Évoque la totalité du jeu.
On peinerait à ne pas comparer Silksong à son prédécesseur, qui avait marqué d'un doux fer de dopamine, de virtuosité et d'ingéniosité le cœur de plus d'un joueur, et d'ailleurs, on ne se privera pas ici de comparer les deux.
Pour le dire rapidement, on prend un goulu plaisir à jouer à Silksong, à explorer sa carte faramineusement étendue et visuellement diverse, à combattre une palette en apparence infinie de nouveaux ennemis et boss, à manier une Hornet douée d'une mobilité aussi prodigieuse que gratifiante… tout cela, d'autres l'ont dit des centaines de fois.
On connaît également trop bien le reproche formulé ad nauseam à l'encontre du jeu : pour le joueur aux compétences moyennes - et mes propres compétences sont plutôt en-deçà de ce niveau -, Silksong est en effet difficile au point de frustrer, d'énerver voire d'ennuyer profondément. Et avoir terminé le premier opus n'y changera pas grand-chose. Cette polémique n'a pas manqué de réactiver le fameux débat autour de l'accessibilité du jeu vidéo vue sous l'angle de la difficulté, question en fait tranchée en quelques lignes plutôt claires à l'entendement : la seule raison pour laquelle certains joueurs, qui sont surtout des hommes, tiennent absolument à ce qu'il n'y ait un niveau de difficulté unique dans les jeux, c'est qu'ils considèrent le jeu vidéo comme une sorte de conquête et de défi, qui, une fois surmonté, prouverait leur supériorité mâle et leur respectabilité à eux-mêmes et au monde au sein du champ social vidéoludique. Permettre à chaque joueur de rendre le jeu plus facile, ce serait permettre son accès à toutes et tous, et donc le vider de son caractère socialement discriminant et distinguant au regard des normes du milieu ludique. Prôner la difficulté inconditionnelle revient donc sous ce prisme à une sorte de philistinisme : considérer l'art à l'aune de ce qu'il confère indirectement en matière de capitaux culturels, sociaux et symboliques plutôt qu'à l'aune de ses qualités esthétiques intrinsèques. Bien sûr, j'entends tout à fait qu'on puisse, non pas désirer un mode de difficulté unique, mais tenir à ce que, s'il n'existe qu'une seule catégorie de difficulté, elle soit alors suffisamment stimulante pour maintenir l'intérêt d'un joueur ayant acquis des techniques et des compétences certaines. À cela, je ne conteste rien, seulement qu'on ait le soin de préciser alors pour quelle paroisse on prêche en la matière.
À l'argument de la difficulté excessive, si l'on est de bonne foi et qu'on s'intéresse aux possibilités offertes par le jeu lui-même, on répond alors souvent que si un boss nous pose problème, il faut explorer d'autres contrées pour renforcer ses armes et outils avant de s'y confronter encore, que l'économie n'est pas un problème dans la mesure où l'on peut stocker des perles post-mortem grâce aux colliers, voire que l'on peut éviter certains boss en prenant des chemins alternatifs.
Mon expérience a donné relativement tort à ces trois arguments. D'abord, on l'a déjà entendu, l'acte 1 ne fournit que peu d'armes qui permettraient aux joueurs les moins bons de faire face aux boss les plus difficiles (Veuve et Dernière Juge). On ne peut y obtenir qu'un seul masque supplémentaire, ce qui est tout à fait utile pourvu qu'on se soigne au moins une fois, mais un second n'aurait pas été de trop ; les emblèmes disponibles se font assez ardus à trouver (Vagabond, pourtant excellent) ou exigeants à obtenir (Bête) ; l'(unique) amélioration de son aiguille est hélas un peu tardive, et les outils proposés un peu limités, même si puissants. Concernant la difficulté des phases de plateforme, il y a de bonnes chances pour qu'on accède aux Terres lointaines ou au Sentier du chasseur sans avoir découvert d'autre emblème que le premier, ignorant par là qu'il existe des « pogo » alternatifs beaucoup plus aisés de prise en main qui réduiraient ainsi drastiquement la frustration que ces zones suscitent.
Ensuite, le problème que pose les colliers, c'est qu'ils nécessitent de se trouver à proximité d'un ou une marchande ou d'un endroit permettant d'en fabriquer… en ayant des perles. Or, lorsqu'on meurt tellement souvent qu'on finit par n'en avoir quasiment jamais sur soi, et qu'on se trouve évidemment trop loin de marchands, qui eux sont proches de bancs, on se trouve être une belle victime du capitalisme !
