Un préalable s’impose avant de débuter cette série : ne pas s’accrocher à l’idée d’une adaptation fidèle du roman de Jules Verne. Si le canevas est préservé (Phileas Fogg dans son club londonien fait le pari de réussir un tour du monde en 80 jours, et il sera accompagné de son serviteur Passepartout), jusqu’au célèbre rebondissement chronologique final, quasiment tout le reste a été changé. On peut s’en offusquer (et dans ce cas-là mieux vaut abandonner cette série), ou alors accepter cette nouvelle lecture, qui nous offre un divertissement sympathique.
Parmi les changements notoires, il y a la disparition de cette histoire de vol d’une banque, histoire avec laquelle s’ouvre le roman de Jules Verne. Pour mémoire, une banque londonienne est attaquée au début du roman, et la police est convaincue que Phileas Fogg est l’auteur du crime. L’inspecteur Fix va donc poursuivre Fogg tout au long du voyage, et cela instaurera un suspense qui ne quitte pas le roman : Fogg est ainsi coincé entre la réussite de son voyage et la fuite devant le policier.
Dans la série, point de vol de banque (même si un vol survient en effet, mais comme simple épisode du voyage), point de policier qui poursuit Fogg tout au long du voyage. Et si Fogg est confronté à des embûches qui se multiplient sur la route, c’est plutôt à cause de son adversaire de pari, celui qui a tout intérêt à le voir perdre pour pouvoir empocher les 20 000 livres (cette confrontation à distance occupant une bonne partie de la seconde moitié de la série).
Quant à Fix, le voilà devenu… une journaliste. En effet, en plus de Passepartout, Fogg sera constamment accompagné par une jeune femme journaliste, celle-là même qui lui donnera l’idée de faire ce voyage suite à un article sur la construction d’une ligne ferroviaire.
Ce qui est intéressant ici, c’est que chacun des trois personnages principaux a un rôle à jouer. Nous n’avons pas un héros, Fogg, et ses deux faire-valoir, mais bel et bien un trio de voyageurs, chacun faisant, au gré des événements, avancer ou retarder le voyage. Le changement est flagrant avec Passepartout, qui n’est plus le fidèle serviteur mais obtient réellement un rôle dans l’histoire. On lui découvre un frère impliqué dans les mouvements révolutionnaires français, il va être confronté à des dilemmes moraux importants, il va même être un acteur essentiel dans le déroulement du projet (et cela lui en coûtera beaucoup).
Fogg lui-même n’est plus le personnage froid, cet archétype de l’Anglais flegmatique jusqu’à la froideur et calculateur, cet esprit supérieur que Verne aimait par-dessus tout. Ici, l’aventurier décide de partir sur un coup de tête, sans la moindre préparation. De plus, il a beaucoup de détails qui font de lui une figure d’anti-héros. Ainsi, le personnage qui part faire le tour du Monde n’est jamais allé plus loin que Douvres, et sa première embarcation se solde par un mal de mer carabiné. Il est imbu de sa personne et incapable de se débrouiller tout seul. Il a cependant des qualités, des dons de diplomatie, de la ténacité. Mais surtout, il n’est pas un personnage statique : le voyage et les différentes aventures qui lui arrivent vont le transformer.
Alors, certes, rien de tout cela n’est très original, il faut en convenir. Les messages antiracistes et féministes sont lourdement appuyés, mais finalement cela ne gêne pas tant que ça : après tout, de nos jours, les messages racistes et antiféministes s'expriment haut et fort et ne se privent pas pour être lourds (y compris au sein de ce site), du coup, je ne vois rien de mal à défendre l'antiracisme. De plus, je trouve assez cocasse de transporter un message antiraciste dans l'adaptation d'un roman de Jules Verne, écrivain que j'adore mais qui était profondément raciste (il faut lire ses descriptions des personnages noirs qui, chez lui, sont forcément inférieurs, voire des animaux sauvages). Les personnages sont plutôt simples.
Cependant ce Tour du Monde en 80 jours est un bon divertissement familial, sans avoir d’autre prétention que de faire passer un moment agréable, et il y parvient. Le spectateur se retrouve avec tout ce qu’il peut attendre d’un tel spectacle : exotisme, beaux décors naturels, action, drame, romance, renversements de situations, suspense, etc. La reconstitution est bonne, c’est joliment réalisé et le casting est de qualité. Un bon spectacle familial.


[article à retrouver dans LeMagDuCiné]

SanFelice
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le 15 janv. 2022

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SanFelice

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