Une série extrêmement émouvante, parce qu’elle affronte sans compromis la question des conditions matérielles d’existence : la pauvreté, la survie au jour le jour, la lutte constante contre l’oppression sous toutes ses formes - la violence masculine, les poids familiaux, la brutalité du travail. On éprouve presque physiquement à quel point chaque dollar gagné est une victoire et que chaque dépense doit être minutieusement calculée et le mépris social et le stigmate de la « pauvre » et de l'assistée se lisent partout.
La série met magnifiquement en lumière le cumul des handicaps : vous êtes pauvre donc vous n'avez pas de voiture pour travailler, pas d’Internet, pas de matériel, pas de logement fixe ; vous devez quémander, vous excuser, vous humilier, trahir vos valeurs morales pour survivre, ce qui vous mène à des situations encore pires.
On ressent bien la violence sociale et symbolique constante que subit la protagoniste dans son boulot : elle est invisible, fait partie du décor, on la paie mal et elle doit brader son travail pour obtenir des ménages, ses trajets sont non rémunérés, elle doit se confronter à la saleté des autres et souvent aux problèmes familiaux ou psychologiques qui vont avec l'irruption dans l'intimité d'autrui. La charge de sa fille pèse à chaque instant, il faut toujours trouver une garderie ou quelqu’un pour la garder, ce qui la pousse toujours à dépenser de l'argent ou à s'endetter symboliquement envers quelqu'un.
La série montre aussi très justement la reproduction des trajectoires sociales et des traumatismes familiaux. Sean, marqué par une mère alcoolique, répète la violence. Alex, malgré elle, reproduit les mêmes scènes qu’elle a vécues enfant. Sa mère subit autant qu'elle aussi la pauvreté et l’injustice, avec un mari qui la manipule, la prive de la propriété de sa maison, ce qui est l'occasion de montrer les insuffisances de la justice, etc.
A travers les hauts et les bas d'Alex, on constate bien que les dispositifs d’aides sociales existent (lois, associations, programmes sociaux) mais qu’ils ne suffisent jamais face au mur du réel qui oppresse. Alex doit toujours se battre pour ses droits et se confronter à un mur administratif ou juridique parce qu'elle n'a jamais les codes pour comprendre ce monde inintelligible qui exclut les plus précaires.
Elle trouve de l’aide, mais souvent de manière conditionnelle. La série expose brillamment les attentes implicites des hommes : même quand Alex revendique son indépendance et refuse toute ambiguïté, le désir masculin plane toujours en sous-texte, et elle subit le courroux mâle lorsqu'elle ose s'y soustraire.
Et pourtant, la série évite le manichéisme : Alex n’est pas la protagoniste idéale, elle prend parfois les mauvaises décisions, ne se comporte pas toujours absolument vertueusement, et cela parce qu'elle est prise dans le cycle de la pauvreté et qu'elle n'a pas toujours la liberté ou les conditions matérielles pour pouvoir penser et agir correctement. Sean alterne entre phases de rédemption et chutes brutales, sa mère aussi et la relation qu'elles ont est touchante parce sa mère représente tantôt un fardeau pour elle tantôt une aide possible, quoique pas toujours fiable.
Malgré quelques facilités, comme des résolutions de conflit un peu rapides sur la fin, ou des personnages secondaires parfois un peu trop vertueux (son ami ingénieur surtout), la série réussit brillamment ce qu'elle entreprend : elle parvient à être très émouvante et incroyablement juste et politique sur ce qu'est le cycle de la pauvreté, le stigmate sociale, les héritages sociologiques et traumatiques, la violence des hommes, l'émancipation possible des femmes et de la classe populaire par l'éducation... une merveille.