Ce problème se rattache en fait à une incohérence plus générale du jeu, qui consiste, comme dans la société, à punir et enfoncer les plus démunis et les moins compétents : plus vous mourrez, moins vous avez de perles et donc de chances de vous procurer des objets permettant d'améliorer vos armes. Pire : le système d'éclats pour fabriquer des outils et de recharge de certaines substances ne semble servir que cette fonction. Silksong vous force à combattre des boss tellement difficiles qu'il faut parfois vous y reprendre à des dizaines de fois pour les vaincre, or à chaque fois que vous utilisez vos outils à cette fin, vous perdez des fragments… jusqu'à tomber à court… et à combattre des boss sans les outils qui sont supposés rendre le combat plus facile. L'absurdité d'un tel système saute aux yeux. Évidemment, on pourrait apporter une solution toute trouvée aux problèmes de perles et d'éclats : le farming… mais qui a envie de s'infliger un tel ennui, et en quoi est-ce que cela légitimerait la difficulté excessive du jeu sur ce point ? Bien sûr, des techniques existent afin de faire l'économie générale de ses fragments de carapaces, comme une utilisation des outils limités aux phases les plus tardives et exigeantes des boss, mais le fond du problème reste identique. Le simple fait que le nombre d'outils transportables soit limité devrait suffire à limiter la puissance de ces derniers.
Enfin, en ce qui concerne les chemins alternatifs, précisons tout de même que le jeu se veut relativement linéaire dans sa première partie, et donc que beaucoup de boss se mettront sur le chemin de la réalisation de la quête principale. Pour ce qui est de la Dernière Juge, il est vrai qu'il est possible d'éviter le combat, et ce de deux manières différentes, mais les deux sont pour le moins assez alambiquées et difficilement trouvables, si bien que même en explorant de fond en comble les zones accessibles avant elle, on aura de bonnes chances d'être passé à côté de ces fameuses alternatives. Le possible n'est pas le réel : dire qu'il existe une voie alternative ne suffit pas si cette dernière est trop dissimulée pour que le joueur lambda puisse prendre une décision en toute conscience du chemin qu'il veut emprunter.
La difficulté mine donc en partie le plaisir qu'on tire à jouer à Silksong, puisque toutes les explorations se transforment en défis décourageants et les boss en éternelles répétitions des mêmes zones et des mêmes combats. Cependant, on en tire tout de même énormément de plaisir, et ce parce bon nombre des délices du premier jeu sont là encore au rendez-vous, voire améliorées : les zones présentent une esthétique léchée, chatoyante, enivrante, mystérieuse, les musiques sont particulièrement prenantes, et enchanteresses, surtout pendant les phases de boss, et le gameplay est très bien servi par une impressionnante variété d'armes, d'outils, de stratégies. Néanmoins, je dirais que ces plaisirs sont surtout manifestes durant l'acte 2 : la Citadelle est un lieu splendide, plein de recoins, de quêtes et de possibilités, et ce n'est qu'à ce moment-là que le gameplay s'enrichit largement. Certains environnements se font particulièrement innovants et stimulants : le Mont Fay ou les Sables de Karak constituent des phases de plateformes tout à fait plaisantes et originales, et même si Bilesac et les Conduits putrides sont des zones affreuses, elles ont le mérite de susciter un dégoût viscéral et une colère qui sont assez revigorantes et qui tranchent avec l'ennui de l'acte 1 causé par d'éternels répétitions, elles sans saveur. Le cœur mécanique est également un grand moment en matière de musique, de défi et de saveur. Essentiellement, Silksong est donc un jeu qui mérite bien de la reconnaissance et des éloges, et qui sait rendre addict son joueur, le malmener sadiquement mais ingénieusement aussi bien que l'émerveiller, l'encourager à explorer ses profondeurs ou le dégoûter.
