effet, la façon dont il évolue et l'exploration de sa psychologie à travers l'oeuvre, sont profondément caractéristiques de ce que Bleach cherche à exprimer. Son développement par le biais de son "monde intérieur" est très pertinent car il permet de représenter avec poésie la complexité de ses sentiments et la façon dont ils évoluent à travers l'oeuvre. Sa relation avec son sabre Zangetsu, qui est explicitement décrit comme une partie de lui-même, joue un rôle conséquent dans son évolution, et je trouve qu'il s'agit là d'un moyen assez unique d'exécuter l'arc d'un protagoniste de shônen. Devant régulièrement parler ou même combattre une partie de lui-même qu'il refuse de considérer comme telle pendant longtemps, Ichigo fait face à un conflit véritablement fascinant qui se perpétue pendant la majeure partie de l'histoire. Son cheminement dans la quête d'acceptation de soi et d'équilibre dans sa propre identité sont touchants et se concluent dans une affirmation magnifique de courage.
Bien sûr, il est très régulièrement caractérisé par le symbolisme visuel - La façon dont son design et son apparence changent à travers l'histoire, comment il est illustré à divers moments de l'oeuvre, et toutes ses formes alternatives - Chacun de ces éléments est profondément représentatif de son état mental à l'instant T, ou simplement différents aspects de lui-même, ce que je trouve particulièrement intéressant, c'est-à-dire que chacune de ses diverses transformations possède un certain poids thématique malgré le fait que la majorité d'entre elles aient un temps d'écran très limité.
En outre, Ichigo se distingue beaucoup des autres protagonistes de shônen car il ne possède pas de grand rêve ou d'objectif ambitieux à accomplir. Un auteur lambda aurait pu décider qu’Ichigo veuille être le "roi des esprits" ou quelque chose de ce style, mais au lieu de cela, il lui fait rechercher quelque chose de beaucoup plus humain, et en conséquence, auquel on peut s'identifier plus facilement - C'est à dire la paix pour lui-même et ses proches, quitte à combattre pour les protéger à tout prix, tout en rêvant d'une existence tranquille auprès des êtres qui lui sont chers et essentiels à son équilibre personnel. Par la même occasion, Kubo fera de la condition de roi spirituel un stade de léthargie éternelle auquel la mort est tout à fait préférable... Après tout, mieux vaut encore et toujours privilégier un bonheur humain et concret.
V. La Mort de Dieu
J'ouvrirai ce cinquième chapitre sur une référence à ce bon vieux Nietzsche, que l'on retrouve d'ailleurs en couverture du tome 48. En effet, la déconstruction de la figure divine me semble être une thématique omniprésente chez les antagonistes de Bleach, et notamment deux d'entre eux : Sôsuke Aizen et Yhwach.
Le premier apparaît comme une critique évidente de la foi aveugle et du dévouement envers des idoles, culte qu'il tente paradoxalement de rediriger vers sa propre personne. Il amène la première partie de la déconstruction de Dieu en montrant les conséquences de la tentative d'un homme de lui-même en devenir un, alors même qu'il avait consacré son existence à la révolte face à ce qui est effectivement le Dieu de son monde. Figure emplie de contradiction, Aizen est l'un des antagonistes les plus délicieux qu'il m'a été donné de voir en action : Volant sans arrêt la vedette aux autres personnages. Sa présence à l'écran est particulièrement forte car Kubo parvient à lui donner un charisme ainsi qu'une aura simplement envoûtants. Remarquable de par son éloquence ainsi que ses grands discours, le personnage captive à chacune de ses apparitions - Distillées a travers les multiples arcs de l'oeuvre mais trouvant sans cesse le moyen de surprendre. Chaque entrée en scène enrichira le personnage, dont l'écriture est particulièrement complexe également.
Sa construction est assez unique car il est structuré comme une "énigme", c'est-à-dire un personnage qu'il est difficile d'élucider avant d'avoir vu l'entièreté de son développement et de ce qu'il avait à dire, mais que l'on peut réinterpréter à la lumière du contexte complet de son rôle au sein de l'histoire, ce qui permet de mieux saisir la signification d'éléments antérieurs qui paraissaient auparavant mystérieux, et surtout, de voir qu'il y avait bien plus à comprendre que ce qu'il semblait au premier coup d'oeil. En ce sens, Aizen possède de multiples facettes non seulement en tant qu'antagoniste mais également en tant que personnage. Il est difficile de saisir exactement quels aspects de lui sont des mensonges et lesquels sont sincères, non seulement pour les autres personnages mais également pour lui-même, quel est son objectif, sa véritable idéologie, y aurait-il une raison plus profonde à ses actes, comment peut-on expliquer l'homme qu'il est aujourd'hui... Le tout sans jamais avoir recours à un flashback larmoyant, chose dont Kubo a horreur lorsqu'il s'agit de ses méchants - Et surtout, cela aurait été peu efficace pour un personnage de la prestance d'Aizen, dont l'aura repose en grande partie sur le mystère.
