Certaines œuvres littéraires sont dites des romans de personnage, parce qu'elles se focalisent en grande partie sur des hommes et des femmes, aux psychologies bien définies et décrivent précisément les relations qu'ils nouent entre eux. La casa de papel est la représentation en terme de séries de ce genre littéraire précis, puisqu'elle laisse une place formidable à ses personnages, en les plaçant dans une intrigue claire et efficace : le braquage d'une fabrique de monnaie. Il y a presque un côté pièce de théâtre dans cette série tant l'histoire générale s'efface derrière les protagonistes, quasiment tous très réussis, à la fois marqués et en même temps parfois complexes. La casa de papel est une bonne série espagnole, un peu vintage dans son concept et pourtant très efficace. Les critiques les plus récurrentes sont celles de la crédibilité, et pour cause, la plupart des scènes d'action et une grande partie de l'intrigue sont invraisemblables, n'obéissent pas à un schéma logique cohérent et se sacrifient bien sûr au profit de moments de grande tension. Certes, mais une série doit-elle être forcément cohérente ? La crédibilité est nécessaire quand l'oeuvre se veut réaliste, mais ici, ce n'est pas l'objectif : le but est de divertir le spectateur. La série est alors en ce sens exactement dans le registre attendu : des moments haletants alternent avec des dialogues entre les personnages. La trame narrative à son tour alterne entre trois types de scènes : celles dans la fabrique, celles de la préparation et celles en ville pour suivre les personnages du Professeur et de Raquel. Entre l'hispanité très surlignée des rapports humains très sensuels, une esthétique un peu américano-méditerranéenne et des histoires à la fois caricaturales mais intéressantes, la série réussit à captiver, malgré la longueur des premiers épisodes, et le spectateur désire voir la fin. De plus, le jeu des acteurs est souvent très bon, et réussissent à incarner les personnages, y compris les plus irritants (Tokyo, Berlin, Rio, ...).
Ce qui fait la force de La casa de papel, c'est que la série respecte son spectateur. Elle lui fournit une histoire avec un début, un milieu et une fin. Elle ne tombe pas dans les travers de la suite perpétuelle, et dans la culture du cliffhanger de la fin de saison. A la fin des épisodes de la saison 1 et de la saison 2, l'histoire est achevée, et le spectateur sait où l'intrigue en est. Globalement, malgré quelques ratés, tout ce qui tourne autour du personnage est dit, et plutôt bien conclu. Cette série à l'ancienne, qui évoque à la fois 24 heures chrono et Un, Dos, Tres, dans son design, est une série féministe qui donne aux femmes des rôles très variés, agaçants et respectables, et leur laissent un véritable champ de jeu. Les personnages de Nairobi, Tokyo, Raquel et Monica Gastambide sont de véritables réussites, malgré la bêtise profonde de Tokyo, la sur-intelligence de Raquel et la fragilité de Monica. Les personnages masculins eux ne cèdent pas à la tentation du "super-héros", en donnant à voir des hommes travaillés, névrosés et fragiles parfois : Berlin et sa maladie, Le Professeur et sa trop grande abstraction, Rio et ses parents, Denver et sa mère, etc ... La série est donc très méritante, très exaltante et très réussie dans son genre. La série a également un message politique, de gauche, marxiste, dans la droite lignée des Indignés et anti-bancaire. Elle se situe dans une Espagne souvent progressiste malmenée par la Banque Centrale Européenne et les politiques d'austérité. Les méchants sont aussi les bons. Il y a une ôde à la doctrine de participation et les braqueurs ont un côté robin des bois, qui déclenche des réactions variées chez les otages : rébellion, mensonges ou syndrome de Stockholm. Cependant, évidemment, à la fois par son budget et son style, elle ne se hisse pas non plus au rang des séries qui ont crée un véritable monde à part. C'est un choc d'adrénaline, un bon moment, une série éphémère du moment présent qui a marqué l'année 2017. La tentative de Netflix pour en faire une série sur le long terme est sans doute une erreur, car une jouissance courte vaut toujours mieux qu'une longue étreinte fastidieuse.