Néanmoins, et c'est une critique peut-être assez portée à la controverse, mais sa générosité m'a donné l'impression d'une hypertrophie indésirable. Après avoir terminé Silksong, qui s'achève sur une cinématique assez peu convaincante, on se sent surtout fatigué. Probablement qu'il y avait trop de quêtes, trop d'outils, trop d'emblèmes, trop de passages secrets introuvables sans guide, trop de boss à affronter, trop de tout. Silksong finit en fait par se perdre dans son éclectisme de gameplay. Le joueur aux compétences vidéoludiques limitées nourrira un rapport malaisé à la diversité des outils et des emblèmes : celui du Chasseur, de la Bête ou de la Sorcière présentent trop d'inconvénients, comme un « pogo » laborieux, et rendent trop radicalement vulnérable Hornet face aux ennemis pour pouvoir être raisonnablement exploités. De même, il peinera à tirer un profit maximal des outils, qui présentent au fond peu de synergies entre eux et sont pour beaucoup anecdotiques : la majorité des outils jaunes frisent l'inutilité, beaucoup d'outils rouges se ressemblent en réalité et certains outils verts sont suffisamment puissants pour inhiber l'envie d'en utiliser activement d'autres. Les compétences font enfin trop souvent courir le risque au joueur de s'exposer à des coups ennemis - chose qu'on s'évertue à tout prix à éviter en raison des doubles dégâts - étant donné l'immobilisme ou la charge dans la mêlée qu'ils imposent, en plus de consommer une soie qu'on préférera souvent réserver à se soigner - ai-je déjà précisé que les dégâts des ennemis étaient doublés ? Quant aux outils rouges, ils m'ont posé un problème singulier : certes, leur coût en fragments de carapaces ou en recharges - effroyable mécanique - rendait leur utilisation en soi dissuasive, mais c'est surtout les contrôles nécessaires pour les activer qui a constitué un obstacle. Le caractère peu intuitif de l'alliance « gâchette + joystick bas ou haut » surchargeait en quelque sorte mon espace cognitif-moteur, de sorte que je finissais souvent par les utiliser, ou bien tous à la fois au début du combat, ou bien dans des moments de pur battement, voire pas du tout. Ce n'est peut-être qu'un problème singulier propre aux cerveaux lents, mais les combats de Silksong me paraissent, à bien y réfléchir, cognitivement assez exigeants. Chaque seconde ouvre en effet un choix vaste de possibles qui nécessitent d'appuyer sur des boutons différents mais similaires : se soigner, lancer un sort, lancer l'outil du bas, du haut, se déplacer, frapper, dasher, planer… si bien qu'au milieu du calcul, on finit par simplifier l'équation : on essaie de survivre donc on se soigne, mais on abandonne les compétences dans le processus, et parfois un des deux outils pour libérer de l'espace cognitif.
Hollow Knight était comparativement bien plus simple : il n'y avait pas d'outils activables, les sorts étaient assez semblables mais permettaient de cibler des directions différentes, et l'attention du joueur était d'autant moins focalisée sur la survie que le jeu était globalement moins punitif. Enfin, les quêtes secondaires étaient pour certaines tout à fait stimulantes : la quête du coursier ou celle ouvrant l'accès aux Conduits Putrides étaient ingénieuses, et on prend globalement du plaisir à réaliser même les moins inspirées, or à la longue, on finit par s'en lasser et à remarquer leur répétitivité. On aurait également pu se passer des mini-jeux ennuyeux et excessivement laborieux, comme celui des puces, pourtant nécessaires au 100%. Ces quêtes souffrent surtout de la comparaison qu'on peut dresser avec celles d'autres Metroidvania : les quêtes de Blasphemous I & II laissaient par exemple au joueur l'opportunité de soulager des personnages meurtris par le malheur à un niveau à la fois corporel et métaphysique ; elles impliquaient donc le personnage fonctionnellement dans la diégèse et le joueur émotionnellement dans l'expérience ludique ; on sortait parfois bouleversé d'avoir accordé une rédemption à des mourants. Au contraire, dans Silksong, mis à part sauver des égarés et des marchands pris dans des embuscades ou accumuler des butins de guerre, vous ne ferez pas grand-chose… Bien sûr, les personnages ont parfois une certaine densité - un effrayant insecte voulant nourrir ses petits, une sorcière cherchant à accomplir un étrange rituel -, mais rien qui soit assez développé ou limpide pour vraiment émouvoir.
