Le Jeu de la dame
7.6
Le Jeu de la dame

Série Netflix (2020)

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Quoi de moins cinégénique qu’une partie d’échecs ? Le dernier pari du créateur Scott Franck, déjà responsable de la grandiose série Godless également sur Netflix et des scénarios de Logan et Minority report entres autres, librement adapté du roman éponyme paru en 1983 de l’américain Walter Tevis.


Évoluant à la charnière des années 50 et 60, on suit l’itinéraire de Elisabeth « Beth » Harmon, orpheline placée dans un institut chrétien pour jeunes filles où elle découvre sa passion pour les échecs. Ce qui frappe dès les premières minutes, c’est la qualité de production. Décors, costumes, acteurs, photos, mise en scène, toutes les pièces se déploient à tour de rôle et entrent en résonance avec les autres. Il émane une cohérence de l’ensemble qui force le respect, aucun élément ne semble prendre le dessus sur les autres comme si chaque pièce de l’œuvre ne répondait à une hiérarchie. Sauf la dame. Pièce unique sur l’échiquier avec le roi, la dame est l’élément le plus puissant, associant la grandeur de la tour à la versatilité du fou. Dans le rôle titre, Anya Taylor Joy éclabousse le show de son talent. Chacune de ses apparitions subjugue, son charisme magnétique déboussole, la finesse de son jeu se renforce à mesure que les heures s’enchaînent. La puissance de sa présence se joue des dialogues et elle n’est jamais meilleure que dans les scènes muettes où elle laisse s’exprimer sa gestuelle poseuse et son visage au regard envoûtant. Le reste du casting a été soumis à la même rigueur avec un Thomas Brodie-Sangster impeccable dans son rôle de Benny Wats ou de Marielle Heller dans ce rôle de mère de substitution. Dans chacun des personnages on ressent les failles derrières les ouvertures, les échecs derrières les réussites.


Car si The queen’s gambit parle d’Echecs, la série exprime surtout les échecs sur lesquels se fondent les réussites. Tout au long de sa construction en tant qu’individu, de son enfance à ses premières années d’adulte, Beth ne cessera de louvoyer entre les cases noires et blanches, les déceptions et les espoirs, les refus et les acceptations, les sacrifices et les victoires. C’est l’abandon et la dureté de la réalité qui guideront Beth à se réfugier dans cet univers de 64 cases où les clés d’accès sont les drogues (médicaments) et l’alcool. Tout au long de son parcours initiatique, la jeune prodige rencontrera des personnes influentes qui façonneront sa personnalité. Taiseuse et hautaine, Beth heurte son entourage autant qu’elle le fascine. C’est son incompatibilité avec le monde réel qui engendre ce déphasage involontaire, déphasage que ses proches tenteront de réduire tout au long de leurs relations. Femme esseulée dans l’univers masculin des échecs, la dame n’est-elle pas la seule pièce « feminime » d’un échiquier ? Beth provoque la bienveillance paternelle, l’ignorance polie ou le mépris affiché de ses adversaires masculins juste avant qu’ils ne subissent une cuisante défaite sous les assauts dévastateurs de ses pièces acérées. Seuls ceux qui savent que les échecs ne sont pas affaires de sexe arrivent à sauver la face et leur roi. A aucun moment il n’est question de féminisme affiché ni de propagande, l’écriture sait se faire subtile et Scott Franck laisse le talent de ses acteurs s’exprimer dans des scènes où seuls la mise en scène s’exprime. Au delà d’une énième confrontation homme-femme, la narration se concentre sur les conflits qui animent Beth et les obstacles à franchir pour atteindre le mat.


Même si le contexte historique transparaît peu, les quelques évocations sont suffisamment bien maîtrisées sans que l’on puisse s’insurger. Pas de scène d’orgies soixantehuitardes, pas de discours pro féminisme bas du front ou franc du bas, pas d’anti communisme primaire. La rivalité USA-URSS est traitée en filigrane, c’est bien Beth et les échecs qui occupent le premier plan. Même le dernier épisode qui aurait pu emprunter une longue diagonale pour enfoncer les lignes des méchants bolcheviques ou laisser chevaucher par une walkyrie glorieuse portant le soutien-gorges en guise d’étendard un cavalier bondissant au-dessus des préjugés masculins sait se faire humble et réservé.


C’est lors de cette finale contre le grand maître Borgov que la révélation adviendra. Après le sacrifice de la dame, le pion qui, lors de son dernier mouvement, brisera sa chrysalide pour éclore sur l'ultime ligne. The queen’s gambit est avant tout l’histoire de Beth, une jeune fille qui par delà les cases et les figures symboliques de l’échiquier se façonnera en femme avant de s’épanouir en reine couronnée.

Alyson_Jensen
8
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le 12 nov. 2020

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Alyson Jensen

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