Qui a grandi durant les années 90 se souvient certainement des Contes de la crypte et de son générique cultissime. Sur la partition lugubre de Danny Elfman, une caméra inquisitrice explorait un manoir à l'abandon, mélange improbable de maquettes et d'images de synthèse, et plongeait dans les tréfonds d'une crypte à la recherche du Crypt Keeper. Cette espèce de macchabée ambulant au rire sardonique et à l'humour plus que douteux s'animait alors au milieu d'un décorum sordide pour nous conter une de ses histoires cruelles qui faisaient tout le succès de la série. Diffusé tardivement tout du long des années 90, Les Contes de la crypte s'imposèrent ainsi comme un show incontournable pour tous les amateurs de fantastique, avides d'histoires horribles à sa faire raconter. Ce fut aussi la première série télévisée à assumer pleinement sa dimension horrifique et qui posa durablement les jalons du genre sur petit écran.


Mais pour revenir à cette authentique série culte, il convient d'abord de s'intéresser aux comics qui l'ont inspiré. Et à leur auteur, le dénommé William Gaines. Celui-ci n'était autre que le fils de Max Gaines, le créateur historique des premiers comics, publiés via sa célèbre maison d'édition Educationnal Comics (EC Comics), et qui se spécialisait dans les comics religieux et pédagogiques. Rapidement menacée de faillite, la société fut reprise par William Gaines à la mort accidentelle de son père. Polytechnicien raté, diplômé de chimie et ancien militaire, Bill Gaines se passionnait alors pour les romans et nouvelles d'horreur, les récits de revenants, de demeures hantées et de mutations monstrueuses. Il eut ainsi l'idée de relancer l'entreprise familiale par la publication de récits illustrés horrifiques et humoristiques, empruntant beaucoup de son ton scabreux à la BD horrifique Eerie. Le plus célèbre de ses magazines, Tales from the Crypt, connut rapidement un énorme succès auprès du lectorat adolescent, dès sa première publication en 1950. Mais il déchaina aussi les foudres des ligues parentales qui mirent rapidement à l'index l'amoralité et la subversion de ses récits et l'accusèrent d'encourager la délinquance parmi les jeunes. En 1953, une commission sénatoriale, formée à la demande des associations parentales américaines, dut délibérer quant à la dangerosité des "fléaux culturels" qu'étaient alors le rock'n roll et les comics horrifiques comme ceux de chez EC Comics. Bill Gaines fut entendu par la commission mais, souffrant de fatigue chronique et d'une accoutumance à la dexedrine, rata complètement son plaidoyer. Par la suite, le FBI interdit aux kiosquiers de vendre ses comics et Gaines fut rapidement contraint d'abandonner toute publication.


Ce n'est pas pour autant que Les Contes de la crypte furent oubliés. En 1972, le réalisateur anglais Freddie Francis (Le train des épouvantes, Dracula et les femmes) réalisa une adaptation cinématographique des comics de Gaines, intitulé Histoires d'outre-tombe, et en reprit cinq des intrigues pour son scénario. Un an plus tard, ce fut le réalisateur Roy Ward Baker (Dr Jekyll and Sister Hyde, Asylum), qui adapta les contes à l'écran avec son film à sketches Le Caveau de la terreur. Puis en 1982, ce furent Stephen King et son ami George A. Romero qui rendirent hommage à William Gaines avec leur film à sketches horrifiques Creepshow. L'intention était déjà là, renouer avec la dimension satirique et horrifique des histoires imaginées par Gaines. Le souvenir de son oeuvre perdura à travers les années et inspira à nouveau le producteur Joel Silver qui, en 1989, eut l'idée de proposer à plusieurs cinéastes et producteurs de sa connaissance, d'investir dans la production d'une série télévisée d'anthologies, inspirée par les comics Tales from the Crypt. Tous passionnés d'horreur, Gilbert Adler, David Giler, Walter Hill, Richard Donner et Robert Zemeckis, répondirent à l'offre de Silver et lancèrent sur le marché télévisuel cette anthologie horrifique atypique dont les épisodes étaient réalisés dans un format court (pas plus de 27 minutes), et présentaient la particularité remarquable de convier (et massacrer) un sacré nombre de vedettes de l'époque. Ainsi Joe Pesci, Treat Williams, Bill Sadler, Joe Pantoliano, Demi Moore, Michael Ironside, Dan Aykroyd, Tim Curry, James Remar, Whoopi Goldberg, Timothy Dalton, Patricia Arquette, Martin Sheen, Malcolm McDowell, Tim Roth, Teri Hatcher, Jon Lovitz, Brooke Shields, Bill Paxton, Kirk Douglas et même Brad Pitt participèrent à l'horrible anthologie. Encouragés par leurs illustres producteurs, tous acceptèrent de se faire trucider de façon plus ou moins sanglante sous la caméra de réalisateurs connus du genre (Stephen Hopkins, Russell Mulcahy, Tom Holland, William Malone, Frank Darabont) ou de stars passant occasionnellement à la réalisation (Tom Hanks, Michael J.Fox, Kyle MacLachlan et Arnold Schwarzenegger).