À ces reproches, il faudrait néanmoins ajouter quelques réflexions et précisions qui les nuanceraient. Comme dans tout jeu, mais à plus forte raison dans un Metroidvania, qui plus est exigeant, aucune expérience n'est tout à fait similaire. Chaque joueur, selon son niveau technique et les contingences de son aventure, expérimentera des impressions esthétiques différentes : mon niveau assez médiocre aux jeux vidéo, ma frilosité à utiliser des emblèmes ou des outils plus risqués, la haute valeur que j'accorde à mon temps et ma découverte tardive, par exemple, de l'emblème du Vagabond, ont influencé mes impressions, de façon à produire les sentiments évoqués ci-dessus : la frustration, l'ennui, la lassitude. Mes nombreuses tentatives pour parvenir à vaincre les boss difficiles ou mon médiocre sens de l'orientation ont participé à étirer mon temps de jeu de sorte à sortir lassé des quêtes et des boss de fin d'acte 3 et à me rendre plus acariâtre à l'encontre du jeu. Tiendra-t-on alors ces jugements pour valides malgré leur contingence ? En un sens, ils le sont : si les jugements esthétiques se contentaient d'être purement descriptifs et ne renvoyaient à aucune réalité intérieure dépendante d'une certaine sensibilité, ils seraient profondément inintéressants. En un autre sens, cependant, ils sont douteux, et rendent toute critique vidéoludique relatif à un certain référentiel, qu'il faut alors tâcher de rendre le plus clair possible pour en saisir les raisons. On ne pourra pas comprendre analytiquement tout ce qu'est un jeu vidéo donné, puisqu'on n'aura toujours qu'accès au versant qu'il voudra bien nous livrer étant donné notre profil particulier de joueur aux appétences, aptitudes, attentes et expertises déterminées et notre façon singulière de jouer.
Une deuxième enquête consiste à déterminer ce que signifie la liberté dans le jeu vidéo. Ma critique concernant les excès de possibilités offerts par Silksong n'a de sens que si l'on considère qu'un jeu non-bac à sable ne consiste pas simplement à donner au joueur des possibilités, mais encore à l'orienter de sorte qu'il en fasse un usage qu'il jugera plaisant et stimulant. La plupart des joueurs auront sûrement pensé que le nombre pléthorique d'outils et d'emblèmes ne pouvait qu'être un facteur supplémentaire participant à enrichir la personnalisation du gameplay du jeu, et n'y ont donc vu rien de mal dans la mesure où leur liberté ludique n'en était qu'accrue. Le problème, c'est qu'étant donné les raisons exposées plus haut et le manque d'incitation, outre la difficulté, à varier les combinaisons de gameplay, on ne transforme que rarement la possibilité ludique en source d'amusement. Je n'aurais pas souhaité que le jeu nous force à user de certains outils ou emblèmes autrement peu attirants, mais il m'aurait plu qu'il nous incite subtilement à le faire occasionnellement pour justifier leur existence. Le médium ne met pas en jeu une liberté indéterminée apte à se saisir de tous les outils à sa disposition : son art consiste à guider le joueur sur une route pensée en amont par des développeurs sans pourtant lui donner l'impression d'avoir été conduit vers un point donné d'une façon déterminée. Il faut qu'il ait l'illusion d'une liberté autonome, mais que son chemin soit taillé de sorte qu'il réalise un certain projet esthétique pensé par ses créateurs et maximisant le plaisir ludique éprouvé. Autrement, on « casse » le jeu si on fait plus que ce qui a été pensé pour être fait, et inversement, on le rend ennuyeux si on ne réalise pas ce qu'il attendait de nous... en laissant apparaître des possibles inutiles, Silksong ne peut donc qu'à certains égards rendre perplexe.
Enfin, tous ces jugements sont relatifs à une certaine vision personnelle du jeu vidéo perçu comme devant incarner une totalité organique et cohérente. Dans le jeu idéal, chaque élément concourt à résonner avec tous les autres pour conférer plus d'intensité à une impression esthétique générale complexe. Il ne peut donc être, même en partie, une accumulation d'éléments hétéroclite ou inutilisés. C'est pourtant ce qu'on pourrait reprocher à certaines quêtes secondaires, outils, personnages ou zones de Silksong. Ce reproche fait plus largement écho à la tendance des jeux contemporains à s'étaler indéfiniment afin d'apparaître comme des produits valant leur prix. Certes, Silksong ne s'inscrit pas tout à fait dans cette industrialisation ludique, puisque peu cher et créé par une petite équipe de passionnés, mais il a probablement au moins un peu cédé à la tentation de la démesure, alors que ni la longueur ni l'abondance ne sont gages de qualité.