Le second, Yhwach, est un personnage souvent incompris - La faute à un arc final qui, du propre aveu de Kubo, n'a pas pu atteindre son plein potentiel en manga. S'il rivalise de charisme avec Aizen, (voire le dépasse s'il ne s'agit que de mon avis), il est sans conteste un personnage d'autant plus mystérieux donc l'écriture est assez nébuleuse. Il me semble être l’une des plus grandes réussites de Kubo en ce sens – Dont il est sans nul doute le personnage le plus difficile à décrypter. A la fois figure divine à la limite de la compréhension humaine et martyr d’une tragédie familiale complexe, sa présence inoubliable dans l’histoire nous rappelle que l’intrigue de Bleach est avant tout une histoire de révolte face à Dieu. Ce que nous allons voir ici en zone spoiler.
Yhwach propose un compromis moralement intéressant : La disparition de l’univers actuel au profit d’un monde dépourvu de mort – Mais, par la même, dépourvu de vie. Une forme de paradis artificiel où nulle existence ne pourrait véritablement proliférer. C’est cela qu’Ichigo Kurosaki tend à combattre, et qu’Aizen Sosuke comprend trop tard comme étant une hérésie, un affront à la beauté même de la vie. L’éternité n’est rien d’autre que le refus de se plier à la réalité impitoyable qu’est la finitude, l’acceptation qu’adviendra un jour la fin de notre voyage. Tâcher d’obtenir l’immortalité n’est qu’un leurre chargé de dissimuler cette angoisse existentielle, cette thanatophobie inénarrable au cœur de chaque être, une quête futile sans apaisement possible à la clé auquel choisira de s’opposer notre protagoniste pourtant marqué au fer rouge par le deuil. Terrassant son père spirituel par une épée chargée de briser le destin inéluctable incarné par Yhwach, le Dieu capable de remodeler la fatalité, Ichigo – et, par la même, Tite Kubo – exprime son refus clair et net d’un monde éternel, dépourvu de souffrance, où exister un instant de plus ne relèverait que de l’acte mécanique – Là où choisir d’aller de l’avant en dépit de la douleur qui se trouve dans le monde des vivants serait une preuve irréfutable de courage.
Tuer Yhwach, s’est faire s’effondrer à coup certain la figure de Dieu, ainsi qu’avec lui le fanatisme aveugle qu’il représente, en une salvation factice recherchée par l’homme pour échapper à ses tourments terrestres. Si la perspective de ce paradis est appétissante, il n’est nul doute qu’elle n’est rien d’autre qu’un mirage, une illusion que ce cher Aizen brisera finalement avec mélancolie dans son ultime tirade mentionnée en introduction. La destruction de cette foi religieuse jugée absurde, au profit d’une ode à un épanouissement humain au sein du monde des vivants certes volatile mais d’autant plus profond – Un monde qui gardera des traces de notre passage pour aussi longtemps qu’il restera des êtres capables de porter en eux notre cœur, comme si nous n’étions jamais partis en premier lieu. C’est cette âme qui ne meurt pas qui contient en elle le secret de l’immortalité véridique.
Ce qu’Aizen, l’être ni tout à fait homme ni tout à fait Dieu, constate avec amertume dans l’ultime chapitre de Bleach.
Car les individus comme Ichigo qui ont choisi de marcher vers un futur incertain malgré l’angoisse d’y connaître le deuil et la mort est l’insigne des courageux qui ont eu l’audace de défier Dieu, et de triompher allégrement de son déterminisme supposé absolu. C’est refuser l’appel du néant, et ne trouver la plénitude que dans le vivant plutôt qu’une fausse perspective de bonheur dans un supposé au-delà idyllique : C’est permettre à la vie de se perpétuer inlassablement jusqu’à la fin des temps.