Il est toujours assez jubilatoire aujourd'hui d'apprécier ce joyeux jeu de massacre. Chaque épisode de la série se présente avant tout comme un conte moral à la finalité horrifique, où la perfidie, la jalousie et la cupidité de ses protagonistes se voient souvent sanctionnées de la plus horrible des façons. Ici, les femmes adultères sont greffées à leurs amants, les gigolos meurtriers sont dévorés vivants par les cadavres de leurs défuntes épouses, les époux bigames sont littéralement coupés en deux par leurs femmes, les artistes peintres tuent pour trouver l'inspiration, les bucherons violents sont tronçonnés dans des troncs d'arbre, les ventriloques sont tués par leurs marionnettes, les compagnies de théâtre cachent un rassemblement de criminels aliénés, les avocats sans scrupules sont emprisonnés ad aeternam dans un tribunal de fous, les marchands de glace débonnaires cachent un frère siamois dans leur dos et les bourreaux en mal d'exécutions finissent par passer à la chaise électrique. Chaque épisode de la série révèle une intrigue plus ou moins originale, parfois calquée sur un classique de l'horreur (Psychose, Halloween, Jeu d'enfant, Re-animator) dont il emprunte aussi souvent le croque-mitaine. Bon nombre de figures et de thèmes classiques du genre horrifique sont d'ailleurs ici abordés, du mutant monstrueux au mort-vivant revenu punir ses proches, en passant par la maison hantée, les scientifiques fous, les tueurs échappés de l'asile, les fantômes vengeurs, les marionnettes diaboliques ainsi que les momies, loup-garous, vampires et autres goules.


Rien d'exceptionnel me direz-vous aujourd'hui, tant le paysage télévisuel actuel déborde de séries horrifiques plus effrayantes les unes que les autres et que le genre semble s'être détourné de la plupart de ces clichés. Et pourtant, Les Contes de la crypte était bien à son époque une série pionnière de par le ton et la violence graphique qu'elle proposait. Jusqu'alors, aucune production télévisée ne s'était jamais permis de montrer des effets visuels aussi gores et impressionnants, amoureusement préparés par les cadors des sfx Kevin Yagher et Todd Masters. Très loin de la trop sage étrangeté de séries telles La Cinquième dimension ou Au-delà du réel, le show produit par Joel Silver se démarquait alors du tout venant des séries fantastiques de l'époque pour son usage décomplexé de la violence et des effets gores, mais aussi pour son érotisme sulfureux et sa moralité crasse. Protégé des foudres de la censure par sa diffusion exclusive sur un réseau télévisé privé (la toute jeune HBO), le show put ainsi aligner une succession d'épisodes dont l'horreur visuelle et le mauvais goût assumé n'avaient alors rien à envier au genre sur grand écran. Tout le génie des créateurs de la série est d'avoir su injecter suffisamment de second degré et d'exubérance à leurs épisodes pour que l'ensemble se regarde plus comme une horrible farce proche d'une série Z que comme une authentique démonstration d'épouvante. En ce sens, la série restait quasiment inattaquable pendant sa diffusion et put atteindre une longévité remarquable pour l'époque (elle fut diffusée de 1989 à 1996) avant de voir son succès décliner devant la X-filesmania et une nouvelle génération de slashers sur grand écran (initiée par Scream).


Aujourd'hui, la série a quelque peu vieillie et révèle quelques fautes de gout propres à son temps. La photographie filtrée, à l'image des productions télévisées de l'époque, donne un aspect distancé et légèrement suranné à l'ensemble du show. D'autant qu'il faudra fuir comme la peste la version française et son doublage surjoué pour lui préférer la version originale, nettement moins agaçante (les voix françaises, dont celles très reconnaissables de Philippe Ogouz et de Patrick Poivey, héritent d'ailleurs souvent de plusieurs rôles dans un même épisode). Le propre des anthologies étant d'alterner les histoires plus ou moins intéressantes, Les Contes de la crypte n'échappent évidemment pas à la règle. Si certains épisodes de la série valent à peine le coup d'oeil (surtout ceux des deux dernières saisons, nettement moins inspirées) et tournent souvent autour du même sujet (l'intrigue passionnelle ou adultérine), d'autres en revanche conservent encore toute leur saveur horrifique et réussissent même encore à choquer grâce à leur ambiance cauchemardesque et leur twist impitoyable. Des segments comme Nuit de Noel pour femme adultère, L'enterrée vivante, Le sacre de la tronçonneuse, Le Canyon de la mort, Tête d'affiche ou encore Un vampire récalcitrant, s'imposent ainsi comme un véritable festival de cruautés, terriblement réjouissantes. Les Contes de la crypte, pour qui les (re)découvre aujourd'hui, ça reste ça : une alternance de farces anecdotiques, souvent plus drôles que terrifiantes, et de segments plus inspirés s'appréciant comme d'authentiques petits classiques de l'horreur. Le tout est de savoir quels épisodes se laisser conter.

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le 30 oct. 2020

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Buddy_Noone

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