On finit donc le jeu en y ayant passé 65h, et sans avoir toujours ressenti la fougue, la fascination et la poésie suscitées par le premier Hollow Knight. La désolation et la mélancolie de Dithmouth, la paix du Repos éternel, la tristesse de la Cité des larmes, le désespoir des Abysses, la terreur du Nid-Profond… Hollow Knight parvenait à susciter des émotions puissantes grâce à sa musique, ses zones, la scénarisation de son gameplay. Silksong y parvient également, oui, mais de manière beaucoup plus exceptionnelle : la libération de Clochelle est une exultation de joie et d'espoir, les premiers moments dans la Citadelle sont somptueux, le combat contre le Duo mécanique est mémorable, certes, mais la poésie n'y est pas tout à fait. Trop occupé à combattre la difficulté incessante, à réaliser des quêtes futiles, à combattre une infinité de boss, notre attention était ailleurs. L'acte 3 contient bien, lui aussi, son lot de moments fameux et grandioses, notamment la remontée des abysses, qui est extrêmement puissante et galvanisante, ou bien le combat contre Karmelita, mais sa structure narrative assez éparse et peu convaincante donne davantage le sentiment d'un post-game que d'une véritable partie intégrante du projet ludique. Le système de charmes et de sorts d'Hollow Knight témoignait également d'une cohérence générale du gameplay et de ses possibilités : certes, il y avait moins de charmes et donc de possibles qu'il n'y a d'outils et d'emblèmes dans Silksong, mais le gameplay en était rendu beaucoup plus lisible, cohérent, et donc stimulant que dans son successeur.
En matière d'atmosphère, tout dans le premier jeu donnait l'impression d'être comme dissimulé, profond, abyssal. On s'aventurait aux limites du royaumes, sur son sommet, dans ses profondeurs : le monde d'Hollow Knight donnait l'impression d'une totalité mystérieuse à dévoiler et à explorer non sans les dangers qui suivent invariablement le frisson du secret. Au contraire, les terres de Pharloom sont perpétuellement hostiles et dangereuses, d'où un manque général de relief et de lieux permettant la simple contemplation d'un univers insondable et vertigineux. Certes, les dialogues de Silksong sont tout à fait honorables, habilement écrits et immersifs, mais ils n'éclairent pas énormément plus le cours des événements et les règles du monde. Bien sûr, l'intrigue d'Hollow Knight était tout à fait incompréhensible, mais là où Hallownest se donnait perpétuellement à voir comme une concaténation de dimensions énigmatiques et mystiques dans lesquels il fallait toujours s'aventurer plus profondément, voire sur d'autres plans de réalité - le monde des rêves, l'esprit du roi, etc ; Pharloom apparaît comme une sorte de nébuleuse de zones souvent linéaires, frustrantes et trop littérales au lieu d'être évocatrices. La poésie d'Hallownest provenait en partie d'une force évocatrice exceptionnelle : le mutisme des personnages, la quête vers des profondeurs intimidantes, des piles de cadavres de chevaliers, des zones mystiques, la corruption, la Radiance… sans rien en comprendre, on ressentait que quelque chose de cosmique se jouait malgré soi. Au contraire, Silksong a beau être moins cryptique et se doter d'une iconographie religieuse, il n'en est pas plus chargé d'ésotérisme et d'imageries cryptiques, et en fait moins. Hollow Knight parvenait à toucher grâce à sa poésie et à la scénarisation de ses environnements et de son gameplay : on ressentait le désespoir de l'épreuve la plus exigeante dans le Sentier des souffrances, le chagrin du destin funeste du monde durant la remontée des Abysses, l'anxiété et la frayeur durant la traversée du Nid profond, notamment car ces expériences tranchaient avec le reste de l'aventure. Silksong présente bien des passages mémorables, mais il ne se dote pas de cette virtuosité ludico-scénaristique, car son arrière-fond paraît plus superficiel, et qu'un monde de part en part malveillant force hélas à s'y rendre insensible.
Silksong demeure une expérience de haute qualité vidéoludique, créé par des passionnés inspirants et héroïques, mais hélas moins habitée par la poésie, les émotions et les tremblements suscités par la découverte d'énigmes séculaires et inintelligibles. L'excès de fureur a parfois raison du mystère.