VI. Heat of the Battle
Le combat est un microcosme de la vie – Si un auteur aura parfaitement saisi cela – En dehors de l’illustre Inoue – C’est ce cher Tite Kubo. Dans Bleach, le sabre n’est que l’extension de soi, (Comme montré lors du chapitre 542, savamment intitulé The Blade is Me) et le faire s’exprimer ne fait rien d’autre que nous entraîner dans une danse mortelle avec l’adversaire qui en cet instant nous connaît mieux que quiconque en ce monde. Les combats sont l’essentiel de ce qui constitue Bleach – Et s’il est facile de reprocher leur abondance et leur multiplicité, cela serait en réalité profondément hypocrite car il est d’une évidence certaine que Kubo caractérise ses personnages lors de l’instant isolé du temps qu’est le combat. Ce combat, Kubo ne manquera pas d’outils pour le représenter – Et passera l’entièreté de son œuvre à redoubler d’inventivité dans sa capacité à mettre en scène les batailles entre ses différents protagonistes – La plus réussie demeurant certainement celle entre Ichigo et Aizen lors du tome 48. Courte et intense voire légèrement anti-climatique selon la perspective de certains, elle est en réalité éminemment représentative de la capacité qu’à Kubo à exprimer une profondeur immense dans le rapport de ses personnages à leur intériorité dans cet instant fatidique, le tout, par un symbolisme visuel à toute épreuve et des transformations d’une classe inoubliable, tellement évocatrices du propos que véhicule Kubo lors de cette affrontement – Celui-là proposera ainsi certaines des planches les plus esthétiquement impressionnantes de la série, ce qui n’est pas peu dire étant donné la multiplicité des illustrations simplement superbes réalisées par le mangaka au travers de son œuvre.
Bien sûr, cette thématique du combat, et ce rapport au sabre par lequel on vit et on meurt, s’illustre tout particulièrement lors de la lutte à mort entre Zaraki Kenpachi et sa prédécesseure pour le titre de Kenpachi, Unohana Yachiru. Les deux monstres de puissance ne trouvent le véritable épanouissement que dans le fait de mourir et renaître dans chaque bataille menée par l’épée : Il s’agit bien-là de leur essence, ce qui donne corps à leur volonté de vivre. Dans leur cas précis à eux, cela pourrait, bien sûr, également être vu comme une expression de leur amour – Mais après tout, il faut bien être un Kenpachi pour saisir la beauté dans l’acte de s’entretuer… On note bien évidemment un certain rapport à l’idée même du samouraï, dont les shinigamis sont grandement inspirés, pour le traitement de ce concept à travers l’œuvre qu’est Bleach. Cet exemple demeure bien évidemment inévitable pour saisir la façon dont Kubo emploie l’action pour donner corps au cast de son œuvre – Le combat n’est guère une pause dans le récit mais sa continuation directe, son prolongement : Le dernier stade de communication lorsque l’usage des mots devient finalement impossible. Le combat est une conversation silencieuse, et si un auteur représente cela avec la plus grande justesse – hormis encore une fois l’auteur de Vagabond – C’est bien celui de Bleach. (Les parallèles thématiques entre ces deux œuvres me semblent si évidents que lui consacrer une critique prochainement me semble également être une évidence…)
VII. Conclusion
Bleach est incontestablement un manga qui aura marqué les esprits. Pour le meilleur comme pour le pire, il n’aura jamais cessé de diviser – Mais il est pour moi un récit tout à fait spécial. Je dois avouer néanmoins que mon rapport avec ce dernier ne fut originellement pas des plus faciles. J’eus du mal à véritablement me mettre à son niveau, à me plonger dans le cœur de son esthétique malgré mon attrait pour cette dernière. J’eus tôt fait de qualifier ce manga de surcoté, terme méprisable qui n’aurait de toute manière jamais dû quitter ma bouche pour qualifier le chef-d’œuvre (car c’est bien de cela qu’il s’agit) du maître artiste Tite Kubo. En fin de compte, quelque chose en moi me permit de mieux appréhender ce que l’œuvre avait à me proposer : Et ce fut l’instant où mon rapport à elle fut irrémédiablement bouleversé, le moment où je réalisai qu’il s’agissait bien d’un véritable choc esthétique comme on en expérimente peu dans une vie. Si ces qualificatifs vous semblent trop élogieux, je vous conseille vivement de vous replonger dans ce que l’œuvre peut offrir de plus magnifique avec ma critique en tête : Et immédiatement vous en ressortirez avec une appréciation nouvelle. Il va sans dire que les conseilles d’une experte en Kubologie autoproclamée seront parfaitement utiles pour véritablement saisir ce qui est mis entre vos mains avec Bleach – Il y a là un pur diamant n’attendant que d’être découvert ou redécouvert, pour révolutionner la vision qu’en entretient votre esprit. Simplement excellent – 9.5/10.
PS : Un grand bravo à tous ceux qui auront repéré les références à Bleach distillées à travers mes titres de chapitres!