The Civil War est un monument du genre documentaire. Il suffit de se promener dans les commentaires Youtube de certaines vidéos pour capter à quel point cette œuvre a été marquante pour bon nombre d'Américains.
La guerre de sécession (1861-1865) est en effet à mon sens l'un des deux mythes fondateurs des États-Unis avec la guerre d'indépendance. C'est de ces quatre années qu'est sortie l'Amérique qui serait appelée à dominer le monde moins d'un siècle plus tard. Ken Burns est à la hauteur de son sujet. En 9 épisodes et plus de 11 heures, il parvient à nous exposer de manière très complète ce conflit.
Certes, les batailles prennent sans doute le pas sur d'autres aspects (l'arrière, les luttes diplomatiques que cette guerre implique), mais une sensation, quelque chose d’irrationnel rattrape tout le reste : le caractère idéologique de cette lutte. Ce dernier est exposé avec beaucoup de neutralité (si tant est qu'elle existe) tout au long des épisodes. Le Nord est pétri de providentialisme, obsédé par l'Union et évidemment traversé par un courant abolitionniste de plus en plus fort (par philosophie mais aussi pour ses intérêts économiques). Du Sud ressort un certain sentiment de noblesse (et donc de chevalerie, que l'on voit dans l'excellence de son commandement militaire), un attachement viscéral aux prérogatives des États, mais aussi évidemment un lien voulu indéfectible avec l'esclavage. Cet antagonisme est illustré avec brio dans la série par le duel que se livrent le nordiste Grant et le sudiste Lee en 1864-65.
Au-delà du contenu, il faut également rendre hommage à la réalisation. La banque d'images d'époque utilisée est impressionnante et utilisée à bon escient. Malgré quelques longueurs provoquées par le grand nombre de batailles parcourues, les épisodes sont rythmés de moments musicaux (Ashokan Farewell est entendu 25 fois, mais quelle merveille !) et de lectures de déclarations d'époque par des acteurs ayant accepté de prêter leur voix (notamment Morgan Freeman). Enfin, les intervenants, qu'ils soient historiens professionnels ou amateurs, nous apportent un regard avec du recul sur les évènements. S'il était fait aujourd'hui, ce documentaire dépendrait sans doute beaucoup plus de considérations politiques actuelles qu'à sa sortie en 1990.
Je tenais pour finir à parler de ma grande émotion devant un moment précis de cette saga. À la fin du troisième épisode est évoquée la déclaration d'émancipation de 1863 (texte officialisant la toute première abolition partielle de l'esclavage). Après différentes lectures de texte d'abolitionnistes d'époque, nous assistons à un montage d'1 minute 30 : un chœur de chanteurs afro-américains entonne le Battle Hymn of the Republic avec défilant en fond des images d'esclaves bientôt libres, portant les marques de leur condition. C'est cela qui manque à notre époque aseptisée : la beauté, l'émotion, le souvenir.